Elles ont été pensées pour mieux organiser le parcours de soin autour des patients, faciliter la prise en charge des soins non programmés et favoriser la prévention : créées par la loi de 2016, les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) sont l’un des outils pour améliorer l’accès aux soins, autour de projets de santé définis en fonction des besoins des territoires qu’elles couvrent. Et, surtout, elles encouragent l’interdisciplinarité entre les professionnels libéraux. « Les CPTS constituent un outil de maillage du territoire, au même titre que les maisons de santé », a ainsi tenu à rappeler Patrick Chamboredon, le président de l’Ordre national des infirmiers (ONI), lors d’une matinale consacrée au sujet. La preuve en 4 exemples.
Notre première mission est de trouver un médecin traitant pour chaque patient.
Des coopérations plus larges entre professionnels en Haute-Saône
« Je suis dans une zone de désert médical », rapporte le Dr Martial Olivier-Koehret, président de la CPTS de Luxeuil et ancien président de MG-France. « Notre première mission est de trouver un médecin traitant pour chaque patient, d’organiser le pluriprofessionnel afin que l’ensemble des professionnels puissent mobiliser leurs compétences ». La CPTS, qui couvre un territoire de 45 000 habitants, a ainsi mis en place plusieurs protocoles de coopération entre médecins, infirmiers et pharmaciens libéraux, avec un scope plus large que ce que permet la loi, et autorisé par la forme juridique de ces structures. D’autres protocoles (avec les dentistes, les opticiens…) sont en cours de développement. Pour atteindre l’objectif de 0 patient sans médecin traitant, les 150 professionnels (de 12 professions différentes) de la CPTS peuvent compter sur le soutien des élus locaux – « les maires sont les premiers que préviennent ces patients », explique le Dr Olivier-Koehret – mais aussi sur l’Assurance maladie et l’Agence régionale de santé (ARS), les partenaires obligatoires de toute CPTS. L’Assurance maladie intervient ainsi dans les relations avec les patients pour assurer leur accès aux soins. « Elle alerte les patients de notre secteur géographique et nous renvoie ceux qui n’ont pas de médecin traitant. »
Un « Village prévention » en Dordogne
Avant d’être ce qu’elle est, la CPTS du Bergeracois était un pôle de santé multisite, pensé dès 2012 pour répondre aux problématiques croissantes d’accès aux soins sur le territoire, raconte Laëtitia Carlier, infirmière libérale parmi ses fondateurs. Aujourd’hui coordinatrice de la structure, elle en a occupé la présidence entre 2017 et 2020. La CPTS, qui couvre actuellement 60 000 habitants pour 38 communes grâce à ses 40 professions, travaille entre autre « sur l’intégration du Service d’accès aux soins (SAS) », « sur la possibilité pour les médecins d’avoir des consultations rapides en spécialités, de prendre des examens de radiologie ou de cardiologie sous 48 heures », ou encore « à ouvrir la téléconsultation aux spécialités », liste l’infirmière. Surtout, la CPTS a pour projet de « s’inscrire dans la prévention ». « Nous allons lancer pour la première fois cette année un "Village prévention" », qui sera notamment ouvert aux scolaires. Il s’agit d’offrir « une vitrine de la prévention », en particulier dans le cadre de la lutte contre les maladies sexuellement transmissibles (MST). « Les biologistes nous alertent en effet sur le sujet. » De quoi convaincre les professionnels de la CPTS de la nécessité de « redynamiser » la mobilisation autour des MST.
« Le poste de coordinateur de CPTS est un vrai métier, qu’il faut pérenniser ». Audrey Ferullo en sait quelque chose, elle qui occupe cette fonction au sein de sa structure à Aix-en-Provence. Le rôle, dans le cadre d’un exercice coordonné, est en effet essentiel : « Il est d’être facilitatrice, de créer des échanger, des opportunités », liste-t-elle. « L’idée de la CPTS est de rassembler nos forces, cela demande de manager des libéraux, mais aussi des salariés, des partenaires… » « C’est aussi un engagement », abonde Laëtitia Carlier, qui appelle à « professionnaliser » ce métier. Audrey Ferullo a d’ailleurs ressenti le besoin de se former. « Il me manquait des compétences en RH, en gestion de budget, car c’est tout nouveau pour nous ». Elle a ainsi suivi une formation spécifique, soit un Master 2 de dirigeant de l’économie médico-sociale. « C’est une belle reconnaissance pour les soignants. »
Une large CPTS « inclusive » en Seine-et-Marne
La CPTS Sud-77 interpelle par sa dimension : de taille 4, elle couvre 200 000 habitants pour 106 communes et regroupe 240 professionnels. « Notre CPTS est inclusive », détaille Céline Raclot, kinésithérapeute et co-fondatrice et coordinatrice de la structure. « Notre présidente est une infirmière Asalée, et la CPTS est ouverte aux représentants de structures. Nous avons 27 administrateurs au conseil d’administration, dont 7 sont des représentants de structures tels qu’EHPAD et hôpitaux. » Outre sa mission socle, qui est d’assurer l’accès aux soins, la CPTS Sud-77 travaille sur une pluralité de projets : la définition d’un parcours pour les patients de plus de 75 ans avec un protocole d’admission directe au centre hospitalier du territoire, ou encore la prévention de la sédentarité chez les enfants en collaboration avec la médecine scolaire. S’y ajoute la qualité et la pertinence des soins pour les enfants atteints de troubles DYS (dyslexie, dysorthographie…) et l’accueil des étudiants en santé, notamment en améliorant l’accès aux logements. La CPTS a « la potentialité de rendre le territoire plus attractif » pour les jeunes professionnels, juge Céline Raclot.
On se sent soutenus, identifiés, et davantage impliqués que dans nos cabinets respectifs. Nous décloisonnons nos pratiques.
Des parcours gérontologie et santé mentale dans les Bouches-du-Rhône
À l’origine de la CPTS Aix-Sainte Victoire, il y a d’abord des infirmiers qui avaient déjà pris l’habitude de travailler ensemble. Dans ce territoire confronté à une population vieillissante, qui a du mal à se déplacer, la structure a adapté ses projets de santé en conséquence. « Nous avons travaillé sur 2 parcours : gérontologie et santé mentale, car ce sont les deux domaines » où s’observent le plus les ruptures de parcours « du fait du cloisonnement entre public et privé », décrit Audrey Ferullo, infirmière libérale et coordinatrice de la CPTS. Grâce à une plateforme d’adressage qui envoie les demandes de soins géolocalisés aux professionnels, elle a permis de fluidifier les parcours. A également été créé un accès direct à l’hôpital pour les patients en filière de gérontologie et de soins palliatifs. Le but : éviter un passage préalable aux urgences. Enfin, « nous avons récupéré la filière courte de l’hôpital : nous prenons en charge toutes les urgences non vitales à la place des hôpitaux », énumère Audrey Ferullo.
Une réponse aux défis de santé des territoires
« Les CPTS sont de vrais lieux de communication pluriprofessionnelle », qui permettent en outre de résoudre une problématique de taille, « la méconnaissance des professionnels entre eux », soutient Laëtitia Carlier. « Elles offrent la possibilité de se retrouver en communauté. On se sent soutenus, identifiés, et davantage impliqués que dans nos cabinets respectifs. Nous décloisonnons nos pratiques », poursuit Céline Raclot. Et Audrey Ferullo, elle, souligne l’aspect « apolitique et asyndical » de ce type d’exercice coordonné. « Le principe est de dialoguer et il n’y a pas de hiérarchie ; nous sommes tous soignants. » Quant au procès d’être le bras armé des institutions du fait de leur partenariat étroit avec l’Assurance maladie et leur ARS respective, il est sans fondement. « Nous ne sommes pas dans une logique de tutelle, mais dans une logique de mobiliser les ressources de chacun pour aboutir à nos objectifs », rassure Dr Martial Olivier-Koehret.
Pour les infirmiers, comme pour l’ensemble des professionnels libéraux, elles constituent une voie royale vers l’exercice coordonné, sans pour autant remettre en cause leur indépendance. « Nous avons le choix entre travailler comme au XVIIIè siècle et perdre nos patients et aller vers l’extinction, ou travailler ensemble », conclut le médecin.
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