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PRIX DE LA RECHERCHE EN SCIENCES INFIRMIÈRES 2024

"Quelle place pour le savoir scientifique dans la pratique infirmière ?" Laurent Poiroux, prix de la "Meilleure publication scientifique"

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Publié le 17/07/2024

Le Prix de la recherche en sciences infirmières a distingué cette année Laurent Poiroux pour son travail sur l'utilisation des données de recherche par les soignants non-médicaux. L'infirmier et maître de conférence en sciences infirmières à la faculté de Santé de l'Université d'Angers, prix de la «Meilleure publication scientifique», a répondu à nos questions.

Recherche

Comment en êtes-vous arrivé à la recherche ? 

Lors de ma formation post-diplôme en Suisse, alors que j'effectuais un certificat de spécialisation en soins intensifs, j'avais été sensibilisé à la lecture et l'utilisation de travaux de recherche. Je vous parle d'un temps où Internet n'existait pas, donc il fallait aller à la bibliothèque universitaire, il y avait des abonnements, on avait accès à des articles en version papier et ça me plaisait beaucoup de savoir qu'on pouvait justifier une pratique à partir de données tangibles et analysées. Ma deuxième confrontation à la recherche s'est opérée lorsque je suis devenu cadre de santé dans un service de médecine intensive et de réanimation, à Angers, dans les années 2000. Il y avait une culture de la recherche très marquée dans ce service. Les médecins publiaient dans les meilleures revues internationales.

Faire de la recherche me semblait très stimulant et en 2009, est parue la première circulaire annonçant que le ministère de la santé ouvrait un appel à projets pour les infirmières (le Programme hospitalier de recherche infirmière - PHRI). Il ouvrait la possibilité d'obtenir un financement pour des projets de recherche infirmière. J'ai donc constitué un petit groupe de travail dans le service, on a obtenu un premier financement. Puis, y ayant pris goût, j'ai continué. 

 

Mon mémoire a vraiment concrétisé cette envie de savoir comment les infirmiers prenaient leurs décisions lorsqu'ils étaient en situation de soin et si dans leurs décisions, il y avait de la place pour du savoir scientifique, du savoir créé par la recherche.

Comment s'est organisé votre parcours? 

Fort de cette dynamique, j'ai souhaité renforcer mon parcours académique. En Master, l'écriture de mon mémoire m'a ensuite permis de concrétiser cette envie de savoir comment les infirmiers prenaient leurs décisions lorsqu'ils étaient en situation de soin et si dans leurs décisions, il y avait de la place pour du savoir scientifique, du savoir créé par la recherche. 

Laurent PoirouxQuelques années plus tard, je me suis dit : pourquoi ne pas continuer en thèse et travailler sur l'impact de cette recherche sur les patients, en réanimation. C'est ainsi qu'est né mon projet de thèse, encouragé par mon chef de service. Celui-ci portait précisément sur ce sujet : «étude de l'impact des soins infirmiers sur le confort, la sécurité et le devenir des patients de réanimation». Comme j'étais cadre de santé, ce sont 4 années qui ont représenté beaucoup d'investissement personnel. 

Comment s'articulent vos travaux ? 

Je travaille autour de deux ou trois axes principaux. Le premier concerne la recherche clinique pour améliorer les soins infirmiers en réanimation. Le second volet porte sur le raisonnement clinique infirmier et l'étude des modalités de prise de décision des infirmières en situation de soin.

Un troisième volet, plus récent mais passionnant, concerne l'organisation et la charge de travail des infirmières et des conséquences d'une charge de travail élevée, telles que le burn-out, la décision de quitter le service, voire même la profession. Il s'agit aussi d'observer les conséquences des organisations de travail sur les patients. En effet, du fait de la surcharge de travail, certains soins infirmiers peuvent ne pas être réalisés, le devenir des patients peut être impacté, sans parler des conséquences comme le turn-over et même une hausse des coûts de santé... Autant d'hypothèses qu'il serait intéressant de confirmer. 

Où en êtes-vous de ces travaux ? 

Avec des collègues chercheurs, l'un de Nantes et l'autre de Bruxelles, nous venons de terminer deux études d'évaluation de la charge en soin. Avec la première, nous avons évalué la charge en soins, c'est à dire l'activité infirmière sur plusieurs milliers d'infirmiers de réanimation à travers une centaine de services en France. L'article vient tout juste d'être soumis. La deuxième étude, dont l'écriture est en cours de finalisation, visait à évaluer cette charge en soin sur le burn-out des infirmiers de réanimation et sur les soins infirmiers non-réalisés. 

Vos travaux font écho à l'actualité de la profession, aujourd'hui en difficulté... 

Pendant le Covid, les infirmiers en général ont été extrêmement mobilisés et les infirmiers de réanimation tout particulièrement. C'est la raison qui nous a poussés à nous regrouper dans une Fédération Nationale des Infirmiers de Réanimation (FNIR), au sein de laquelle j'ai souhaité que soit créée une commission «recherche et publication». C'est dans ce cadre-là que nous travaillons sur des sujets éminemment actuels en effet. 

Dans le monde, il n'y a pas beaucoup de législations qui ont établi des ratios obligatoires du nombre d'infirmiers par patient. En France, depuis 2002, un décret prévoit qu'un infirmier doit s'occuper de 2,5 patients en réanimation et 4 patients en unité de surveillance continue qu'on appelle maintenant les unités de soins intensifs polyvalentes. Ce décret a été mis à jour en 2022, mais il n'y a pas de bases théoriques à ces chiffres, c'est basé sur la pratique. Ce décret précise aussi que ce ratio devrait être réévalué dans les 18 mois. Il me semble donc important de se pencher sur ces questions pour apporter des données probantes sur lesquelles se fonder. 

 

Parcours d'un infirmier-chercheur 

Infirmier depuis 1989, Laurent Poiroux a multiplié les expériences en France et à l’étranger : service de réanimation au CHUV de Lausanne pendant 4 ans, expérience humanitaire en République démocratique du Congo avec Médecins sans frontière dans le sillage du génocide des Tutsis par les Hutus, puis retour en France en 1995, au CHU d’Angers, aux urgences d’abord puis en SMUR, avant de devenir cadre de santé en médecine intensive et de réanimation. C’est d’ailleurs cette dernière expérience professionnelle qui l’a mené à la recherche en soins infirmiers. Il est l’un des tout premiers infirmiers à recevoir une bourse, lors de la première édition du PHRIP, en 2010, dont il déclare être encore aujourd’hui le plus fier. Son engagement dans la recherche pousse l’établissement à lui confier les missions de coordonnateur paramédical de la recherche, un poste qui vient alors d’être nouvellement créé. Depuis septembre 2023, il occupe un poste de maitre de conférences en sciences infirmières à la Faculté de santé de l’université d’Angers, où il participe notamment à la coordination d’un projet expérimental de Licence mention sciences pour la santé – Parcours sciences infirmières et à celle d’un Master menant au diplôme d’IPA.

Le PRSI récompense son travail sur l'utilisation des données de recherche par les soignants non-médicaux, et plus précisément sur les obstacles que rencontrent ceux qui exercent en services de réanimation. L'article a été publié en janvier 2024 dans la revue Intensive and Critical Care Nursing. Plus largement, les travaux de recherche de Laurent Poiroux se concentrent sur les pratiques infirmières en réanimation, telle que l'étude Oxyréa sur l'impact des soins infirmiers sur le confort des patients sous oxygène en réanimation. 

Parmi ses publications
- « Réalité d’un projet de recherche infirmière en France », Medecine Intensive Reanimation, 2011 (Vol 20)
- « Projet CHIC : étude sur les relais de noradrénaline », Oxymag, septembre 2016, Elsevier
- « Bilan d’une adaptation organisationnelle pendant l’épidémie de Covid-19 », Soins Cadres, août 2020, Elsevier
- « Use of Screen-Based Simulation in Nursing Schools in France: A National, Descriptive Study », Clinical Simulation in Nursing, décembre 2022, Elsevier
- « Barriers to research findings utilization amongst critical care nurses and allied health professionals : an international survey », Intensive and critical car nursing, janvier 2024, Elsevier

 


Source : infirmiers.com