« La situation en psychiatrie s’est dégradée », « la psychiatrie est le parent pauvre de la médecine », « l’histoire de la psychiatrie est l’histoire d’un immense abandon et d’un naufrage sans précédent »… Pendant près de 3 heures, lors des questions au gouvernement mercredi 17 janvier, les députés ont interpellé Catherine Vautrin, la nouvelle ministre du Travail, de la Santé et des Solidarités, sur la situation de la psychiatrie en France.
Un Français sur 5 touché par un trouble psychiatrique
Et celle-ci n’est pas glorieuse. Selon une enquête menée en mai 2023 par la Fédération hospitalière de France (FHF), près d’un quart des établissements avaient été contraints de fermer de 10 à 30% de leurs capacitaires en lits au 31 décembre 2022. En psychiatrie adulte, les délais moyens d’accès aux soins en ambulatoire sont de 1 à 4 mois, a rappelé Emmanuelle Anthoine (Les Républicains).
Les délais moyens d’accès aux soins en ambulatoire pour les enfants oscillent entre 5 mois et plus d’un an.
Or près de 13 millions de Français, soit 1 sur 5, sont touchés chaque année par un trouble psychiatrique, et le taux de suicide en France est l’un des plus élevés d’Europe. La situation est encore plus alarmante chez les plus jeunes. Si le suicide est la première cause de décès chez les moins de 35 ans, les enfants sont également de plus en plus touchés par des troubles de la santé mentale. Selon la Cour des comptes, environ 1,6 million d’enfants et adolescents souffrent d’un trouble psychique. En face, les moyens manquent cruellement. Seuls 700 pédopsychiatres exerceraient sur le territoire, et les délais moyens d’accès aux soins en ambulatoire pour les enfants oscillent entre 5 mois et plus d’un an.
Le coût, enfin, pour l’Assurance maladie, est prohibitif : avec 12 milliards d’euros en 2023, il représente son premier poste de dépense. « La psychiatrie et la pédopsychiatrie publiques manquent de moyens : 30% des postes de psychiatres hospitaliers sont vacants, et nous manquons aussi d’infirmiers », a déploré Maxime Minot (LR). Les professionnels de santé « souffrent d’un manque de reconnaissance. »
Miser sur le recrutement : priorité n°1
Ces constats, « nous les partageons », a réagi Catherine Vautrin devant la multiplication des alertes. L’enjeu principal est de déterminer « comment avancer sur l’attractivité de la psychiatrie », parce que les conséquences du manque de personnel sont « immédiates » : fermetures de lits, files d’attente en centres médico-psychologiques (CMP) qui s’allongent… « Le point essentiel sur lequel nous pouvons travailler, c’est le recrutement ». Celui-ci passera par « un plan d’attractivité des métiers », qui doit embarquer les sujets de « reconnaissance, de conditions de travail et de fidélisation », a-t-elle ajouté, indiquant souhaiter « avancer rapidement ».
Renforcer la formation infirmière
Dans ce contexte, Catherine Vautrin fait notamment le pari du renforcement de la formation en psychiatrie pour les infirmiers. Un pari qui résonne avec l’actualité de la profession, en plein travaux sur la refonte du métier. Ceux-ci seront en effet suivis par une refonte de la maquette de la formation initiale, qui doit également embarquer les spécialités. « Renforcer la formation s’inscrit dans un processus d’adaptation des formations des professions de santé », a-t-elle indiqué. « Cette priorité sera confortée par la refonte du référentiel infirmier, qui devrait être opérationnelle en 2024 et permettra d'actualiser le cadre de formation des infirmiers en soins généraux ». Mais aussi « d'accompagner le développement de la pratique avancée pour les infirmiers exerçant dans le domaine de la psychiatrie et de la santé mentale. »
Le pari des IPA en santé mentale
Car les infirmiers en pratique avancée (IPA), pensés comme une solution pour pallier les déserts médicaux, sont l’un des leviers pour remédier à la pénurie de personnel. Sur les 1 637 IPA diplômés à ce jour, 318 le sont en santé mentale et psychiatrie, a précisé Catherine Vautrin. « Ils ont l’immense avantage d’être en proximité », a-t-elle défendu. « Les étudiants qui s’engagent dans ces cursus, du fait de leur expertise, sont reconnus comme une ressource pour les équipes qui prennent en charge ces patients ».
Un autre moyen d’action repose sur la hausse du nombre de postes aux examens nationaux. 572 postes supplémentaires ont été ouverts pour l’année 2023-2024, a-t-elle indiqué. Enfin la ministre a évoqué le troisième cycle des études de médecine, avec la création en 2017 des options psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent, et psychiatrie de la personne âgée. « Le nombre d'étudiants réalisant ces options a augmenté mais les chiffres sont encore insuffisants », a-t-elle admis. « Je le reconnais bien volontiers mais c'est, à cinq ans, la seule maquette qui permette d'apporter des réponses concrètes et durables ».
« Le CNR dédié à la santé mentale aura lieu »
Face aux députés et aux attentes des professionnels de santé, la ministre a promis que « le Conseil national de refondation (CNR) dédié à la santé mentale et annoncé par le président de la République » en septembre dernier « aura bien lieu ». Soit donc des consultations sur le terrain des professionnels de santé, avec une analyse des besoins mais aussi des pratiques en place qui fonctionnent. « C’est un sujet qui nécessite de rassembler les hommes, les femmes, les soignants, les familles, pour qu’ils puissent s’engager sur une feuille de route claire », a-t-elle insisté, sans pour autant préciser d’échéances quant à l’organisation de ce CNR.
Parallèlement, elle mise sur le développement de la recherche et de l’innovation « pour progresser en matière d’excellence des soins ». À cette occasion, Catherine Vautrin a rappelé l’appel à projet lancé en mars 2023 portant sur le soutien de la structuration de l'animation territoriale de la recherche en psychiatrie et santé mentale. Selon la DGOS, celui-ci doit permettre de valoriser l’information sur l’état de santé et les besoins de la population par territoire, « d’améliorer la lisibilité des acteurs actifs présents sur un territoire (professionnels, associations d’usagers et aidants, élus) » et de favoriser une co-construction des projets, afin de fédérer autour des projets de recherche et de la formation des professionnels médicaux et paramédicaux. Ces projets sont « de nature à rapprocher les établissements et la ville », a argumenté la ministre.
« Est-il prévu de faire entrer les centres experts en psychiatrie dans l’offre de soins ? », a interpellé le député Benoit Mournet (Renaissance). « Solution plébiscitée par les usagers », ces centres experts sont un dispositif de la Fondation FondaMental et interviennent comme renfort en psychiatrie de premier recours. Spécialisés dans la prise en charge des troubles psychiatriques les plus sévères (bipolarité, schizophrénie, dépression résistante et troubles du spectre de l’autisme), ils « permettent de poser un diagnostic » et d’établir « un plan de soin ». Avec, comme résultats « d’éviter les hospitalisations », a plaidé l’élu. 52 centres existent actuellement mais le dispositif demeure à l’état d’expérimentation. « La Fondation FondaMental s’est engagée dans une structuration des Centres experts », a confirmé Catherine Vautrin, qui a prévu de rencontrer Marion Leboyer, sa directrice. « Je n’ai pas de réponse toute faite quant à l’inclusion de ces centres dans l’offre de soins. Mais toutes les solutions qui fonctionnent méritent d’être analysées. »
Quels progrès depuis les Assises de la psychiatrie ?
Devant des élus peu convaincus, Catherine Vautrin en a profité pour rappeler un certain nombre de mesures issues des Assises de la psychiatrie (septembre 2021), et mises en place avec succès, selon elle. Elle a ainsi salué le dispositif « Mon soutien psy », « qui prévoit la prise en charge de 8 consultations » chez les psychologues et constitue « une première réponse » aux besoins en santé mentale, notamment chez les plus jeunes. Autre élément qui avait été abordé lors de ces Assises : le renforcement des maisons des adolescents et des CMP. Pour les premières, 10,5 millions d’euros ont été annoncés pour 2022 et 2023 ; pour les seconds, 8 millions d’euros par an sont consacrés aux CMP adultes et autant aux CMP adolescents, sur 3 ans. Soit « 48 millions d’euros jusqu’en 2024. » « La question que nous allons avoir à discuter ensemble, c’est ce que nous faisons à partir de l’année 2024. » Enfin, elle a mis en avant le renforcement en cours du nombre d’équipes mobiles en psychiatrie qui interviennent auprès des personnes âgées. « Des réponses commencent à venir », a-t-elle affirmé.
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