L’École universitaire de recherche (EUR) sciences infirmière en promotion de la santé entend avant tout répondre à un besoin bien identifié : pouvoir structurer cette discipline et lui permettre de s’autonomiser des autres champs disciplinaires de la recherche en santé. Condition sine qua non pour « permettre aux sciences infirmières d’exister, de s’implanter et de répondre à des questions de santé qui ne sont aujourd’hui pas abordé », a fait valoir Aurore Margat, infirmière et directrice de l’EUR, lors de la Grande discussion organisée par le Secrétariat international des infirmières et des infirmiers de l'espace francophone (Sidiief). La création de l’EUR a pour but d’accompagner les étudiants de second cycle qui souhaiteraient poursuivre leurs études en Master, puis en doctorat, ainsi que les projets de recherche initiés par des infirmiers.
Outre cet impératif de structuration, il est également question de formation. Si cette nouvelle composante de l’université peut s’appuyer sur des cursus déjà constitués qui « répondaient à des besoins identifiés par nos collègues infirmiers sur le terrain », elle aura aussi à imaginer de nouvelles formations pour accompagner le développement et l’encadrement de la recherche infirmière. « On travaille à deux jours de séminaire sur « Violences et champ infirmier » », donne sa directrice en exemple. Certaines seront ainsi diplômantes, quand d’autres seront certifiantes, précise-t-elle.
L’EUR doit en grande partie sa création à une base solide et bien installée localement au sein de Sorbonne Paris Nord par la chaire Recherche en sciences infirmières, dirigée par Monique Rothan-Tondeur. Elle a également pu bénéficier de la présence du Laboratoire Éducation et pratiques de santé (Leps), installé au sein de l’université. Ses financements, eux, proviennent de plusieurs sources : d’une part de l’État et d’autre part des moyens alloués aux travaux de recherche. S’y ajoutent enfin les financements provenant des formations continues.
Quant à l’orientation donnée à ses projets de recherche, soit la promotion en santé, celle-ci a été décidée car « l’EUR est implantée en Seine Saint-Denis, soit l’un des départements les plus pauvres de France, où les questions » relatives à ce champ du soin « sont prioritaires. Les inégalités sociales y sont importantes, et se sont accentuées avec la pandémie. Il semblait plutôt logique de s’ancrer dans ce champ, avec l’envie de répondre par les sciences infirmières à un besoin et de proposer une recherche qui soit utile socialement », détaille-t-elle.
Il y a un travail à faire au sein de la profession pour convaincre que la recherche fait partie de notre métier, qu’elle participe à notre autonomisation.
Une recherche qui doit venir du terrain
Pour autant, la création de l’EUR n’est pas allée sans rencontrer quelques obstacles sur son chemin. Institutionnels, organisationnels, financiers…, certes mais c’est surtout « la motivation personnelle » des professionnels à s’engager qui s’avère critique. « Il y a un travail à faire au sein de la profession pour convaincre que la recherche fait partie de notre métier, qu’elle participe à notre autonomisation », a défendu Aurore Margat. Pour « donner envie » aux professionnels de faire de la recherche, il faut l’autoriser « à se faire à différents niveaux ». Si des postes d’universitaires sont évidemment nécessaires, les activités de recherche s’organisent également « dans les services, au quotidien, dans les soins », a-t-elle listé, appelant à valoriser ce qui se fait sur le terrain. Ce point de vue, a-t-elle insisté, est essentiel car il permet non seulement d’encourager les professionnels à se lancer mais aussi parce que la recherche a avant tout pour objectif final d’améliorer les pratiques dans le soin. « Les sciences infirmières doivent émerger du terrain et y retourner. Ce me semble une nécessité absolue », a-t-elle encore abondé. « Ce n’est pas une science qui doit rester théorique. »
Dans ce contexte, l’EUR défend la création d’un statut de bi-appartenant pour les enseignants chercheurs en sciences infirmières, une position que présentait déjà l’IGAS mi-mars 2024 dans son rapport sur les personnels encadrants des formations paramédicales. Ce type de poste partagé, qui suppose qu’un professionnel divise son temps entre activité de recherche et activité clinique sur le terrain, règlerait notamment les problématiques de revenus auxquels les infirmiers qui veulent se lancer dans un projet de recherche se heurtent encore trop souvent, a-t-elle défendu.
Pour proposer un projet de recherche à l’EUR, il faut qu’il soit en phase avec le domaine de l’institution et que l’étudiant ait un Master 2. Il est également indispensable de se questionner sur son projet professionnel : « Pourquoi faire un doctorat ? Quelles sont les perspectives ? Comment s’organise-t-on ? ». L’EUR recommande d’ailleurs une année préparatoire à l’entrée en thèse, une année test qui permet au directeur et à l’étudiant de se rencontrer, de réfléchir, de préparer le dossier de candidature.
À l’heure actuelle, l’EUR accompagne déjà plusieurs projets de recherche, dont :
- La place de la décolonisation du savoir, soit le partage des connaissances acquises par la France et par la République du Congo, dans une « logique de partenariat » avec sa chaire sur l’accompagnement et le déploiement des sciences infirmières. Il doit notamment s’interroger sur la manière dont se joue l’universitarisation de la formation dans ces deux pays, avec « l’idée de ne pas imposer un savoir infirmier qui proviendrait des pays du nord. »
- Un projet partagé avec l’Agence régionale d’Ile-de-France « pour questionner le rôle des infirmiers en pratique avancée dans le champ de la promotion de la santé » et la façon dont ils y contribuent.
L’objectif : « ne plus se questionner sur l’intérêt des sciences infirmières »
Car en attendant, l’équipe qui compose l’école demeure très réduite et limite donc sa possibilité à accompagner des recherches. De fait, pour que les effectifs du corps professoral augmentent, il faut que certains s’engagent dans cette voie une fois leur doctorat en poche. En attendant, l’EUR a besoin de s’attacher à d’autres champs pour exister : sciences de l’éducation et de la formation, ou encore santé publique.
Dans cette perspective, l’école se pose comme « une entité transitoire, qui a vocation, à termes, d’accompagner la structuration soit d’une faculté, soit d’un institut. Si elle fait bien son travail, dans 5 ou 10 ans, on pourra parler de faculté en sciences infirmières », projette sa directrice. Avec l’espoir que d’ici là, « on ne se questionne plus sur l’intérêt des sciences infirmières, qu’on ait prouvé à tout le monde qu’elles sont d’utilité publique.»
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