Nous sommes tous concernés par notre bien-être et notre équilibre psychique. Mais tout devient plus compliqué lorsqu’il s’agit d’obtenir une prise en charge en soins psychiatriques. Les médecins traitants exercent souvent, au-delà de leur rôle, celui de psychologues, car les centres médico-psychologiques (C.M.P.) ne disposent pas d’un nombre de soignants suffisant. Aujourd’hui initiateur d’un Groupe d’Entraide Mutuelle (G.E.M.) à Elbeuf-sur-Seine, je constate le désarroi des adhérents.
Plus rien n’est fait pour la réinsertion sociale, et à défaut d’accompagnement psychologique, les patients n’ont aucun objectif de vie
Une case pour chaque patient, comment en sortir ?
De fait, les diagnostics sont posés, les ordonnances sont établies, les patientses sont certes stabilisés mais plus accompagnés. Un traitement prescrit par un psychiatre apporte un secours à un moment donné. J’en témoigne puisque dans les années 90, mes bouffées délirantes ont été encadrées par des neuroleptiques. Mais aussitôt, un suivi strict a été mis en place par mon médecin traitant qui m’a dirigé vers un psychiatre. Aujourd’hui tout est long et surtout la prise en charge. Plus rien n’est fait pour la réinsertion sociale, et à défaut d’accompagnement psychologique, les patients n’ont aucun objectif de vie. Le versement de l’Allocation aux Adultes Handicapées (A.A.H.) et les quelques réunions et loisirs organisées au sein d’un groupe d’entraide local ne suffisent pas.
Le besoin d’une écoute véritable
Car la priorité de chacun est de trouver une oreille attentive pour sortir du marasme. Pour ma part, j’ai eu l’opportunité de suivre une psychothérapie pendant 7 ans avec une psychologue de l’hôpital de jour. A raison de deux rendez-vous par semaine, son accompagnement a établi un processus de changement important pour me permettre de soulager mes souffrances ou mes états de détresse. Et c’est ainsi que peu à peu j’ai redécouvert mon existence et ma propre pensée…
En stimulant mon attrait pour la littérature, ma psychologue m’a permis de révéler mes capacités, notamment en communication, et aussi commerciales et techniques. Son soutien sans faille durant toutes ces années m’a aidé à surmonter la dépression et les moments difficiles. Elle m’a aussi et surtout apporté des outils pour cadenasser mes distorsions mentales Au bout de 4 ans, son travail a commencé à porter ses fruits, j’ai pu quitter le foyer familial pour faire mon service militaire, reprendre mes études et décrocher un BTS. Puis étape par étape, j’ai retrouvé une vie.
Une vie professionnelle stable
Depuis 25 ans, je travaille dans la même entreprise. Je prends à cœur mon métier et mes émotions sont toujours d’une intensité démesurée. En 2014, ma bipolarité a pris un temps le dessus sur ma raison et m’a de nouveau entraîné dans une dérive extrême. Durant 9 mois, les psychiatres de différents services, dans une grande complémentarité, ont su m’apporter un immense soutien. Pendant mes hospitalisations, je n’ai jamais connu la surpopulation, tant racontée dans les médias. A ma sortie, une psychiatre a repris mon accompagnement à raison d’une rencontre par mois. Ici encore, je n’ai pas connu l’attente. Diagnostiqué bipolaire de type I, cette fois-ci, je bénéficie d’un traitement adapté, et mène une vie professionnelle sans besoin d’adaptation spécifique.
Mon expérience personnelle au bénéfice des autres
Depuis, je n’ai connu aucune rechute. Je dors à heures fixes, avale mes comprimés et chasse mes idées loufoques pour éviter tous nouveaux délires. Mon travail et ma famille équilibrent ma vie et mes rendez-vous avec mes différents psychiatres temporisent mon existence. Pour me stimuler, la cadre de santé du C.M.P. m’a proposé de collaborer à la création du G.E.M. d’Elbeuf. C’est une profonde reconnaissance. Depuis 4 ans tout s’articule au mieux, aussi bien socialement que matériellement, au sein de cette structure dont j’ai été l’initiateur. En fonction de mon emploi du temps, je participe à la vie du groupe en tant que patient expert, et j’ai pu apprécier de près le travail de l’animateur. Son rôle consiste à soutenir les adhérents en difficulté qui ne bénéficient pas d’une prise en charge régulière. Il est évident que ce profil de poste n’implique aucun suivi psychologique. Cependant, confronté à une demande toujours plus forte, le C.M.P. ne parvient pas à y répondre. L’animateur du G.E.M. s’efforce donc de prêter une oreille attentive aux difficultés des uns et des autres.
C’est une bataille, un combat mais je me dois, en retour de toutes ces années de prise en charge, de m’investir au maximum. Je ne peux lâcher une institution qui m’a tout donné
Devenir patient expert
A ce jour, il n’existe pas de reconnaissance institutionnelle du statut de patient expert en établissement de santé. A mon humble niveau, j’interpelle les sphères médicales sur l’urgence à agir. Leur fatigue est réelle et je la constate bien souvent. Personne n’a le don d’ubiquité même un psychiatre. Le chemin est long, mais la loi doit apporter un cadre au statut de patient expert. Donner l’envie d’avoir envie à des patients dépressifs et souvent désespérés est devenu ma priorité. Pour ma part, la vie est là malgré ma pathologie et accentue mon bonheur. C’est une bataille, un combat mais je me dois, en retour de toutes ces années de prise en charge, de m’investir au maximum. Je ne peux lâcher une institution qui m’a tout donné. En changeant la vision purement psychiatrique du système, je souhaite ouvrir la porte aux patients experts. De plus, il est indéniable que le monde de la psychologie a besoin d’un nouveau souffle. En développant la diversité des soignants la réussite sera encore plus grande. Le patient expert est la complémentarité inéluctable du système actuel. Tendre la main aux patients est un geste humain, à la dimension du patient expert.
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