Les tumeurs cérébrales représentent le deuxième type de cancer le plus fréquent chez les enfants, après les leucémies, et peuvent être à l’origine de séquelles importantes qui se répercutent sur tous les aspects du quotidien du patient. Comment alors améliorer leur qualité de vie, à la fois dans la phase de traitement et d’hospitalisation, notamment en cas de chimiothérapie et de radiothérapie, mais aussi une fois qu’ils sont en rémission ou guéris ? Au sein du département de Cancérologie de l'Enfant et de l'Adolescent de Gustave Roussy, centre de lutte contre le cancer situé à Villejuif, et de ses 4 services1, une pluralité de professionnels évoluent autour des enfants et adolescents pour améliorer leurs conditions de traitement et de vie. Avec une initiative innovante : la mise en place de parcours holistiques intégrés au parcours de soin qui s’inscrivent dans le long terme pour accompagner l’après-cancer.
Des professionnels au service du jeune patient et de sa famille
A l’arrivée du patient et de sa famille, les infirmières coordinatrices (IDEC) se chargent de répondre aux questions qui seraient encore en suspens après la consultation d’annonce effectuée par le médecin oncologue référent et de réaliser un bilan social : situation familiale et psychologique, perturbations que la maladie risque de provoquer au sein de la famille… afin de les orienter vers les bons professionnels. J’accueille les familles lors du premier jour d’hospitalisation ; nous faisons connaissance et nous identifions ensemble leurs besoins
, témoigne Léonie, IDEC à la Montagne. C’est aussi à ce moment que la famille est informée des complications qui pourraient survenir au cours et après la maladie. La prise en charge adéquate de la famille est l’un des points majeurs pour faciliter le quotidien des malades. Chambres à disposition pour que les parents dorment sur place en cas d’hospitalisation, possibilité de rester auprès de l’enfant lors des soins invasifs (pose d’aiguille, ponction lombaire...) mais aussi consultations avec la psychologue ou l’assistante sociale…, tout est mis en œuvre pour accompagner l’entourage du patient et le rassurer. On monopolise beaucoup de temps pour les familles
, relate ainsi Loren, IDE en pédiatrie qui travaille à la Plaine. Mais c’est la meilleure façon de fonctionner car un parent qui va bien, c’est un enfant qui va bien.
Quand on prend un enfant en charge, on prend aussi sa famille en charge
, résume Jessica Bourdieu-Laporte, IPA mention oncologie et hémato-oncologie au sein du département.
En plus des professionnels de santé, une pluralité d’intervenants évoluent autour des enfants hospitalisés. Deux éducatrices, une pour chaque tranche d’âge, sont présentes toute la journée ainsi que des professeurs des écoles afin d’assurer la continuité pédagogique. La salle de l’éducatrice est toujours ouverte, et elle-même peut aller de chambre en chambre pour les enfants qui ne peuvent pas se déplacer
, explique Loren. Une psychomotricienne est également à disposition pour soulager l’anxiété des enfants et pour les aider à travailler sur leurs troubles moteurs et leur image corporelle. Et l’infirmière d’insister sur l’importance du collectif et des activités en commun pendant lesquelles les petits patients peuvent nouer des liens : Le lien collectif est essentiel. Notre objectif est qu’ils passent le moins de temps possible dans leur chambre
, une philosophie qui a toutefois été mise à mal durant la crise sanitaire, qui a contraint le service à fermer salle polyvalente et salle à manger. Il s’agit d’apporter le plus de normalité possible.
Il ne faut pas attendre que les difficultés apparaissent avant de s’en occuper
Des séquelles spécifiques et invalidantes
Les tumeurs cérébrales provoquent par ailleurs des séquelles qui requièrent une prise en charge spécifique. Et ce d’autant plus, prévient Christelle Dufour, pédiatre oncologue et cheffe du département, qu’elles ne sont pas prévisibles. On ne sait jamais si un enfant souffrira de séquelles en nombre ou pas.
Trouble de l’équilibre, de la marche, déficit visuel ou moteur, mais aussi certaines séquelles invisibles : endocriniennes (déficit en hormones de croissance), neurocognitives (trouble de l’attention, de la concentration), psycho-sociales (difficultés dans les habilités sociales) ..., les conséquences d’une tumeur cérébrale peuvent être invalidantes et avoir un fort impact négatif sur la qualité de vie des enfants. Si certaines demandent des traitements à vie (traitements hormonaux), d’autres ne sont pas irréversibles. D’où l’importance de les anticiper, de les dépister et de construire des parcours de suivi et de prise en charge. Il ne faut pas attendre que les difficultés apparaissent avant de s’en occuper, surtout pour tout ce qui est en lien avec la motricité et le retour scolaire
, prévient Jessica Bourdieu-Laporte. Avec une difficulté toutefois majeure : Cette prise en charge des séquelles est compliquée car à l’heure actuelle, elle n’est pas reconnue comme du soin courant
, déplore Christelle Dufour, dont les consultations neuropsychologiques, qui ne sont pas remboursées. Sans compter que les temps d’attente pour les prises en charge en ville, chez les libéraux ou dans les structures spécialisées, sont importants. Ce qui existe à l’extérieur de l’hôpital n’est pas adapté à ces patients : il y a peu de places en ville en rééducation et trouver des centres de soin pour les patients cérébrolésés demeure délicat
, souligne de son côté l’IPA.
Une prise en charge globale et hors les murs de l’hôpital
À Gustave Roussy, on a donc décidé de changer de paradigme. Christelle Dufour a mis en place des parcours holistiques individualisés pour mieux prendre en charge les conséquences de la maladie et réduire leur impact sur le quotidien des patients. Il s’agit aussi bien d’organiser le retour et les soins à la maison que de s’assurer de la bonne reprise scolaire et du maintien d’un environnement social et familial de qualité, à la fois pendant et après le traitement. Ces enfants sont en pleine période d’apprentissage et il faut s’assurer que celui-ci se poursuive
, note Jessica Bourdieu-Laporte. En alternance avec les internes, elle reçoit tous les deux mois l’enfant et sa famille en consultation afin d’évaluer la fatigue, l’alimentation
du patient, de repérer les difficultés éventuelles et de solliciter les professionnels adéquats en fonction des problématiques
. Elle intervient auprès d’enfants et d'adolescents en cours de radiothérapie et de chimiothérapie et détient un rôle à la fois de prévention et de coordination. À elle de vérifier, par exemple, qu’un enfant fatigué par sa radiothérapie puisse bénéficier de temps de pause à l’école pour récupérer. Et je n’oublie surtout pas que je dois partir des besoins du patient.
Les IDEC, elles, coordonnent aussi bien les professionnels à l’intérieur de l’hôpital qu’à l’extérieur, avec le concours du réseau d’Île-de-France d’hématologie et d’oncologie pédiatrique (RIFHOP). L’école me contacte pour connaître les risques que peut rencontrer l’enfant, ce qu’il faut surveiller
, donne en exemple Léonie, qui s’assure également que les adolescents qu’elle prend en charge sont bien informés de leurs traitements afin d’en être aussi acteurs.
L’objectif est de guérir mieux les enfants afin qu’ils soient capables d’avoir une vie autonome.
Et l’après-traitement ?
Vient enfin la question de l’après-traitement, trop souvent délaissée, regrette Christelle Dufour, alors qu’elle demeure primordiale. Existe ainsi à Gustave Roussy un projet de consultation de fin de traitement qui serait menée conjointement par l’IPA, la psychologue et la psychomotricienne donnant lieu ensuite à un suivi après-cancer s’inscrivant dans le long terme. Dans les parcours holistiques dédiés aux patients en cours de traitement comme à ceux dont il est terminé depuis 10 ans
, est par ailleurs intégrée très tôt une consultation avec la neuropsychologue afin de préparer le retour à l’école
, mais aussi de programmer l’évaluation neuropsychologique réalisée un an après la fin du traitement
pendant laquelle sont notamment calculé le QI et évaluées les éventuelles difficultés de mémoire ou d’attention des enfants avec pour objectif de proposer des solutions à long terme et des aménagements scolaires (classes ULIS, tiers temps pour un enfant plus lent…). Avec la nécessité de sensibiliser les professeurs à ces séquelles parfois invisibles. Un enfant qui a fini son traitement et qui ne présente pas de déficit moteur va être considéré comme un enfant "normal" car son handicap ne se verra pas.
Il s’agit aussi d’accompagner les familles à monter leur dossier auprès des maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) ainsi que tout au long du processus d’inscription dans les structures d’accueil, telles que les SESSAD. L’efficacité de ces parcours holistiques, prévient toutefois Christelle Dufour, doit encore être mesurée. Deux études sont ainsi en cours, qui permettront à la fois d’en apprécier la pertinence mais aussi de générer de la connaissance afin de mieux prédire les séquelles
et notamment les séquelles psychologiques, encore mal identifiées. On guérit de plus en plus d’enfants atteints de tumeurs cérébrales, mais l’objectif est de les guérir mieux afin qu’ils soient capables d’avoir une vie autonome
, conclut-elle.
- La Plaine qui accueille les enfants hospitalisés de 0-12 ans, la Montagne pour les 13-25 ans, la Mer, qui est l’unité de soins intensifs, et le Village pour la prise en charge ambulatoire.
Audrey ParvaisJournaliste audrey.parvais@gpsante.fr
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