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Pratique Avancée

Sur le terrain, les premiers IPA peinent à s'imposer

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Publié le 26/04/2023

Une enquête de l'Institut de recherche et documentation en économie de la santé (Irdes) rapporte qu'en dépit de l'intérêt qu'ils expriment pour leur nouvel exercice, les infirmiers en pratique avancée (IPA) se heurtent à des difficultés majeures pour construire une activité clinique. Ils investissent en complément des activités de coordination d'équipe pluriprofessionnelle, ou continuent en parallèle à exercer en tant qu'infirmiers généralistes.

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Pour les IPA issus des premières promotions, le paysage n'est pas tout rose. Difficultés pour vivre de leur pratique, faibles files actives, hostilité de la part d'autres praticiens, relégation au «sale boulot» : ces professionnels , au-delà des l'intérêt exprimé pour leur métier, rencontrent sur le terrain de nombreuses embuches ou complications, détaillées dans un travail de recherche inédit. Celui-ci décrit, dans les grandes lignes, «le travail qu'elles doivent accomplir ne serait-ce que pour rendre possible l'activité prévue dans leur décret de compétences (...) et contribue à documenter le faible développement de leur activité clinique, et les difficultés qu'elles rencontrent au quotidien pour la construire». 

Faibles files actives de patients complexes

Alors que les IPA devaient contribuer à améliorer l'accès aux soins, l'enquête pointe en premier lieu «le faible nombre de patients qu'elles suivent, souvent limité à quelques dizaines». «Par exemple, Béatrice, installée depuis six mois et travaillant dans une MSP avec 5 médecins généralistes au sein de l'association Asalée indique suivre une quarantaine de patients. Françoise, travaillant à 80  %, installée depuis dix mois également en tant qu'IPA Asalée, n'effectue que 20  consultations par semaine. Aurélie, l'IPA ayant l'environnement le plus favorable, car bénéficiant d'un adressage important de la part du principal médecin avec qui elle collabore dans un désert médical, suit environ 200 patients».

Deuxième résultat majeur, «l'ensemble des IPA rencontrées témoigne d'une file active constituée principalement de patients qu'elles sont nombreuses à qualifier de 'complexes', car atteints d'une ou plusieurs pathologies chroniques non stabilisées, ou dont le suivi est considéré comme difficile du fait de leur situation sociale, de la faible observance du traitement médicamenteux, d'examens complémentaires non réalisés…» 

Les IPA relient ces premiers constats «aux réticences des médecins à leur adresser des patients ne nécessitant que des consultations de routine, du fait de la perte de consultations 'faciles' ainsi que des revenus associés que cela entraînerait pour eux». Or, comme le rappelle l'étude, «les IPA ne peuvent exercer en dehors du cadre d'un « protocole d'organisation » signé avec un médecin, et les patients ne peuvent consulter une IPA qu'en lui étant adressés par celui-ci».

Par ailleurs, les professionnels interrogés décrivent le cœur de leur activité clinique : «des consultations longues, pouvant durer une heure, voire plus, en raison du profil de patients qui nécessitent de nombreuses explications, orientations et prises de rendez-vous, des pratiques qu'elles valorisent». Une lenteur parfois accentuée par un manque de pratique dans l'interrogatoire ou l'examen physique du patient ou encore le remplissage de dossiers médicaux incomplets. 

Peu d'IPA vivent de leur activité 

«Toutes les IPA interrogées exerçant en libéral déclarent suivre un nombre de patients trop faible pour leur permettre de vivre de leur activité d'IPA», révèle ensuite l'étude. «Le montant des forfaits, conçus pour des consultations de suivi simple, de courte durée et peu fréquentes, est décrit comme insuffisamment rémunérateur. Aurélie, qui suit 200 patients, estime que son activité deviendrait économiquement viable à partir de 500 patients. La perte de revenus est d'autant plus conséquente pour les infirmières qui exerçaient en libéral». 

Parmi les IPA contactées pour réaliser cette recherche, «deux avaient déjà dû interrompre leur activité, du fait du départ du médecin ou de l'hostilité d'autres praticiens de la structure», témoignant de difficultés économiques, une « précarité » d'autant plus «mal vécue après les sacrifices, financiers et familiaux, qu'implique une reprise d'études en cours de carrière».

«Le revenu des IPA en exercice exclusif s'avérant trop faible, de nombreuses IPA libérales continuent d'exercer en parallèle en tant qu'IDE généralistes», souligne enfin l'étude. Quant aux IPA exerçant exclusivement en pratique avancée, «elles assurent fréquemment en parallèle des soins primaires d'autres activités libérales ou salariées (coordination, réalisation de tests de dépistage Covid, activité clinique en établissements de santé…), sources de revenus complémentaires». 

Se présenter, expliquer... inlassablement 

Au-delà des contraintes administratives qui obligent les IPA à jouer des coudes dès l'installation, il leur revient aussi de communiquer autour de leur métier pour se faire connaître et se rendre indispensables. Ainsi, «la charge incombe aux IPA – quel que soit leur lieu et mode d'exercice – de présenter à leurs interlocuteurs leur métier, les compétences qu'elles ont acquises et ainsi l'avantage que peut constituer, pour un professionnel de santé, de travailler avec une IPA. Elles doivent également se faire connaître personnellement sur le territoire». 

Je me disais que ce serait peut-être plus simple de travailler avec des médecins nouvellement diplômés […]. Et en fait, je me suis
rendu compte que c'était pas forcément lié à l'âge ou la génération. Mais c'était plus lié à une culture professionnelle - Céline travaille dans 1 ESP, avec 1 médecin 
 

Lot d'un métier encore tout jeune, les négociations se font au cas par cas pour les IPA, qui doivent négocier leur périmètre d'exercice avec chaque médecin. «En effet, si l'étendue des compétences de l'IPA est fixée par décret, il lui faut de facto accepter de parfois se limiter à ce que le médecin, aussi intéressé soit-il de travailler avec elle, est prêt à partager». Nombre d'IPA mettent en avant une culture du travail pluriprofessionnel, qui n'est hélas pas encore partagée par tous les praticiens. 

Les IPA travaillent également à expliquer aux patients les contours de leur pratique (...), «mais ce travail peut parfois être fortement mis à mal par d'autres professionnels de santé, en particulier les pharmaciens lorsqu'ils refusent leurs ordonnances», révèle le rapport.

[Les] patients […] ont déjà du mal à se faire à l'idée de l'IPA, si en plus vous dites que j'ai pas le droit de prescrire alors que c'est complètement faux, moi toute ma crédibilité, elle s'effondre ! - Béatrice travaille dans 1 MSP, avec 5 médecins. 

Importance de la proximité sociale avec les médecins 

L'étude met également en avant l'importance des relations sociales dans l'installation des IPA. «Celles ayant la plus grande proximité sociale avec les médecins, via leur réseau familial et amical, parviennent plus facilement à signer un protocole d'organisation et développer leur file active. C'est le cas de plusieurs IPA qui sont filles ou épouses de médecins». «Lorsque l'adressage d'un premier médecin ne suffit pas, elles parviennent plus aisément à compléter leur activité en multipliant les partenariats grâce à une promotion assurée par les médecins auprès de leurs confrères», comme le souligne Isabelle  : «  On a très bien compris que plus on va parler de nous, sans qu'on soit là, mieux c'est. Y a pas mieux comme VRP que [les deux médecins spécialistes de la clinique] »

L'étude note encore l'influence du rapport (parfois ambivalent) que les IPA entretiennent avec leur métier, entre désir d'autonomie, émancipation à l'égard des médecin et reconnaissance. «D'un côté, certaines infirmières, qui considéraient leur rôle d'infirmière du métier socle limité, ont souhaité investir le champ médical pour diversifier leur pratique. En contrepartie de leurs nouvelles compétences, elles se satisfont mieux d'une activité qui reste d'une certaine manière prescrite (absence de premier recours et orientation des patients par le médecin généraliste). D'un autre côté, des infirmières s'engagent dans la pratique avancée pour obtenir la reconnaissance de leur expertise infirmière, issue de leurs années d'expérience et souvent d'un master précurseur en sciences cliniques infirmières. Elles nourrissent également l'espoir que cette nouvelle forme d'exercice leur permette de s'émanciper des médecins dont elles estiment qu'ils méconnaissent fréquemment leurs compétences».

 

Cadre d'exercice des IPA

Développée à l'étranger depuis parfois plusieurs décennies, la pratique avancée infirmière a été créée en France par la loi du 26 janvier 2016 et le décret du 18 juillet 2018. Pour devenir Infirmiers en pratique avancée (IPA), les Infirmiers diplômées d'État (IDE) suivent une formation de deux années supplémentaires, le Diplôme d'État (DE) d'IPA, qui leur permet d'accéder à un niveau Master.

Cinq spécialisations existent : la mention pathologies chroniques stabilisées ; prévention et polypathologies courantes en soins primaires, oncologie, néphrologie, psychiatrie et santé mentale et en matière d'urgences. 

À l'issue de leur formation, le Code de la santé publique stipule que les IPA jouissent de compétences élargies et peuvent notamment réaliser un examen clinique, prescrire des examens complémentaires, poser une « conclusion clinique  », adapter le suivi du patient et renouveler des prescriptions. Des activités
paracliniques ont également été inscrites, telles l'évaluation des pratiques professionnelles et la participation à la recherche. Les IPA sont pleinement responsables de leur activité et des actes réalisés, contrairement aux infirmiers exerçant dans le cadre de protocoles de coopération.

En soins primaires, il a fallu attendre janvier 2020 (avenant 7 à la Convention nationale infirmière), pour que l'exercice des IPA soit rendu possible en libéral. Elles peuvent également exercer en tant que salariées, dans des centres de santé ou au sein de l'association Asalée (Action de santé libérale en équipe). 

Note

Cette recherche sociologique qualitative a été menée entre février et juillet 2021 par entretiens semi-directifs d'une durée moyenne d'1 heure et 38 minutes. Les enquêtés sont 9 femmes et 1 homme, âgés en médiane de 46 ans, et issues des deux premières promotions d'Infirmiers en pratiques avancée (IPA). Elles exercent en libéral (7) ou sont salariées en centre de santé (1) ou par l'association Asalée (Action de santé libérale en équipe) [3], dans 7 régions. L'analyse s'appuie également sur des observations de deux réunions d'IPA Asalée, et sur deux entretiens réalisés avec des IPA exerçant en soins primaires issus d'un précédent travail. 

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Source : infirmiers.com