« La vérité scientifique, qui n’exclut pas les nuances et peut évoluer, doit être la référence qui guide les décisions politiques et permet d’apaiser les tensions trop nombreuses, » soulignait l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques (OPECST) dans son rapport du 9 juin 2022 (« Les effets indésirables des vaccins contre la Covid-19 et le système de pharmacovigilance français »).
Cette exigence a été honorée par la Haute autorité de santé (HAS) qui a présenté, les 29 et 30 mars 2023, deux études portant sur les « obligations vaccinales des professionnels », menées à la suite d’une consultation. Au-delà de préconisations qui soulignent le caractère insatisfaisant de toute pratique systématisée en santé publique sans tenir compte du contexte, de sa pertinence et de son acceptabilité, la HAS ne retient plus comme obligatoire que la vaccination préventive des professionnels de santé contre l’hépatite B. Elle reste « fortement recommandée » pour le Covid-19, la diphtérie, le tétanos et la poliomyélite.
Le refus du consentement de quelques soignants à une prescription médico-scientifique aura contribué à ce qu’une nouvelle doctrine de la stratégie vaccinale soit proposée, non pas pour cautionner une position qui pouvait s’avérer déontologiquement contestable, mais afin de viser à plus de rigueur et d’efficacité si l’éventualité d’une nouvelle pandémie imposait des restrictions aux libertés individuelles.
Une question et une réflexion d’actualité
Avant de reprendre la genèse et le fond du débat abordé dans mon article du 2 mai 2022, rappelons les éléments d’actualité qui suscitent quelques controverses déontologiques au moment où l’OMS, le 5 mai 2023, annonce que « le Covid-19 n’est plus une urgence sanitaire de portée internationale ».
La loi n° 2022-1089 du 30 juillet 2022, mettait fin aux régimes d’exception créés pour lutter contre l’épidémie liée à la Covid-19 (le 1er août l’obligation vaccinale de certains professionnels était abrogée). Elle fixait dans son article IV que, « lorsque, au regard de l’évolution de la situation épidémiologique ou des connaissances médicales et scientifiques, telles que constatées par la Haute autorité de santé, l’obligation prévue au Ier n’est plus justifiée, celle-ci est suspendue par décret, pour tout ou partie des catégories de personnes mentionnées au même Ier».
Tenant compte des préconisations de la HAS sollicitées par le législateur, un décret vient de donner, le 14 mai, les conditions de réintégration des professionnels non vaccinés.
Toutefois, le 4 mai les députés estimaient qu’un décret n’a pas la portée d’une abrogation. Ils votaient en première lecture une proposition de loi portant abrogation de l’obligation vaccinale contre la Covid-19 dans les secteurs médicaux, paramédicaux et d’aide à la personne et visant à la réintégration des professionnels et étudiants suspendus : « […] La présente proposition de loi entend, en son article 1er, abroger les dispositions de la loi n° 2021 1040 du 5 août 2021 relatives à l’obligation vaccinale et ainsi permettre aux professionnels et étudiants suspendus car non vaccinés de reprendre leur activité. »
Entre suspension et abrogation, la distinction n’est pas anodine. Elle peut en effet être interprétée comme une réhabilitation de professionnels ayant dérogé à la règle générale et compromettre toute décision d’obligation vaccinale en cas de nouvelle crise sanitaire qui la justifierait.
Rappeler l’efficacité de la vaccination
Rappelons la mise en mise en garde, en 2010, de la Commission d’enquête sur la manière dont avait été programmée, expliquée et gérée la campagne de vaccination contre la grippe A (H1N1). Elle avertissait que « la défiance à l’égard de la vaccination constitue un défi pour l’avenir. Demain, il nous faudra peut-être faire face à une nouvelle pandémie d’une gravité plus sévère. La mobilisation du corps social sera alors indispensable. Comment ferons-nous si l’on ne croit plus aux mesures de santé publique ? »
C’est avec la même préoccupation d’un risque d’opposition des professionnels à des mesures considérées contraignantes au regard de choix individuels, que nombre d’instances, dont la Fédération hospitalière de France (FHF), à travers une position de son président Arnaud Robinet, ont exprimé leurs réticences à l’encontre des récentes préconisations de la HAS : « Je tiens à dire clairement que la suspension de l’obligation n’enlève rien à l’efficacité des vaccins : ils restent fortement recommandés pour les personnes à risque, mais aussi pour les professionnels de l’hôpital. Depuis trois ans, la pandémie nous demande de nous adapter. La décision de la HAS est une nouvelle étape, et nous devons rester vigilants vis-à-vis du Covid, mais aussi de toutes les épidémies qui arrivent et qu’il faut prévenir. »
Quant à l’Académie nationale de médecine, la plus déterminée à soutenir l’obligation vaccinale des professionnels y compris pour des raisons d’ordre moral et d’exemplarité, elle rappelait : « Loin d’être une atteinte à la liberté individuelle, les obligations vaccinales qui s’appliquent aux professionnels de santé sont des mesures préventives indispensables pour éviter la transmission nosocomiale des infections ; admises par les soignants parmi les pratiques visant à protéger les malades hospitalisés, de plus en plus âgés et fragiles, elles font l’honneur de leur profession. L’Académie nationale de médecine recommande que les vaccinations annuelles, chaque automne, contre la grippe et contre la Covid-19 soient incluses dans les obligations vaccinales des professionnels exerçant dans les secteurs sanitaire et médico-social. » (Communiqué du 31 mars « Vaccinations obligatoires des soignants : l’honneur d’une profession »)
Cette décision de réintégration est en fait sans autre conséquence qu’éthique ou politique, dès lors qu’elle ne concernerait que près de 4000 professionnels (dont certains ne l’auront pas attendue pour réorienter leurs activités) sur les 637 644 infirmiers et 400 000 aides-soignants exerçant au 1er janvier 2022. Il apparaît néanmoins clairement que son impact dépasse le champ d’une procédure administrative. Elle éveille des controverses relatives au processus décisionnel au cours de la crise, aux modalités d’arbitrage et d’accompagnement de décisions, voire de leur réversibilité, notamment quand elles se seraient avérées inappropriées, du moins dans leur forme et au regard de certaines de leurs conséquences.
Une nouvelle doctrine de la stratégie vaccinale
Santé publique France a évalué à 158 336 le nombre des professionnels en établissement de santé contaminés par le SARS-CoV-2 entre le 1ᵉʳ mars 2020 et le 7 février 2023. Le nombre d’infections nosocomiales, entre le 1ᵉʳ mars 2020 et le 14 janvier 2022, est de 6 505.
La protection contre tout risque de transmission évitable, tant des personnes reçues dans un établissement de santé ou résidentes dans une structure médico-sociale que des professionnels auprès d’eux, constitue un impératif qui ne saurait tolérer la moindre négligence.
C’est sur la base d’une expertise scientifique et de données internationales que la HAS a éclairé la décision politique concernant la réintégration des professionnels non vaccinés. Mais davantage encore, elle propose une nouvelle doctrine de la stratégie vaccinale qui sera complétée par une évaluation « attendue pour juillet 2023, [qui] concernera les vaccinations actuellement recommandées pour les professionnels, à savoir ; les vaccins contre la coqueluche, la grippe, l’hépatite A, la rougeole, les oreillons, la rubéole et la varicelle. »
Dans son étude du 30 mars 2023 « Obligations vaccinales des professionnels : la HAS publie le 1ᵉʳ volet de ses travaux », elle préconise que : « soient respectées les recommandations du Haut conseil de la santé publique (HCSP) sur les gestes barrières en milieu de soins. [Que] la vaccination contre la Covid-19 soit fortement recommandée, y compris les rappels à distance de la primo-vaccination, pour les étudiants et professionnels des secteurs sanitaire et médicosocial (exerçant en établissements ou libéraux) et les étudiants et professionnels des services de secours et d’incendie (notamment les sapeurs-pompiers professionnels et bénévoles), en particulier pour les professions en contacts réguliers avec des personnes immunodéprimées ou vulnérables. »
Elle souligne encore que « la vaccination ne remplace pas les autres mesures de prévention des infections des professionnels et des personnes avec lesquelles ils sont en contact. Le respect des mesures d’hygiène, l’utilisation d’un matériel adapté et de protections individuelles, la surveillance et la prise en compte des infections associées aux soins, ainsi que la formation des personnels pour prévenir ces risques constituent une priorité. »
Le juste équilibre entre bonnes pratiques professionnelles, préconisation de la vaccination et respect des gestes barrières constitue un repère qui engage au discernement personnel, chacun devant apprécier le champ de ses responsabilités pour soi et envers les autres.
Dans son étude du 29 mars « Obligations et recommandations vaccinales des professionnels », la HAS rappelle que « toute décision de rendre ou de maintenir obligatoire une vaccination pour des professionnels de santé ne doit s’appliquer qu’à la prévention d’une maladie grave, et avec un risque élevé d’exposition pour le professionnel, et un risque de transmission à la personne prise en charge, et pour laquelle existe un vaccin efficace et dont la balance bénéfices/risques est largement en faveur ».
La balance bénéfices/risques appréciée dans l’évaluation de la pertinence et de l’acceptabilité d’une décision en termes de recherche menée sur une personne, ne conclut pas à un avis favorable à l’obligation vaccinale.
Le principe essentiel à toute démarche scientifique, et donc à une décision en santé publique fondée, acceptable et soutenable, est celui d’une approche circonstanciée selon des critères identifiés, rigoureux, transparents, évalués avec méthode : « la HAS préconise de faire évoluer le cadre juridique actuel afin que l’obligation vaccinale des professionnels soit fondée sur des critères liés à la catégorie professionnelle (en fonction du risque d’exposition professionnelle et/ou de la personne prise en charge) et aux actes à risque susceptibles d’être réalisés, plutôt que sur une liste d’établissements ou organismes dans lesquels ils exercent. »
Du reste la préconisation de lever l’obligation de vaccination contre la Covid-19 adoptée par la HAS est elle-même conjoncturelle et pourrait être revue en cas d’urgence sanitaire le justifiant. Et elle ne remet pas en question ses précédents avis rendus dans des contextes sanitaires différents.
La crise sanitaire aura imposé en bien des domaines un devoir de « vérité scientifique ». Il s’avère d’autant plus nécessaire quant l’on sait ce qu’a été l’approche ambivalente des responsables politiques, comme je l’avais évoquée le 2 août 2022.
Face à l’urgence de décider dans un contexte évolutif d’incertitude, de peurs et de défiance, la décision publique est difficile à arbitrer dès lors que la constitution de données probantes est dépendante d’une temporalité inhérente à la rigueur de la méthodologie scientifique. Les principes et repères comme ceux proposés par la HAS constituent un référentiel.
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