«Tu as l'détonateur, juste à côté du cœur» : dès la scène d'ouverture, une interprétation a capella de «La Bombe Humaine» de Téléphone par un patient. Tout est dit de la fragilité et de la richesse des écorchés vifs que filme Philibert. «Sur l'Adamant», qui a obtenu l'Ours d'Or à Berlin, se passe tout entier dans la péniche du même nom, amarrée sur la Seine à Paris. Un lieu où se côtoient sans distinction apparente malades, soignants et personnel, et où «tout est prétexte à aider les patients à renouer avec le monde», explique le documentariste de 72 ans. On peut y voir des patients participer à des ateliers thérapeutiques ou artistiques, mais aussi oublier leur statut de malade pour construire une vie commune, aidant par exemple au contrôle du budget. «C'est un lieu qui essaye comme il peut, contre vents et marées, de continuer à faire une psychiatrie humaine. C'est-à-dire où les patients sont considérés comme des sujets singuliers, qui essaie d'aider chacun à trouver sa solution, qui va lui permettre de tenir dans la vie, dans la société», poursuit-il. Un lieu «pas représentatif de la psychiatrie», tient à préciser Philibert, effaré par «la dégradation» des conditions de soins dans leur ensemble: «manque d'argent, manque de lits et surtout manque de moyens humains». Plus largement, c'est un autre regard sur la maladie qu'offre le film: «on ne parle de psychiatrie qu'à la suite d'un fait divers, et donc sous l'angle d'une dangerosité potentielle, de la violence. Autrement, c'est comme si on ne voulait pas aller voir les fous».
"Foyers de résistance"
Sensibles, déchirants, parfois drôles, les patients de l'Adamant ne s'oublient pas, tel Frédéric, dandy aux airs de poète maudit et à la culture encyclopédique qui se vit comme la réincarnation du frère de Van Gogh, ou cette patiente qui n'en démord pas : «on guérit de la folie, je veux guérir, je suis persuadée que je vais guérir». «On n'est pas fou 24h sur 24, vous avez des gens qui sont par moments d'une extrême lucidité et puis, trois jours plus tard, iront moins bien et resteront enfermés chez eux. Un peu comme nous tous», souligne Nicolas Philibert.
Si le grand public le connaît surtout pour «Etre et Avoir» (1,8 million d'entrées en 2002), le réalisateur continue une exploration documentaire au long cours, après s'être penché notamment sur l'apprentissage des étudiants en soins infirmiers, mais aussi sur une première clinique psychiatrique («La Moindre des choses», 1996), la création radiophonique («La Maison de la radio», 2013), la ménagerie du jardin des plantes («Nénette», 2010). «Ce qui m'intéresse, ce n'est pas l'utopie mais les foyers de résistance», explique celui qui travaille sans voix-off et à l'instinct. «Le documentaire est une autre façon de faire de la fiction, parce qu'à partir du moment où on met une caméra, quelque part on interprète, on raconte».
A Berlin, l'Ours d'Or lui a été remis par l'actrice Kristen Stewart, qui a salué «une preuve cinématographique de la nécessité vitale de l'expression humaine, fabriquée d'une main de maître».
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