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La personne, le soignant, la pathologie cancéreuse et la question de la formation professionnelle

Publié le 01/04/2009

Le fait pour une personne (et son entourage) de découvrir un diagnostic de cancer, quel qu’il soit, implique un bouleversement existentiel. Cette maladie confronte à de multiples épreuves, simultanément biologiques, psychologiques et sociales, dont la chronologie médicale est à peu près la suivante :

1) La phase de découverte avec :

  • l’étape de suspicion (signes, symptômes, première consultation)
  • l’hospitalisation et les examens et/ou explorations complémentaires pour confirmer le diagnostic
  • la mise en oeuvre des traitements requis
  • les effets secondaires et/ou complications de ceux-ci

2) La phase de rechute quand elle existe, avec à peu près le même schéma que pour la découverte, sachant que la personne connaît en gros ce qui l’attend et peut le redouter davantage

3) La phase terminale quand la pathologie prend, hélas, définitivement le dessus, ce qui arrive parfois très vite (moins d’un an après la découverte)

Cette maladie oblige ainsi les soignants, s’ils entendent dispenser des soins éclairés, complets et avec un maximum d’efficacité, à prendre en compte deux dimensions essentielles et intriquées :

La dimension médicale, qui peut être très sophistiquée, et qui requiert de la part des infirmières* des compétences de maîtrise des connaissances découlant du domaine médical (pharmacologie, physiopathologie, protocoles de soins) d’organisation, d’habilité gestuelle et de savoir faire technique très pointues

la dimension humaine, du fait de l’impact physique et psycho-social dont les effets sont extrêmement complexes, qui requiert de la part des infirmières des compétences cognitives, méthodologiques comportementales et relationnelles également très pointues (écoute, accompagnement, contrôle des émotions, maîtrise de la bonne proximité, capacité à repérer les problèmes relevant du diagnostic infirmier, c’est à dire des initiatives et de la responsabilité professionnelles autonomes bien comprises)

  • Impact de la pathologie et des traitements éprouvants physiquement => fatigue, inconfort, perte des cheveux, amaigrissement, nausées, vomissements, risque infectieux, douleurs diverses, anorexie, perturbation de certaines fonctions physiologiques, dépendance
  • Impact psychologique => représentation du cancer associé à la mort soudain devenue tangible (anxiété, peur, déni), perturbation de l’image corporelle et de l’estime de soi, sentiment d’impuissance, révolte, confrontation à la mort proche et désespoir, deuil liées aux pertes successives
  • Impact socioprofessionnel => invalidité, arrêt de travail, perte d’emploi, chômage
  • Impact familial => bouleversement de la dynamique familiale (séparation, divorce ou au contraire maternage, surprotection par l’entourage, fortification des liens…), perte financière

Les soins prenant en compte plus spécifiquement la dimension humaine ont pour objectif :

  • D’amortir autant que possible les impacts préjudiciables à la personne
  • De stimuler ses ressources (il y en a toujours, il suffit de les rechercher pour les connaître => démarche soignante (ou DDS = démarche de soins) bien comprise
  • De soutenir les forces de vie de la personne malade (accompagnement par le soin et pas seulement le traitement)

Tandis que les soins médicaux (dont beaucoup sont réalisés sur prescription par l’infirmière) vont lutter contre les forces de mort² que représente la pathologie, tout en étant eux-mêmes une force de mort non négligeable, et hélas encore inévitable en l’état actuel de la science médicale, du fait des effets secondaires parfois très agressifs des traitements entrepris.

La complémentarité dynamique (toujours en mouvement, en tentative d’équilibre) de ces deux énergies nécessairement impliquées dans la Santé (force de vie, le fameux Eros selon Freud ? - force de mort, le fameux Thanatos selon Freud encore ?) est particulièrement importante à comprendre pour que la seule  dimension technique et médicale n’occulte pas, comme souvent, le reste du paysage.

Ce qu’ont demandé notamment les malades lors des Etats Généraux contre la Cancer en 2002 « le malade passe avant la maladie, l’homme avant l’organe, le sujet de soins avant l’objet de soins ». Cette demande implique  particulièrement les soignants de proximité que sont l’infirmière et l’aide soignante*. Ceci vaut d’ailleurs pas seulement pour le cancer mais pour toute affection de santé touchant une personne, surtout si cette affection est particulièrement bouleversante au plan existentiel (accident grave, maladie neuro-dégénérative, maladie mentale, handicap…).                                              

En dehors de l’activité professionnelle en Psychiatrie, cette complémentarité dynamique mobilise-t-elle suffisamment l’énergie, l’intérêt et la motivation des infirmières ? Sont-elles suffisamment formées à cette prise en compte pouvant paraître au fond comme un luxe, davantage au service d’un confort exagérément survalorisé - donc secondaire - qu’à une lutte réellement efficace contre la maladie ? Quel aspect privilégions-nous dans notre approche de l’exercice pratique du métier et/ou dans l’enseignement des Soins Infirmiers ?

La réponse à ses questions est affaire de conception du Soin et elle regarde la conscience de chacun, soignants comme formateurs. Cependant, n’est-il pas du devoir des infirmières de se donner les moyens d’un discernement éthique sur ces questions. Et cela déborde largement le Module d’Hémato Oncologie pour lequel au départ cette réflexion a été entamée.

En effet, le découpage du programme officiel des études infirmières en fonction des spécialités médicales, focalise l’intérêt et le regard des futures professionnelles sur l’approche médicale des problèmes de santé, donc essentiellement sur la Pathologie. Ce qui pose ipso facto le lancinant problème de l’intégration des modules dits « transversaux » ! A quoi servent-ils ? Comment les réviser lors de  l’évaluation d’un module ? A chaque fois ? Une fois pour toutes ? Tous les transversaux ? Quelques-uns mais lesquels ? Et pourquoi celui-là plus qu’un autre à ce moment-là ?

Bref, étudiantes* comme formatrices* sont condamnées à une acrobatie intellectuelle et épistémologique pour relier le sens des Soins infirmiers dans leur ensemble - et l’identité professionnelle infirmière qui en découle - avec la dominance médicale qui prévaut dans l’organisation du programme. Dominance qui se fait sentir, remarquons-le, également dans la formation des aides-soignantes.

Les Modules « transversaux » sont le socle de l’identité professionnelle, permettant de répondre à la question « qu’est-ce que c’est qu’être une infirmière, quelle que soit la spécialité médicale où elle va travailler » ? Ce qui permet de savoir sans ambiguïté que nous ne sommes pas kinésithérapeute, pas diététicienne, pas psychologue, pas médecin, pas orthophoniste, pas AS, même si nous travaillons en étroite collaboration avec eux. Même si nous empruntons à leurs savoirs, à leurs méthodes et à leurs techniques respectives. Ce qui permet de comprendre qu’il y a des choses qui ne changent pas en fonction de la spécialité, parce qu’il s’agit davantage d’une situation existentielle que médicale.

Qu’importe qu’un patient meure en Cancérologie ou en Médecine Générale. Qu’importe que sa douleur intense soit d’origine ORL ou digestive. Il souffre et il meurt. Douleur, Souffrance et Mourir nécessitent un réel accompagnement, pas seulement des traitements. Soin d’accompagnement chaque heure de chaque jour, souci du bien-être du patient, maîtrise des modes d’évaluation de la douleur, contrôle de ses propres émotions de soignant, ne pas confondre la peur qui nous appartient avec celle du malade pour ne pas projeter sur lui la nôtre (il a bien assez de la sienne !), écoute et communication adaptées, compréhension des enjeux pas seulement médicaux mais aussi au plan humain : tout cela devient aussi important que traiter. Est-ce que les savoirs médicaux sont alors les plus pertinents pour prendre soin ?

On comprend bien que non. Réflexion sur soi et apport des sciences humaines (synthétisées pour certaines dans le diagnostic infirmier) sont les connaissances prioritairement requises pour qu’une infirmière soit compétente dans ces domaines « para » médicaux. On aurait pu fort bien d’ailleurs les dénommer « para » patient ! Mais est-ce en premier le patient et sa situation générale qui donnent sens aux soins que l’infirmière et l’aide soignante lui dispensent ? Rien n’est moins sûr …

Comment pourrait-on intituler alors les modules du programme d’études d’infirmière si l’on prend du recul vis-à-vis de la Médecine, non pas pour faire dissidence, mais pour clairement indiquer que la profession n’est pas seulement un appendice de la Médecine de réparation et qu’elle a une spécificité propre ? Pour aller dans le sens d’une réponse pertinente à cette question, il faut recenser les situations existentielles qui jalonnent une vie humaine et qui occasionnent une demande de soins, au delà des soins médicaux spécialisés. Ce qu’on appelle ordinairement les « étapes de la Vie », les « grands passages » dont parle MF Collière et qui requièrent chacun des soins avisés et pas seulement des traitements

Par exemple, il faut d’abord à inventer un module « Acquisition de l’identité professionnelle et de la Démarche soignante spécifique de l’infirmière » qui inclurait nombre de savoirs « transversaux », fondements de l’autonomie et de la responsabilité propres de l’infirmière (le fameux rôle propre) avec :

  • Les textes fondateurs de l’exercice professionnel, des aspects pratiques, techniques, juridiques, déontologiques et éthiques
  • Les réflexions fondamentales sur Vie / Mort, Santé / Maladie, Soin et Traitement, ainsi que sur l’être humain (approche psycho-anthropo-sociale)
  • La démarche de soins en tant que processus avec toutes les notions (et/ou concepts) qui s’y rattachent
  • Les problèmes qui relèvent du diagnostic infirmier et leur signification dans l’ensemble d’une situation de santé, la notion de prévalence et de GHM au plan infirmier
  • Les particularités et l’adaptation de la démarche soignante de l’infirmière en fonction des situations rencontrées : court séjour, fin de vie, lieu de vie et personne âgée, maladie chronique (démarche éducative), en santé mentale et en Psychiatrie, en Pédiatrie, en Réanimation
  • Les transmissions ciblées, l’organisation et la planification du travail infirmier, la collaboration avec l’AS

Puis un module de :

  •  « Soins aux patients douloureux », la douleur étant une expérience hélas partagée par nombre d’entre nous et qui ne dépend pas d’une spécialité médicale particulière. Lieu des différents diagnostics de douleur et des différents modes thérapeutiques 
  • « Soins aux patients en fin de vie », la mort étant une expérience universelle, là aussi ne dépendant pas d’une spécialité médicale particulière. Lieu des Soins palliatifs
  • « Soins aux patients atteints d’affection chronique », la chronicité ne dépendant pas davantage d’une spécialité médicale particulière. Lieu de la démarche éducative
  • « Soins lors d’un court séjour (ambulatoire, de jour et de semaine) » permettant d’envisager les problématiques liées à l’hospitalisation programmée et de courte durée.
  • « Soins aux patients ayant une chirurgie » permettant d’envisager de façon générale les problématiques liées à une anesthésie et à une intervention chirurgicale (pré, per et post op.)
  • « Soins à l’enfant malade » permettant d’envisager les problématiques liées au bouleversement affectif et familial induit par cette situation.
  • Le module « Soins à la personne âgée » existe déjà, le vieillissement étant également universel, ce qui donne à ce module un caractère transversal, puisque des vieilles personnes se retrouvent soignées et traitées dans toutes les spécialités médicales…    

Ce découpage n’exclut pas évidemment d’étudier les pathologies les plus courantes dans chaque spécialité médicale. Cela s’intitulerait par exemple :

« Approche médicale des problèmes de santé : les pathologies, leur diagnostic, leur traitement, leur suivi médical et collaboration de l’infirmière à cette prise en charge ». Lieu des grandes thérapeutiques, des grands modes d’exploration complémentaire, de la surveillance et du suivi cliniques des problèmes relevant d’une responsabilité partagée avec le médecin (les risque liées à l’acte médical)

L’idée force est un axe double et complémentaire : prise en charge des soins requis par la personne, ce qui fonde la spécificité des soins non médicaux, donc une partie importante des Soins Infirmiers + prise en charge des soins requis par la pathologie, une partie non moins importante des Soins Infirmiers = prise en charge holistique. Le fameux « soin dans la globalité » dont on ne sait pas toujours bien ce qu’il veut dire, à force d’être une formule, comme le rôle propre infirmier…

Je ne suis pas spécialiste de chacune de ses approches évidemment, mais l’idée générale est la même : se démarquer d’une lecture purement médicale curative des Soins Infirmiers. Bref, une refonte totale du programme, témoin d’une autre façon de voir et de penser les soins et leur rapport à la Médecine curative et réparatrice de type hospitalier … Vaste programme que celui-là, que je n’ai pas vu aboutir officiellement en 40 ans de carrière, dont 30 consacrés à la formation professionnelle, et ce malgré les remaniements successifs des études et les ajustements superficiels du décret d’exercice (allongement de la liste d’acte sur prescription !). Les Soins Infirmiers (regroupant deux fonctions : IDE et AS) ne sont pas que de la Médecine curative en raccourci. Il faudra bien un jour que cela se sache…

Danielle MOREAU

Cadre formatrice en IFSI

Rédactrice Infirmiers.com

Marie Françoise Collière dans Promouvoir la vie

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Source : infirmiers.com