Le secteur de la santé joue, dans l’Hexagone – mais pas seulement – un rôle non négligeable dans la dégradation du climat et de la biodiversité. En 2020, d’après le rapport final du think tank The Shift Project1, il produit près de 49 millions de tonnes de CO2e d’émissions directes et indirectes de gaz à effet de serre (GES) – en fait entre 40 et 61 millions de tonnes de CO2e (20% d’incertitudes) – soit plus de 8 % du total national versus 4,4 % au niveau mondial (en 2014)2. Tous les acteurs du secteur sont concernés par ces émissions : les établissements hospitaliers au premier chef, à hauteur de 38%, mais aussi la médecine de ville (23%) ou encore les établissements pour personnes âgées (21%). Les achats de médicaments – dont la production s’effectue majoritairement à l’étranger – et de dispositifs médicaux (DM) – très souvent à usage unique – sont de loin les plus pourvoyeurs dans la part des émissions du secteur, suivis de l’alimentation, des sources fixes et mobiles de combustion (consommation de fuel et de gaz pour le chauffage, eau chaude sanitaire cuisson…), du transport des usagers et visiteurs, des immobilisations (bâtiments, parc informatique, équipements médicaux lourds), des déchets et services, des trajets domicile/travail des personnels et déplacements professionnels, de la consommation d’électricité, et enfin de la consommation de gaz médicaux et climatisation.
Certes, les infirmiers n’ont pas vraiment de marge d’action sur la plupart des postes émetteurs de GES tels les sources fixes de combustion, les immobilisations… Pour autant, ils peuvent, en ville comme à l’hôpital, s’engager, à la fois collectivement et individuellement, plus avant dans la transition bas-carbone du secteur.
Participer à la transformation des pratiques…
Comment concrètement ? En œuvrant déjà à la transformation de leurs pratiques de soins et en plaçant notamment « la notion de sobriété au centre des pratiques de soins et des modes de vie » comme le suggèrent les auteurs de Shift Project. Ainsi peuvent-ils s’atteler à effectuer des soins “écoresponsables” (voir schéma), c’est-à-dire « qui, à qualité et sécurité égales, sont moins impactants pour l’environnement. » Promue par le ministère de la Santé3, cette approche innovante de la pertinence des soins4 « consiste à prendre en compte les questions environnementales dans toutes les étapes du cycle de vie d’un produit ou d’un service », de la conception à la fabrication, en passant par la distribution, l’utilisation et la valorisation en fin de vie. Les impacts attendus de cette démarche visent non seulement à « réduire l’empreinte carbone du secteur de la santé [ce, alors même que la France ambitionne notamment, au travers de sa feuille de route intitulée “Stratégie nationale bas-carbone” (SNBC), d’atteindre la neutralité carbone dès 2050 – Ndlr] et limiter son impact sur l’environnement (pollution des eaux, expositions toxiques, etc.) » mais aussi à « maîtriser l’empreinte énergétique et écologique d’un soin et ainsi tendre vers une sobriété des soins qui permet de contribuer à la pérennité de notre système de santé au bénéfice des patients ».
Dans le cadre de leur exercice, les infirmiers peuvent ainsi par exemple adapter leurs pratiques afin qu’elles soient moins consommatrices d’équipements et/ou de matériels médicaux. Ils peuvent également soutenir l’achat et/ou l’usage de matériels/dispositifs médicaux (sans perturbateurs endocriniens ou agents chimiques cancérogènes, mutagènes ou toxiques – CMR) réutilisables et remettre en question l’utilisation de l’usage unique, générateur de surconsommation et de gaspillage : « À l’hôpital, il serait souhaitable que des infirmiers soient, au sein des établissements, intégrés dans la gouvernance de la transition écologique, par exemple dans les commissions développement durable. Ils pourraient ainsi apporter leur expertise sur les sets de pansements afin de favoriser le réutilisable, sur les pansements en vue de réduire la prescription, ou encore sur le recours à certains médicaments moins émetteurs de gaz à effet de serre comme par exemple privilégier les inhalateurs à poudre sèche plutôt que les aérosols doseurs pressurisés… », suggère Félix Ledoux, IDE, membre du GT Santé Climat du Shift Projet. La « sobriété d’usage dans le recours à la technologie médicale » est aussi une autre voie à creuser du fait notamment des conséquences environnementales qu’elle entraîne : consommation énergétique, utilisation de ressources minières rares, etc.
Du côté de l’exercice libéral, ce dernier préconise entre autres « la mutualisation des ressources (informatique, moyens de transports…) dans le cadre de l’exercice coordonné » lequel « répond aux enjeux de santé actuels ». Et de citer en exemple le réseau de soins primaires universitaire milleSoins sur le plateau de Millevaches en Corrèze où informatique et téléphonie sont partagées, où la prescription des médicaments s’effectue en multiples de semaines plutôt qu’en mois afin d’éviter le gaspillage…
En milieu hospitalier comme à domicile, les infirmiers peuvent également s’atteler à un tri plus rigoureux et pertinent des déchets, l’objectif étant de réduire les déchets d’activités de soins à risques infectieux et assimilés (Dasri – objets perforants, déchets mous tels les pansements, les compresses souillées, les poches et tubulures, les produits sanguins…), dont l’impact économique et environnemental est bien supérieur à celui des déchets assimilés aux ordures ménagères (Daom – emballages de matériel/recyclable, couches et protections, matériel de protection non souillé, déchets issus du nettoyage…).
Prodiguer des soins tournés vers la prévention et la promotion de la santé
Autre piste encore : réduire les besoins d’utilisation du système de santé… soit notamment « en agissant en amont de l’hôpital » dixit Félix Ledoux ou tout du moins le moins souvent possible ! Ce qui signifie d’œuvrer bien plus qu’aujourd’hui à une véritable promotion de la santé. Et là encore, en tant qu’acteurs de prévention et de promotion de la santé, les infirmiers sont à même de sensibiliser la population aux comportements favorables et protecteurs de bonne santé (hygiène de vie, sensibilisation au dépistage des cancers…), de sorte qu’ils sollicitent moins les services de santé. Pour peu qu’ils soient bien évidemment sensibilisés et formés sur la santé environnementale, les infirmiers sont aussi susceptibles d’être des ambassadeurs afin de promouvoir les enjeux énergie-climat-santé auprès de leurs patients mais aussi et surtout les impliquer, d’autant plus lorsqu’il s’agit de patients chroniques en auto-traitement et suivis au long cours, dans le tri des déchets, et les sensibiliser à la réduction de leur consommation de médicaments auto-prescrits, à la pollution de l’air/environnementale…
Utiliser des modes de déplacements moins impactants
Enfin, les infirmiers peuvent également agir sur l’impact de leur mobilité afin de réduire leur empreinte carbone. En établissements de santé, ces derniers peuvent ainsi limiter l’impact de leurs déplacements domicile/travail via le covoiturage, l’usage des transports publics ou des mobilités actives (vélo, marche à pied…) quand cela est possible naturellement. Leurs collègues libéraux peuvent, eux aussi, être proactifs en la matière. Cela passe dans la mesure du possible par l’optimisation des tournées mais aussi par le choix de leurs modes de déplacement. Se convertir à la voiture électrique, moins polluante que celle thermique, est une option d’autant qu’il existe des aides en faveur de l’acquisition de véhicules propres. Attention toutefois à la question de l’autonomie de la batterie afin que le véhicule choisi soit bien en adéquation avec leurs besoins et/ou le territoire d’exercice. Autres modes de déplacement alternatifs plus verts également – et plus économiques : le vélo électrique ou encore le deux-roues, pour lesquels il convient, là encore, de bien tenir compte des lieu et mode d’exercice.
L’éco-conception des soins, c’est quoi ?
L’écoconception des soins consiste à chercher à les réaliser en ayant un moindre impact sur le plan sanitaire, environnement, social et économique et ce à court, moyen et long terme.
Un groupe de travail national sur les soins écoresponsables
Afin de faciliter le retour d’expérience sur les initiatives déployées dans les territoires et capitaliser dessus, et d’accompagner les acteurs investis à l’hôpital et en ville dans [la] démarche de soins écoresponsables, un groupe de travail national a été créé. Selon la Direction générale de l’offre de soins (DGOS), « son axe de travail porte sur la conception d’une feuille de route ministérielle sur les soins écoresponsables qui sera incluse à celle, plus globale, sur la transition écologique en santé. Cette feuille de route sera lancée dans les prochains mois. »
Le développement durable intégré au Ségur de la santé
Un volet éco-responsable du projet d’établissement a été inclus dans les conclusions du Ségur de la santé en 2020. Dans un dossier de presse qui fait le point sur Le Ségur de la santé – un an après (soit en juillet 2021), le gouvernement précise que « sur cet axe important de transformation voulue par et pour les établissements de santé, des travaux sont engagés autour de la formalisation d’une feuille de route qui permettra par exemple de valoriser et faire connaître les bonnes pratiques pour mettre fin au plastique à usage unique et au gâchis alimentaire à l’hôpital ou encore d’encourager les dynamiques de transition énergétique avec la mise en œuvre de postes de conseillers spécifiques. » À ce propos, ces conseillers en transition énergétique et écologique en santé (CTEES) – jusqu’à 150 postes doivent être créés dans les hôpitaux, cliniques et Ehpad – auront pour mission d’accompagner un ensemble d’établissements dans les actions menées pour réduire leur empreinte carbone et, ainsi s’inscrire dans le dispositif “Éco Énergie Tertiaire” (EET), une obligation réglementaire qui engage tous les acteurs du tertiaire, dont les services publics, le médico-social, vers la sobriété énergétique (elle impose la réduction des consommations d’énergie finale de l’ensemble du parc tertiaire d’au moins -40 % en 2030, -50 % en 2040, -60 % en 2050 par rapport à 2010).
1 The Shift Project, rapport final V2 paru en avril 2023
2 Pichler et al. 2019 in rapport de Heath Care Without Harm et ARUP, sept. 2019
3 Avec ses partenaires tel que l’Agence nationale de la performance sanitaire et médico-sociale (Anap)
4 Soit le juste soin (actes, prescriptions, prestations), au bon patient, au bon moment.
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