Les constats sont glaçants : les écosystèmes sont altérés, notre santé se dégrade et les systèmes de santé sont à bout de souffle. Cette interdépendance qu’éclairent des concepts tels que « Une seule santé » (One Health), souligne l’importance de la santé environnementale pour l’avenir. Et sur ce terrain, pour Philippe Perrin, directeur d'un institut de formation consacré à la Santé Environnementale (IFSEN), l'éco-infirmier a un rôle crucial à jouer. A savoir : informer la population sur les risques sanitaires liés à son environnement, apporter son expertise pour répondre aux questions avec les éléments les plus pratiques possible et faire son maximum pour transmettre le message de façon positive, «car le sujet peut s'avérer très anxiogène...», observe l'infirmier écologiste. Autre point important : les éco-infirmiers, artisans du changement, «abordent aussi ces questions dans leur transversalité», explique-t-il. Autrement dit : ils apportent des réponses locales, tangibles, concrètes, quotidiennes, tout en sensibilisant à une plus grande échelle à la préservation des écosystèmes dont dépend notre survie.
Une seule santé
Nous ne pouvons plus aujourd'hui fermer les yeux, rappelle, en substance, Philippe Perrin, convaincu par l’impact des facteurs environnementaux sur la santé, auquel il s’intéresse depuis son travail de fin d’études, dans les années 90 : détruire l'habitat d'animaux sauvages, les émissions que nous produisons, nos comportements en général vis-à-vis de la nature et du monde animal, nous reviennent dans un spectaculaire effet boomerang.
Car tout est lié, tout est imbriqué. «Le concept One Health, Une seule santé, remonte à une vingtaine d'années et a été remis au goût du jour par la pandémie de Covid19», explique l'éco-infirmier, titulaire d'un diplôme sur le thème «l'homme, l'animal, le milieu» (un intitulé qui, à l'époque, avait fait lever les sourcils de ses interlocuteurs). «Ce virus nous vient de la chauve-souris. Or, si les chauves-souris transmettent des virus infectieux chez les humains, c'est que les virus ont subi des mutations ou ont été recombinés (lors de la rencontre avec d'autres populations animales). Ces transformations et les bouleversements biologiques liés au changement climatique et aux destructions des écosystèmes naturels montrent à quel point les maladies infectieuses qui touchent le monde de l'animal peuvent aujourd'hui parvenir à l'homme : c'est ce qu'on appelle les zoonoses. Le concept One health exprime justement l'idée qu'il ne peut pas y avoir de santé humaine si l'on n'intègre pas la prise en compte de la population animale, mais aussi l'état de santé des écosystèmes dans lesquelles vivent ces populations animales».
60% des maladies infectieuses qui touchent l'humain aujourd'hui sont des pathologies qui viennent du monde animal. On ne peut plus considérer la santé humaine sans considérer la santé animale et donc son environnement.
«Si on a un risque de voir se développer aujourd'hui les zoonoses de façon extrêmement marquée c'est notamment parce que l'on dégrade des forêts primaires, des forêts tropicales dans lesquelles vivent des populations animales qui n'étaient jusque-là jamais en contact avec les humains, et que la pénétration des humains dans ces milieux sauvages met en contact la population humaine avec des virus, des bactéries, de micro-organismes auxquels elle n'a jamais été confrontés par le passé, poursuit Philippe Perrin, évoquant aussi plus largement l'effondrement de la biodiversité et des transports de populations et de biens d'un bout à l'autre de la planète de plus en plus rapidement. Un ensemble de facteurs qui favorise la propagation de ces maladies. « Ces zoonoses, ces maladies transmises de l'animal à l'homme vont donc très certainement se multiplier à l'avenir. Il nous faut absolument intégrer cette idée d'interdépendance totale aujourd'hui, si nous voulons limiter ces maladies ».
Un combat de longue haleine
Philippe Perrin est un expert combatif (en atteste sa volonté de former les gens, et l'énergie qu'il y met), bien qu'un peu pessimiste. Du moins sur la question de la leçon qu'aurait dû nous donner la pandémie de Covid19. «Malheureusement, je ne pense pas que le public ait ne serait-ce que fait ce lien entre dégradation de notre environnement et Covid19», se désole l'éco-infirmier, qui déplore «une absence de vision globale» sur ces questions, couplée à une méconnaissance notoire : «Est-ce que la réaction n'est pas plutôt une méfiance vis-à-vis du monde animal ?», s'interroge-t-il, dubitatif. Pour autant, l'expert n'entend pas baisser les bras. Il était encore au Québec en octobre dernier, lors du congrès mondial du Sidiief (réseau international des infirmiers francophones), pour défendre ses idées. Il continue d'arrache-pied à former les professionnels, le grand public, à ces questions si intimement liées à notre avenir proche - à notre présent même.
Notre système de santé traite les maladies mais rarement de prévention primaire, celle qui éviterait ces maladies.
«Le monde scientifique, le monde des soignants est davantage sensibilisé à ces problématiques, mais aujourd'hui, les effets de la Covid sont en réalité assez redoutables : un seul exemple, on utilise des désinfectants à outrance pour lutter contre le virus, or ces désinfectants, qui finissent tôt ou tard dans l'environnement, comptent parmi les principaux vecteurs de l'émergence de bactéries, de virus, résistants aux antiviraux, aux antibactériens... Un mauvais usage des anti-microbiens en règle générale est l'un des facteurs les plus puissants d'apparition de nouvelles souches bactériennes ou virales», se désole l'éco-infirmier. C'est le serpent qui se mord la queue. «La lutte contient, dans ses outils-mêmes, des effets pervers, qui vont nous revenir, tôt ou tard, au visage... Alors que faire ?»
Pour Philippe Perrin, il y a urgence (sur le terrain du climat et de l'environnement, le champ lexical tient maintenant de l'urgence) «à dépasser notre vision très tronquée des choses, ce qui nous ramène une fois de plus à cette notion de transversalité, fondamentale. Nous devons voir plus loin».
Notre système de santé traite les maladies mais quasiment jamais de prévention primaire, celle qui éviterait ces maladies.
Expertise appliquée
Tout en gardant en tête cette imbrication des causes et des effets, l'éco-infirmier doit résolument devenir un interlocuteur de poids, notamment en apportant des solutions, assure Philippe Perrin : «On peut l'imaginer devenir le référent au sein d'un service, d'un pôle ou d'une structure, prêt à répondre aux questions de ses collègues et à même de les sensibiliser. Ces sujets sont extrêmement larges : on se trouve dans le champ de la santé environnementale, qui parle de comment les facteurs (déterminés par l'OMS) physiques (pollution liée à la radioactivité, ondes électromagnétiques générées par les téléphones portables, antennes-relais, les températures, la qualité de la lumière, influence des couleurs...) chimiques (perturbateurs endocriniens, contaminants de l'eau, influence des emballages alimentaires, des additifs...), mais aussi biologiques, sociaux, psychosociaux et esthétiques..., agissent sur la santé. Le sujet est donc gigantesque».
Nous avons besoin de professionnels diplômés, formés à ces questions et qui, de plus, sachent donner envie de s'intéresser à ces sujets.
Pour l'éco-infirmier, à qui on a déjà demandé s'il était un «infirmier discount» ("éco") rappelle-t-il en plaisantant, «nous manquons cruellement de formation et de connaissance sur le sujet. Les médecins ne sont pas formés sur ces sujets, pas plus que les infirmiers, les sages-femmes ... Nous avons un vrai problème de compétences sur le sujet de la santé environnementale». Les questions sont pourtant aussi nombreuses que nos sujets d'angoisse : Comment s'alimenter sans s'empoisonner ? Comment éviter les cancers ? Comment se préserver et préserver le bébé pendant une grossesse ... «Nous avons besoin de professionnels diplômés, formés à ces questions et qui, de plus, sachent donner envie de s'intéresser à ces sujets», martèle l'éco-infirmier.
Les réponses doivent avoir une résonance dans la vie quotidienne : «Comment se protège-t-on des surchauffes d'été ? Comment peut-on se mettre à l'abri de ces évolutions climatiques ? Des problèmes d'accès à l'eau. Comment aussi protéger nos ressources ? Etc. ». Pour Philippe Perrin, les infirmiers (libéraux et hospitaliers) et de manière général, les professionnels de santé, ont un rôle majeur à jouer sur le plan de la santé environnementale, et notamment dans le domaine de la prévention primaire, c'est à dire dans la diminution des facteurs de risques de maladies. Une manière, pour l'éco-infirmier, d'inviter les professionnels à faire bouger les lignes, d'abord à l'échelle locale, accessible à tous, à nous tous.
Deux passions : la santé et l'environnement
Formé à la santé publique et au métier d'éco-conseiller, Philippe Perrin se définit comme un «éco-infirmier» et propose, depuis plusieurs années, de sensibiliser les soignants à l’identification des risques et à l’adoption de comportements protecteurs. Initialement intégré à l'IFSI de Saint-Egrève près de Grenoble, l'Institut qu'il a fondé (l'Institut de Formation en Santé Environnementale - IFSEN) propose une formation certifiante en présentiel à Paris ou en distanciel, d'une durée de neuf mois, à raison de trois jours par mois.
L'écologie n'est plus, aujourd'hui, un thème anecdotique dans les établissements de santé. Très intéressé par les thématiques sur l'environnement, Philippe Perrin a fait plusieurs stages, notamment en cancéro-pédiatrie, où il a constaté à quel point il était choquant d'imaginer que beaucoup d'enfants n'auraient jamais dû se trouver face à la maladie si leurs parents, leur environnement ou encore l'environnement de la grossesse avait été autre. Peu à peu, l'infirmier souhaite investir le champ de la prévention et de la promotion de la santé. Il réalise donc un mémoire sur le thème «Eco-infirmier, une autre voie».
«J'étais passionné par deux thématiques : celle de la santé et celle de l'environnement. J'ai fait des études de santé pendant lesquelles on ne m'a pas parlé d'environnement et une formation d'environnement pendant laquelle on ne m'a jamais parlé de santé, comme si les deux choses étaient complètement dissociées l'une de l'autre. Alors même que dès le début des années 90, on avait accès à de premières études épidémiologiques qui montraient les influences délétères de la dégradation de la qualité de l'air sur la santé respiratoire des très jeunes enfants».
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