PORTRAIT / TEMOIGNAGE

Guyane : "J’étais en poste isolé, la seule soignante avec un groupe en mission"

Publié le 15/05/2020
Guyane

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Audrey (pour des raisons de sécurité les militaires restent anonymes) est infirmière militaire à l'hôpital d'instruction des armées Bégin à Saint-Mandé dans le Val-de-Marne (94). Après 17 ans de service, elle est envoyée en Guyane pour une mission de soutien sanitaire des troupes chargées de lutter contre l’orpaillage illégal. Marches longues et périlleuses dans la jungle, surveillance constante du groupe, prise en charge des blessés. Elle raconte quatre mois et demi d’un travail très éloigné de son quotidien.

Audrey exerce depuis 17 ans comme infirmière militaire. En 2018, elle est en poste à l’hôpital Begin, au sein du pôle médical. C’est là qu’elle effectuera la seconde mission de sa carrière* (cf notre encadré sur son parcours).

Courant 2019, Audrey est envoyée en Guyane près de 4 mois ½ dans le cadre de l’opération Harpie, mission de lutte contre l’orpaillage illégal.

Fin 2019, elle est ainsi envoyée en Guyane pendant près de 4 mois ½ dans le cadre d’une mission de lutte contre l’orpaillage illégal. On était 4 infirmiers rattachés à la compagnie : 2 hospitaliers et 2 infirmiers des forces. J’étais avec le 27e BCA – le 27e bataillon de chasseurs alpins (4 sections avec une centaine d’hommes). On s’est peu vus avec les autres infirmiers, on est projetés très rapidement.

Des prérequis sont demandés avant projection, notamment une formation de secours au combat de niveau 3, qui implique de connaître les gestes de réanimation à l’avant (au plus près) pour savoir prendre en charge les blessés graves. L’infirmière se retrouve alors en poste isolé, c’est-à-dire comme seule soignante (parfois avec un auxiliaire sanitaire) avec un groupe en mission. Il peut y avoir des moments stressants, on est en pleine jungle, c’est une situation particulière, mais je n’ai pas eu de grosses appréhensions, assure-t-elle.

Pathologies tropicales, envenimation… les risques d’un milieu spécifique

Sur le terrain, les soignants sont encadrés. On suit des protocoles établis par le Centre Médical Interarmées (CMIA). On a aussi un téléphone satellitaire (grâce aux transmetteurs) qui permet d’établir une connexion avec les moyens de secours (et donc avec les médecins). Avant de partir dans la jungle, les infirmiers se présentent d’ailleurs aux médecins de l’antenne militaire (deux centres médicaux sont ainsi respectivement basés à Kourou et à Cayenne, où travaillent des infirmiers, des médecins et des auxiliaires sanitaires). On reçoit au Centre Médical une formation sur le milieu spécifique, explique Audrey. Les équipes reprennent les protocoles, nous détaillent les particularités liées au terrain : pathologies tropicales et tout ce qui est lié à la faune et à la flore (le risque d’envenimation) ainsi que les prises en charge, pour éviter qu’on se retrouve pris au dépourvu.

Malgré tout, les imprévus arrivent plus vite qu’on ne pense sur le terrain. « Un jour, un gendarme qui se trouvait dans mon groupe a été mordu par une chauve-souris. Je ne l’ai su que le soir », raconte Audrey. Il s’est fait mordre le dernier jour de la mission. Ce sont des choses qui arrivent souvent aux pieds, pendant la nuit. C’est pourquoi on fait beaucoup de recommandations en préventif pour éviter les morsures. On explique aux militaires qu’ils doivent porter des chaussettes ou mettre leurs pieds sous des couvertures, qu’ils doivent installer la moustiquaire… J’ai regardé la blessure, désinfecté et pris une photo que j’ai envoyée au médecin d’astreinte du Centre Médical Interarmées. Comme le gendarme repartait en métropole, je l’ai envoyé au dispensaire et le médecin a confirmé que c’était bien une morsure de chauve-souris. Il a été soigné.

On est sale en permanence, on marche dans la boue, on est mouillé 12h/24. Le soir seulement on a des vêtements secs dans nos sacs hermétiques

"On l’a déshabillé, baigné dans un cours d’eau"

Les infirmiers militaires sont envoyés en soutien sanitaire des troupes. Seuls en mission avec les soldats, il leur faut avoir sur eux tout le matériel de secours nécessaire. On a des garrots, de quoi perfuser, des médicaments anti-douleur, des antibiotiques, de l’adrénaline...  Lorsque quelque chose se produit, tout est protocolé. Il faut savoir détecter le problème. On entreprend les premiers gestes et puis on appelle le médecin pour lui rendre compte, pour lui demander un avis et organiser une évacuation le cas échéant, précise Audrey, qui aura passé plus de 100 jours en forêt sur les 4 mois ½ qu’aura duré la mission. Le reste du temps, les infirmiers travaillent au CMIA, en renforcement des équipes médicales, où ils effectuent les soins standards, pansements, piqûres… et tous les soins courants.

L’infirmière se souvient d’un jour où un militaire a souffert d’un coup de chaud. Je pouvais difficilement l’évacuer parce que les conditions ne le permettaient pas, confie Audrey. On l’a déshabillé, baigné dans un cours d’eau pour le refroidir, on l’a ventilé… Puis, son état s’est amélioré. J’ai pris l’avis d’un médecin qui m’a dit de le garder si je considérais qu’il était stabilisé. C’est donc beaucoup d’évaluation. Et de responsabilité. Le groupe a finalement rebroussé chemin pour rentrer doucement.

Les infirmiers tournants comme on les appelle par opposition aux infirmiers permanents des CMIA ont un rôle essentiel de prévention auprès des militaires : on rappelle les conditions d’hygiène, on s’assure que les militaires ne boivent pas d’eau n’importe comment… Une responsabilité qu’Audrey assume. Dans la jungle, l’infirmière n’a pas eu affaire à des cas très graves, se réjouit-elle, mais essentiellement des malaises, des coups de chaud, de multiples plaies infectées ainsi que de la petite traumatologie qu’il faut tout de même savoir prendre en charge rapidement.

Les maîtres-mots en forêt : prévention et surveillance. On est sale en permanence, on marche dans la boue, on est mouillé 12h/24. Le soir seulement on enfile les vêtements secs qui se trouvent dans nos sacs hermétiques. A cause de ce climat, la moindre plaie peut s’infecter et tout peut vite dégénérer. On a du mal à guérir les plaies en forêt. On demande donc aux militaires de s’inspecter eux-mêmes régulièrement. On soigne beaucoup de problèmes de pieds liés à la macération, surtout des problèmes d’irritations, de frottements, de brûlures...

8 ou 10 heures de marche, avec beaucoup de dénivelé, des marécages

Audrey se souvient des débuts difficiles. On est allés au stage d’initiation à la vie en forêt équatoriale avec toute la compagnie, pour deux jours de préparation intensive. On apprend alors à faire un bivouac, à prendre le bon matériel pour faire son sac en forêt, à faire des nœuds (pour les hamacs ou le franchissement de cours d’eau - un bon nageur passe en premier et puis les autres le suivent), ainsi que des techniques de brancardage, entre autres. Sur le terrain, il lui faut aussi porter son sac et son gilet de combat… qui peut aller jusqu'à 25kg au total.
Pour suivre physiquement, c’est un peu compliqué. Il faut de la force de caractère. Je suis assez sportive. Les marches sont difficiles : il y a des jours où on a marché 8 ou 10 heures avec beaucoup de dénivelé, des marécages... Sur 4 mois ½, on a vécu la saison humide et la saison sèche. Les premières marches ont été un peu difficiles dans les zones marécageuses, le terrain accidenté, le climat humide et chaud, les arbres immenses couchés un peu partout- ce n’est pas une petite balade dans le bois de Vincennes ! plaisante Audrey, qui a suivi. Il n’y avait pas le choix pour la bonne marche de la mission.

Je suis tombée sur des super groupes. Ils étaient très bienveillants et entraînés. Les deux jours de formation ont été très éprouvants et puis après, en forêt, j’ai pris le rythme.

Sang-froid et réactivité

Il arrive aussi que des civils viennent à la rencontre des soignants en mission. Un jour, j’ai pris en charge une Brésilienne qui saignait abondamment. Elle est venue à notre rencontre dans la jungle. J’ai compris que cette femme faisait une fausse-couche. Je l’ai fait évacuer par des hélicoptères du SAMU. Il arrive assez souvent que des civils viennent ainsi à notre rencontre. On agit évidemment. S’il ne s’agit pas d’une urgence vitale, on dirige plutôt les gens vers des dispensaires sur place… Quand la troupe part pour dix jours en forêt, des ravitaillements sont organisés par hélicoptère si nécessaire.

L’infirmière ne se rappelle pas avoir eu peur. Seulement des doutes. On a un tronçonneur avec nous, mais parfois, on réalise qu’une évacuation serait compliquée... J’ai eu la chance de ne pas connaître ce genre de cas, raconte Audrey, soulagée.

L’infirmière ne repartira pas forcément en mission en Guyane, parce qu’elle aime le changement, explique-t-elle, mais c’était très enrichissant sur le plan personnel, au niveau du dépassement de soi, assure-t-elle. On apprend à connaître ses limites et à se faire confiance. Les débuts, surtout, peuvent être éprouvants : monter et démonter son bivouac tous les jours ou presque, les marches plus ou moins longues en fonction de la mission, c’est très dur physiquement. On parvient à se surpasser. Je suis allée au-delà de certaines limites que je ne connaissais pas en moi-même, au-delà de la fatigue.

De sa mission, Audrey retient aussi la bienveillance et l’entraide. Heureusement, malgré les protocoles et bien qu’on soit en poste isolé, on ne se sent pas seule pour autant.

Le parcours d’Audrey, infirmière et militaire*

Audrey exerce depuis 17 ans comme infirmière militaire. L’armée l’attire depuis toujours, d’abord pour les nombreux métiers qu’elle offre. Après des études d’infirmière (profession qu’exerçait déjà sa mère et l’une de ses tantes) dans le civil, elle s’engage, en fin de 2e année.

En sortant de l’école, elle intègre le Val de Grâce, où elle travaille en clinique médicale et gastroentérologie. C’est alors qu’elle effectue sa première mission, au Tchad : J’étais en groupement médico-chirurgical (Role 2). On s’occupait des patients pris en charge par les chirurgiens, au bloc, puis pendant leur hospitalisation, se souvient-elle. Sur place, elle est amenée à faire des choses très différentes et apprend beaucoup sur le terrain.

Audrey est ensuite mutée dans le sud, à l’hôpital d’instruction des armées de Laveran, à Marseille, aux urgences, où elle restera six ans (une expérience qu’elle a adorée) avant de demander sa mutation sur une base aérienne, à Salon de Provence. Le travail qu’elle découvre est très différent de celui qu’elle a effectué jusque-là. L’administratif occupe une part importante de notre temps. Nous faisons aussi beaucoup de soutien sanitaire : nous accompagnons souvent les élèves pendant leur formation, afin de les prendre en charge en cas de blessures. En 2018, Audrey revient à l’hôpital Begin, cette fois au sein du pôle médical. C’est là qu’elle effectuera sa seconde mission.

Propos recueillis par Susie BOURQUINJournaliste susie.bourquin@infirmiers.com @SusieBourquin


Source : infirmiers.com