Le chiffre fait frémir : "trois soignants se suicident tous les deux jours". Une estimation à laquelle est arrivée l'association de Soins aux Professionnels de la Santé (SPS). Dans le cadre d'une campagne de prévention, elle a sorti fin 2022 un spot fictionnel au message sans détour, qui, espère-t-elle, interpellera professionnels de la santé et grand public.
Le message de cette campagne a été mûrement réfléchi. Faut-il choquer, montrer des images crues ou au contraire, s'en tenir à sensibiliser sans violence ? Cette question, l'équipe de SPS l'a retournée dans tous les sens. C'est finalement la première option qui a été retenue, sans toutefois opter pour un parfait réalisme. L'association a fait appel à un réalisateur et scénariste français, créateur de courts et longs-métrages, récompensé par plusieurs prix, Marc Gibaja, qui l'explique : Pour que le sujet passe, il faut arriver à créer un petit spot qui soit à la fois choc mais pas totalement réaliste parce que sinon, on plombe. Dans son film, très court, il met ainsi en scène 3 professionnels de santé autour d’une patiente. Les soignants s'enquièrent de son état, avant que la situation ne bascule et qu'ils mettent fin à leurs jours, sous les yeux de la pauvre femme, horrifiée. Une dureté assumée, explique Eric Henry, médecin généraliste et président de l'association SPS : les images sont un peu trashes, oui, mais nous avons tout de suite rattrapé cette impression (avec un rembobinage qui symbolise le retour en arrière possible) pour dire aux gens que c'est ça qui risque d'arriver si personne ne se réveille, si la société française n'entend pas le cri de douleur des soignants. Et ce fils de suicidé de l’Éducation nationale des années 1970 de rappeler le rôle de lanceur d'alerte que s'est donné l'association.
25% des professionnels de la santé ont déjà eu des idées suicidaires. C'est un chiffre énorme et il était vraiment important de faire ce film pour l'association SPS, d'abord pour sensibiliser les professionnels de la santé mais aussi leur entourage. Catherine Cornibert, directrice générale de l'association SPS.
Un spot pour combattre l'omerta
Dans la salle de la Maison des Soignants à Paris où l'association SPS a organisé le lancement de sa campagne de prévention, des voix s'élèvent pour témoigner : ils ont perdu une fille, un collègue, un parent, qui s'est suicidé. Et beaucoup le disent : c'est un sujet dont on ne parle pas. Une infirmière engagée auprès de l'association prend la parole. L'une de ses collègues s'est tuée. Elle était harcelée dans son service. Personne n'a vu ou voulu voir, elle a mis fin à ses jours. Pourtant lorsque la direction évoque sa mort, le harcèlement n'est pas mentionné. Il y a une omerta autour de ce sujet
, confie l'infirmière. Le suicide est tabou, et encore plus celui des soignants
. Un interne en médecine a assisté au même silence. L'un de ses pairs s'est suicidé mais il s'étonne que sa mort n'ait donné lieu à aucune remise en cause, aucun questionnement, aucun échange. Quand on constate un événement indésirable qui concerne un patient, on fait remonter l'information. Là, pour un interne qui se suicide, il n'y a pas eu de suites, pas de réflexion initiée par l'institution. Cette forme de déni m'a choqué
.
Les soignants fragilisés et culpabilisés
Qu'a de caractéristique le mal-être des soignants ? La psychiatre lyonnaise Magali Briane identifie au moins deux déterminants spécifiques. D'abord, la charge émotionnelle importante liée à leur exercice : les soignants traitent avec la vie et la mort. La spécialiste donne d'ailleurs son propre exemple. Lorsque des proches me demandaient 'Comment tu fais pour faire face à la souffrance de tes patients ?’ Je répondais ‘Je sors de mon cabinet, je monte dans ma voiture et c’est fini, je pense à autre chose’. Je sais maintenant que ce n’est plus vrai. Mais moi, j’ai des outils de régulation émotionnelle pour faire avec ça. Tous nos soignants ne les connaissent pas
, confie-t-elle.
Magali Briane souligne en deuxième lieu une stigmatisation de la souffrance des soignants.Il faut arriver à renforcer leurs ressources personnelles et leur dire que c’est normal qu’ils souffrent. Quand les jeunes arrivent dans leurs études, on ne leur dit pas ça. Au contraire, on leur dit qu’ils vont être soignants et qu’ils vont devoir être forts. Car si tu n’es pas fort, tu ne peux pas soigner les autres. Ce n’est pas vrai. On peut très bien soigner, même si soi-même on pleure parfois. Cela ne fait pas de vous de mauvais soignants. Or aujourd’hui les étudiants qui vont mal s’isolent
, déplore-t-elle.
Bien sûr, le spot n'a pas été du goût de tous. Certains y ont vu une violence inutile, d'autres ont dénoncé une nouvelle épreuve pour les proches endeuillés... Dans la salle lors de la présentation du mini-film pourtant, c'est l'efficacité du message qui a été mise en avant. Le direct
d'un film coup de poing pour un sujet encore trop passé sous silence.
100% d'appels décrochés
Article précédent
L'Europe s'engage pour mieux préserver la santé mentale des soignants
« C'était comme une implosion à l'intérieur de moi »
EN VIDEO - Suicide de soignants : comment endiguer le fléau ?
Le travail à l’hôpital responsable d’une forte dégradation de la santé mentale
Le travail en 12h augmente les risques pour la santé mentale
L'Europe s'engage pour mieux préserver la santé mentale des soignants
La vidéo choc de SPS pour alerter sur le suicide des soignants
INTERNATIONAL
Infirmiers, infirmières : appel à candidatures pour les prix "Reconnaissance" 2025 du SIDIIEF
HOSPITALISATION A DOMICILE
Un flash sécurité patient sur les évènements indésirables associés aux soins en HAD
THÉRAPIES COMPLÉMENTAIRES
Hypnose, méditation : la révolution silencieuse
RECRUTEMENT
Pénurie d'infirmiers : où en est-on ?