Dans les rangs des infirmiers, l’heure est à l’incertitude et à la frustration. La dissolution de l’Assemblée nationale annoncée par Emmanuel Macron à la suite des résultats des élections européennes agit comme un terrible coup de tonnerre. Car les conséquences pour le monde de la santé sont nombreuses : suspension des discussions sur la fin de vie, annulation du Conseil national de refondation sur la santé mentale ou encore, tout aussi fondamental pour les infirmiers, mise à l’arrêt des différentes évolutions qui devaient transformer le métier, à commencer par sa refonte. De quoi bouleverser l’agenda de la nouvelle présidente de l’Ordre national des infirmiers (ONI), Sylvaine Mazière-Tauran. La conférence de presse du 12 juin 2024, qui devait être une conférence de présentation, a donc été dominée par l’actualité politique. Avec une préoccupation chez l’Ordre : maintenir le dialogue avec les partis afin de rappeler, si besoin était, la nécessité de faire évoluer le métier d’infirmier ainsi que son référentiel de formation.
3 textes prêts à être publiés
« La dissolution de l’Assemblée nationale est un choc car nous avions une actualité politique importante, avec des décrets et des arrêtés qui étaient prêts et devaient être prochainement publiés », a regretté Sylvaine Mazière-Tauran. Les textes dont il est question sont ceux relatifs à la primo-prescription et à l’accès direct pour les infirmiers en pratique avancée (IPA), très attendus par ces professionnels depuis le vote de la loi Rist en mai 2023 et dont la publication était prévue avant l’été. Sont également concernés le texte cadrant le statut d’infirmier référent, contenue dans la loi pour l'amélioration de l'accès aux soins portée par Frédéric Valletoux et adoptée en juin 2023, et celui sur la prise en charge des plaies et de la cicatrisation, également présent dans la loi Rist. Ce dernier autorise notamment les infirmiers à prescrire des pansements, simplifiant ainsi l’accès aux soins et limitant le risque de plaies chroniques. Soit autant de mesures jugées indispensables dans un contexte où se confrontent vieillissement de la population et augmentation des pathologies chroniques, et pénurie de professionnels. « Nous avons pris contact avec le cabinet [du ministère de la Santé] pour que ces trois textes soient publiés avant le 30 juin », date du premier tour des élections législatives. « Ce sont des mesures qui ont un impact direct en termes de santé publique », a-t-elle insisté.
Chez les IPA, on partage ce sentiment d’urgence. Les textes sont passés par toutes les étapes de la concertation, ils sont prêts à être publiés. Et doivent donc l’être rapidement. « Nous demandons [au Premier ministre, au ministre du Travail, de la Santé et des Solidarités, et au ministre délégué à la Santé] de signer en urgence les décrets et d’enjoindre l’administration à promulguer l’arrêté. Ces textes sont victimes d’une inertie rarement vue jusqu’ici, la Loi Rist ayant été adoptée depuis plus d’un an », réagissait ainsi l’Union nationale des IPA (UNIPA) dans un communiqué, le 12 juin.
Les infirmiers pratiquent dans un champ moderne de la médecine, alors que le décret d’actes date de 20 ans et n’a pas suivi les évolutions.
Coup d'arrêt pour la refonte, qui devait être présentée cette semaine
La frustration est d’autant plus grande chez les infirmiers qu’un autre dossier, primordial pour la profession, était en passe de franchir une étape : celui de la refonte. Le texte aurait dû « être présenté cette semaine à l’Assemblée nationale », a révélé la présidente de l’Ordre. La réforme, très attendue depuis l’annonce des travaux par François Braun en mai 2023, résulte « d’une préparation qui a fait consensus, et qui permettait de donner plus d’autonomie aux infirmiers et de reconnaître leurs compétences professionnelles ». Il autorisait notamment une montée en compétences, en lien avec une collaboration plus étroite avec les médecins, et une « définition de missions plus adaptées aux pratiques actuelles » contenant également de nouveaux actes de soin, a-t-elle listé. La refonte du métier a pour objectif de répondre à une inadéquation de plus en plus grande entre les besoins de la population et les attentes des infirmiers, et ce que leur permet leur cadre réglementaire. « Les infirmiers pratiquent dans un champ moderne de la médecine, alors que le décret d’actes date de 20 ans et n’a pas suivi les évolutions » traversées par le système de santé et la société. « Nous sommes encore dans une logique d’actes alors que les infirmiers utilisent le raisonnement clinique, sont capables de poser un diagnostic et de proposer des actions de prise en soin. »
Le coup d’arrêt provoqué par la dissolution de l’Assemblée nationale est donc vécu comme un coup dur. La loi telle qu’elle a été imaginée durant les travaux était prévue pour s’inscrire dans un dispositif réglementaire à plusieurs entrées : un décret adopté en Conseil d’État, suivi d’un décret simple posant le nouveau cadre d’activité et de textes techniques décrivant le référentiel de compétences des infirmiers, complétés d’une liste d’actes fixés par arrêté, et donc susceptible d’être régulièrement mise à jour. C’est d’ailleurs sur cette liste que devaient s’appuyer les futures négociations conventionnelles pour les infirmiers libéraux, qui ne cessent également de leur côté d’en réclamer d’urgence l’ouverture. « Nous allons adresser une lettre ouverte aux partis politiques pour leur rappeler la nécessité de rénover la profession infirmière et insister sur le fait qu’elle est en attente de ces changements, que c’est fondamental pour elle », a fait savoir Sylvaine Mazière-Tauran. Qui n’exclut pas la possibilité que, en fonction de la nouvelle composition de l’Assemblée nationale, le contenu du texte puisse être finalement retravaillé.
Un focus nécessaire sur l'organisation des soins
Restent toutefois plusieurs chantiers que l’Ordre entend poursuivre, voire entamer, dans les mois à venir. À commencer par la nécessité de porter une réflexion de fonds sur l’organisation des soins, avec en particulier la définition de ratios entre infirmiers et patients. Le ratio idéal est ainsi estimé à « 1 infirmier pour 6 à 8 patients, mais chez nous, nous avons le double » , a rappelé Mabrouk Nekaa, trésorier adjoint du Conseil national de l’Ordre et président du Conseil départemental de l’Ordre Loire. Il faut également « éviter le gaspillage médical » lorsque certains actes peuvent être réalisés par les infirmiers. Mabrouk Nekaa vise ici notamment la réalisation des certificats décès par les infirmiers, qui fait l’objet d’une expérimentation générale sur le territoire et dont l’Ordre pousse la mise en œuvre. De manière générale, l’accent doit être mis sur la coopération entre les différentes professions de santé, et ce dès la formation. Une formation qui, pour les infirmiers, doit être revue : non seulement lui manque-t-il 400 heures pour correspondre aux standards fixés par l’Union européenne dans les accords de Bologne*, mais elle est aussi jugée inadaptée aux réalités du terrain par 53% des professionnels, selon un récent sondage de l’Ordre. La formation socle, sur 3 ans, pourrait passer à 4 ans, comme c’est le cas en Belgique, a-t-il avancé. « Elle permettrait d’acquérir plus de compétences, et donc d’exercer ensuite avec de meilleures conditions de travail. »
Ce coup d’arrêt à la refonte du métier a aussi un impact direct sur l’évolution de la formation socle, qui dépend entièrement du nouveau référentiel, mais aussi sur celle des différentes spécialités. À commencer par les infirmiers anesthésistes qui, depuis la publication du rapport de l’IGAS préconisant l’inscription de leur exercice en pratique avancée en janvier 2022, n’ont pas vu le dossier avancer d’un iota. Même chose pour les infirmiers puériculteurs (IPDE) qui, à la suite des Assises de la pédiatrie, ont obtenu de voir leur formation intégrer de la pratique avancée. Côté infirmiers de bloc (IBODE), c’est la question des mesures transitoires et des conditions pour former les infirmiers exerçant en bloc qui est dans toutes les têtes. « Il y a une réelle urgence à mettre en place un plan de formation pour avoir des infirmiers spécialisés dans ce domaine », a réagi Samira Ahayan, secrétaire générale de l'Ordre. « On doit avoir des infirmiers avec un diplôme, et non pas d'infirmiers faisant fonction. C'est une question de sécurité sanitaire. » Autant de sujets qui sont désormais au point mort. L’idée était en effet d’achever les travaux sur le métier socle avant d’entamer ceux sur les spécialités. « Les travaux sur la refonte se sont achevés le 15 mai, et derrière, on devait réenclencher pour les spécialités », a en effet indiqué Sylvaine Mazière-Tauran.
#MeToo à l'hôpital, l'autre sujet de préoccupation
Enfin, l’Ordre demeure attentif à l’ensemble « des sujets sociétaux », a poursuivi Sylvaine Mazière-Tauran. Et notamment à l’émergence de #MeToo à l’hôpital. « C’est un sujet qui nous préoccupe » et qui donnera lieu à une prochaine consultation sur les violences sexistes et sexuelles organisée par l’ONI auprès de ses adhérents. « On travaille sur la sensibilisation et la prévention, sur l’accompagnement des victimes et leur défense lorsqu’elles passent devant les instances juridiques », a-t-elle tenu à rappeler. À noter que l’Ordre a mis en place un Observatoire des violences contre les infirmiers, pour que les professionnels qui sont victimes ou témoins de ce type de faits puissent le signaler.
*Accords qui ont été signés en 1999 et qui ont créé un espace européen de l’enseignement supérieur, notamment en généralisant le cursus Licence-Master-Doctorat.
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