Je l’ai déjà indiqué, cette réintégration n’est pas une réhabilitation […] Il faudrait que l’on anticipe les événements futurs et qu’il y ait un débat réel sur l’obligation vaccinale pour tous.
Il manque une concertation nationale à la suite de la pandémie. Comme si aucun de ses enjeux (limitations de l’accès en réanimation, déprogrammations, décrochages sociaux, souffrances psychiques, deuils, hommages aux victimes, etc.) ne justifiait une restitution.
Au-delà de la préconisation de la HAS, il y a des enjeux relevant également d’une approche éthique. Dans sa réponse à la saisine du ministre des Solidarités et de la Santé du 18 décembre 2020, le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) récapitulait déjà avec justesse les « enjeux éthiques d’une politique vaccinale contre le SARS-CoV-2 » : « Ce que le contexte pandémique a aussi fait émerger, au-delà de l’urgence sanitaire, c’est l’urgence de se donner un cadre éthique qui sous-tende la politique en matière de vaccination. La vaccination est avant tout un enjeu de santé publique et illustre, plus que d’autres champs de la médecine, un conflit éthique entre les intérêts de la société et les intérêts individuels. Car ce n’est pas seulement protéger celui auquel le vaccin est administré. La vaccination protège aussi les autres, ce qui met en évidence le caractère altruiste et l’utilité sociale de la vaccination. »
En situation de crise non anticipée, le principe de réalité n’exonère pas de l’exigence de penser le processus décisionnel dans sa complexité, particulièrement lorsque nos valeurs sont engagées. Car il convient de concilier des enjeux parfois contradictoires, au regard d’une conception subjective du « moindre mal » ou du préférable.
Ainsi, le 30 juin 2020, la HAS considérait que « face au risque épidémique et à la lumière des données disponibles sur la protection des vaccins contre la transmission, la vaccination des professionnels de santé et plus généralement de ceux qui sont en contact avec des personnes vulnérables revêt un enjeu éthique autant que de santé publique ».
Toutefois, une étude présentée en juillet 2022 par la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DRESS) démontrait que le curseur éthique ou déontologique pouvait procéder de logiques d’adaptations discutables : « 19 % des personnels hospitaliers déclarent avoir été incités à se rendre sur leur lieu de travail alors qu’ils étaient cas contact ou avaient des symptômes du Covid-19, contre 4 % pour l’ensemble des personnes en emploi. »
Ce qui apparaît comme un ajustement nécessaire, qui peut s’avérer nécessaire au regard de considérations estimées supérieures, n’a pas été admis pour des professionnels de santé opposés à la vaccination obligatoire. Rien ne permet d’affirmer aujourd’hui, d’une part que leur absence dans les services ou les établissements n’a pas été dommageable à la qualité des soins et de l’accompagnement, mais également qu’ils auraient eux-mêmes pu évoluer dans leur choix si à l’obligation avait été préférée une approche personnalisée et confiante, donnant le temps parfois nécessaire à l’acceptation d’une mesure qui a priori pouvait inquiéter.
Le 9 mars 2021, dans son communiqué « La vaccination des soignants contre la Covid-19 doit devenir obligatoire », l’Académie nationale de médecine soutenait « que l’hésitation vaccinale est éthiquement inacceptable chez les soignants ».
L’enjeu à la fois éthique et politique est d’intégrer au processus décisionnel le temps de « l’hésitation », de la délibération indispensable à une démarche de consentement ou de refus argumenté. C’est ce qu’il convient d’envisager en termes de responsabilisation, car il n’est pas sans importance de considérer que la responsabilité administrative et juridique d’un établissement est également de mettre en œuvre toute mesure de protection de ses salariés.
Qu’en a-t-il été alors de l’attention portée aux risques consécutifs à l’hospitalisation des personnes qui avaient refusé la vaccination, y compris en réanimation ?
Les interventions à venir, favorables ou non à la réintégration des professionnels non vaccinés, sont importantes à analyser. Il s’agit là d’un moment qui symbolise un retour à un rétablissement de pratiques normalisées, en rupture avec l’état d’exception.
La démarche scientifique voulue par les parlementaires le 30 juillet 2022 permet d’identifier les critères présentés par la HAS et, a posteriori, d’observer que cet examen aurait pu être mené avant la crise et ne pas être la conséquence d’une crise de confiance au sein de la communauté des soignants. Certains opposants à la vaccination exprimaient en effet leur refus d’une prescription qui s’ajoutait à d’autres décisions dont on reconnaît désormais le caractère erratique et les effets préjudiciables.
Le 6 mars 2021, le Conseil national de l’Ordre des médecins affirmait que « la vaccination des soignants est une exigence éthique ». Ne conviendrait-il pas de nous concerter sur ce que sont des « exigences éthiques » en temps de crise sanitaire ? L’obligation vaccinale des professionnels de santé doit-elle être considérée, rétrospectivement, tant du point de vue de sa valeur d’exemplarité, de l’observance des règles de bonnes pratiques suscitant le risque d’une défiance à l’égard de l’expertise scientifique et de l’autorité publique, que du point de vue de son efficacité épidémiologique ?
L’apport de la vaccination
Depuis le 5 mai 2023, l’OMS ne considère plus le Covid comme une urgence sanitaire de portée internationale. Rappelons tout de même qu’au plan mondial, 765 millions de personnes ont été infectés, plus de 20 millions sont décédées. Le 3 mai 2023, Santé publique France indiquait dans notre pays 166 811 décès depuis le début de la pandémie.
L’OMS a également rappelé aux professionnels ce qu’a été le privilège de bénéficier de l’accès à une vaccination qui a directement contribué à sortir de la crise du SARS-CoV-2. « Il a été démontré que la vaccination contribue à réduire les décès et les maladies graves dus au Covid-19 et à réduire la transmission. […] La vaccination d’une proportion importante de la population protège également les personnes vulnérables, y compris celles qui ne peuvent pas recevoir de vaccins, ou la faible proportion de personnes qui pourraient rester à risque d’infection après la vaccination. Le fait de ne pas vacciner largement permet également la circulation continue du virus et la génération de variantes, y compris certaines qui peuvent présenter un risque plus élevé. […] Elle a également contribué à permettre le retour à un fonctionnement sociétal normal et la réouverture des économies. » (« Déclaration à l’intention des professionnels de la santé : comment les vaccins contre la Covid-19 sont réglementés pour des raisons d’innocuité et d’efficacité », 17 mai 2022)
Hommage rendu à la communauté des professionnels de santé qui, dans le monde, se sont engagés à nos côtés pour lutter contre le SARS-CoV-2, auquel je m’associe. Leur exigence éthique s’est exprimée dans les circonstances les plus redoutables bien au-delà de l’acceptation de la vaccination obligatoire, en termes d’obligations morales tout autant que sanitaires.
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Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original ou retrouvez la première partie publiée sur notre site.
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