Près d'un Français sur trois est concerné par un trouble du sommeil. Face à cet enjeu de santé publique, les infirmiers de santé au travail (IST) ont un rôle à jouer tant sur le repérage que sur la prise en charge. Le point à l'occasion de la 22e Journée du sommeil qui s'est déroulée ce 18 mars 2022.
Je dors mal
; Je suis fatiguée toute la journée
; Je me réveille la nuit et je n'arrive pas à me rendormir
… Les plaintes au sujet du sommeil sont assez récurrentes en santé au travail. Insomnie chronique (au moins trois fois par semaine depuis au moins trois mois), syndrome d'apnées du sommeil (8% de la population est touchée), syndrome des jambes sans repos…, les troubles du sommeil touchent en effet près d'un Français sur trois et augmentent par ailleurs à partir de 50-55 ans. Plusieurs études récentes indiquent également qu'ils sont en hausse depuis le début de la pandémie de Covid-19. Parmi les facteurs en cause : une moindre exposition à la lumière du jour, une moindre opportunité pour l'activité physique et des interactions sociales réduites.
Des effets sur la santé et le travail
Si les effets de la dette de sommeil sont souvent sous-estimés – notamment de la part des jeunes adultes –, ils ne doivent pour autant pas être banalisés. Un mauvais sommeil augmente en effet les risques de maladies cardiovasculaires, d'obésité, de diabète (des nuits de moins de 6 heures augmentent le risque de diabète de type 2 de 28%)1 ou encore de cancers. Les répercussions sur le travail sont aussi manifestes : La privation de sommeil diminue les performances opérationnelles (absentéisme mais aussi présentéisme, baisse de la motivation, accidents du travail…)
a relevé Philippe Cabon, chercheur, maître de conférence (MCF-HDR) au sein du LaPEA, Institut de psychologie/Université de Paris lors d'un récent webinaire consacré aux troubles du sommeil et organisé par le Groupement des infirmiers de santé au travail (GIT). Et le chercheur de faire le parallèle avec l'alcool : Les effets sur les performances sont équivalents à ceux de l'alcool : 20 heures de privation de sommeil équivalent à 0,8g/l ; 27 heures à 1g/l
.
Repérage au détour des visites d’information et prévention
De fait, la privation de sommeil est une problématique de santé, de sécurité mais aussi de productivité. Au vu des risques induits, elle doit nécessairement être prise en compte en santé au travail. En la matière, les infirmiers de santé au travail ont pleinement un rôle à jouer qu'il s'agisse du repérage puis de la prise en charge de ces troubles. Et ce, par exemple à l'occasion des visites d'information et de prévention (VIP) lors desquelles le GIT recommande aux IST de poser trois questions sur le sommeil. Par exemple : Arrivez-vous à vous endormir facilement ?
; Combien de temps dormez-vous ?
et Réveillez-vous la nuit ?
. Un questionnement qui permet de rappeler aux salariés que le sommeil est important, qu'il est même vital
a souligné Marie-Hélène Beltzung, IST au sein du Centre inter-entreprises et artisanat de santé au travail (Ciamt– Paris).
Et pour objectiver ces troubles en tant que tel, celle-ci a suggéré l'utilisation de trois outils efficaces et simples
, à savoir :
- l'échelle d'Epworth qui, en huit questions rapides, permet d'évaluer le risque de somnolence dans la journée (un score supérieur à 9 nécessite une orientation) ;
- le questionnaire de Berlin qui permet de diagnostiquer le risque de syndrome d'apnée du sommeil (vrai risque au-delà de 3 cadres). À noter :
Si l'âge et le poids sont des facteurs de risque, il faut garder en tête qu'une jeune fille svelte peut aussi faire des apnées du sommeil
a mis en garde l'infirmière de santé au travail ; - le questionnaire de typologie circadienne de Horne et Ostberg, qui permet de savoir quel type de dormeur est-on (du soir ou du matin) afin de se caler sur son chronotype.
Comme il est un peu long (19 questions – NDLR), je le confie au salarié pour qu'il le fasse de son côté
, a-t-elle encore précisé.
En fonction des résultats obtenus, trois options sont alors possibles :
- une orientation immédiate vers le médecin du travail si des risques d'apnée du sommeil ou de somnolence diurne sont manifestes car des risques professionnels sont en jeu
- une orientation vers le médecin traitant,
afin de lui faire gagner un temps précieux, je suggère aux salariés de s'y rendre munis du courrier transmis (indiquant notamment le relevé de la TA et de l'IMC), de leurs résultats aux questionnaires ainsi que de leur agenda du sommeil – que je leur fournis – et sur lequel ils vont pouvoir annoter des éléments utiles
, souligne-t-elle - la dispensation de conseils infirmiers. L'IST est à même de prodiguer aux salariés concernés une dizaine de conseils hygiéno-diététiques comme par exemple se caler sur le rythme circadien, principalement le matin ; pratiquer une activité sportive ; modérer les apports en café, thé ou boissons énergisantes ; manger léger mais suffisamment ; privilégier les activités calmes/pas d'écrans au moins 1h à 2h avant l'endormissement ; favoriser un bon couchage (vérifier matelas/oreillers) dans une chambre fraîche et obscure ; en cas d'insomnie, se lever et par exemple lire, ou encore, s'il y a un ressenti de fatigue, faire une sieste flash (20 min max) – plutôt pour les salariés ayant une salle de repos – ou micro sieste (5 min) en s'installant dans une position confortable afin de récupérer (lire encadré).
De l'individuel au collectif
Le rôle infirmier passe aussi par le conseil aux employeurs. Ainsi, lorsque des troubles du sommeil sont observés à une échelle collective, les IST peuvent, après débriefing médical, suggérer à l'employeur une action de sensibilisation globale2, par exemple la mise à disposition d'une salle de repos
, a encore indiqué Marie-Hélène Beltzung. En lui rappelant si besoin que moins il y a d'accidents du travail (AT), plus son taux de cotisation AT/MP va diminuer et plus celui de la productivité des salariés va augmenter !
.
Une sieste : oui, mais…
Une sieste de 5-6 minutes produit déjà des effets pour booster le niveau d'éveil. Une sieste brève (10 min) permet d'avoir une forte amélioration des performances sans effet sur le réveil immédiat.
Il en est de même pour une sieste courte (30 minutes)… toutefois au prix d'une inertie du sommeil* dans les minutes qui suivent le réveil
, a observé Philippe Cabon.
Il convient donc de savoir gérer la sieste et ainsi la programmer en fonction de la nécessité de reprendre un service immédiatement après le réveil ou du risque éventuellement d'être réveillé en plein sommeil (cas des pilotes d'avion, des personnels de garde à l'hôpital par exemple).
*Inertie du sommeil ou processus W : pendant environ 20 à 30 minutes après notre réveil, notre système nerveux continue à dormir. Impliqué dans les fonctions exécutives, les processus d'inhibition, la résolution de problème et la pensée créative, le cortex pré-frontal met plus de temps à se réveiller
que les autres structures cérébrales.
Les soignants eux-mêmes très concernés par les troubles du sommeil
D'après une vaste étude du Réseau Morphée menée en 2017, les soignants ont des troubles du sommeil aussi fréquents que dans la population générale se plaignant de troubles du sommeil mais ils ont un temps de sommeil plus réduit
, en l'occurrence 6 heures contre 6,45 heures les jours de travail
et ils sont plus souvent soumis à un travail posté
.
Autre enseignement : Près de la moitié des soignants (48%) ressentent une privation de sommeil liée à leur travail, ce qui représente un facteur de vulnérabilité.
Quant aux troubles du sommeil, ceux-ci sont très présents : La majorité des soignants se plaint d’insomnie : 62% ont un trouble d’endormissement, 80% un trouble de continuité du sommeil, 71% des éveils précoces et 67% un sommeil non-récupérateur.
Autre résultat obtenu : Les soignants sont 31% à présenter les quatre types de troubles du sommeil et 64% à souffrir d’une insomnie chronique avec retentissement diurne sur plus de 3 mois. Les ronflements sont fréquents chez les soignants (27%). La somnolence touche 32% d’entre eux et la fatigue diurne, 80% d’entre eux. Par ailleurs, 37% se plaignent d’endormissement au volant (contre 27% des non soignants).
Enfin, notons encore que chez les soignants souffrant de troubles du sommeil (en dehors d’un ronflement), des symptômes de troubles anxieux et dépressifs sont souvent retrouvés.
Valérie Hedefvalerie.hedef @orange.fr
Note
- AS Urrila et coll. Sci Rep, 2017 ; FP Cappuccio et coll. Diabetes Care, 2010 ; AA Prather et coll. Sleep, 2015
- Le GIT organisera en mai prochain une prochaine journée d'étude et de formation consacrée à la méthodologie d'une action collective en milieu de travail en mode gestion de projet.
Pour en savoir plus
replay du webinaire "Troubles du sommeil" sur le site du GIT
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