Rappeler l’intérêt du Conseil national de refondation (CNR) Santé pour la profession infirmière : c’est l’objectif que s’étaient fixé Patrick Chamboredon, le président de l’Ordre national des infirmiers (ONI), et Philippe Denormandie, chirurgien neuro-orthopédiste, délégué général de la Fondation MNH, et une des trois personnalités missionnées à la tête du dispositif, pour leur intervention au cours du Salon Infirmier1. Lancé au mois d’octobre dans tous les territoires et construit autour de 4 groupes de travail (prévention, accès aux soins et notamment aux médecins traitants, continuité du parcours de soin, et attractivité), le CNR Santé a donné lieu à quelques 250 réunions impliquant plus de 10 000 professionnels, s’est félicité le ministre de la Santé, François Braun, qui a fait part de sa volonté de le pérenniser. Malgré ses apparences « un peu techno » et ses contours « flous », l’exercice affiche toutefois une véritable volonté d’établir « une démocratie directe avec les professionnels de santé », notamment par son aspect collectif très marqué, a défendu Patrick Chamboredon.
Un dispositif à même de faire évoluer la profession
Mieux, a-t-il jugé, il constitue une réelle opportunité pour faire évoluer la profession infirmière dans son périmètre réglementaire. Le CNR contribue en effet à mettre en lumière le rôle des infirmiers dans les réponses apportées aux problématiques spécifiques de chaque territoire. Il existe des « protocoles locaux qui n’ont jamais été diffusés à la juste mesure de ce que l’on pouvait valoriser sur l’ensemble des territoires ; c’est dommage », a-t-il relevé. Or le CNR permet justement de « faire rentrer les choses dans le droit commun. » Sont ici particulièrement visées ces compétences que les infirmiers mobilisent dans le cadre de ces protocoles mais qui ne sont pas reconnues à leur juste valeur. Au même titre que l’Article 51 (voir encadré), dont un certain nombre d’expérimentations pourraient faire l’objet d’une généralisation dans les deux années à venir, le CNR santé représente l’occasion d’enrichir le métier durablement et de manière visible.
Il faut que la profession s’empare du CNR. C’est une véritable opportunité.
De ce dispositif à la réécriture du décret infirmier, il n’y a d’ailleurs qu’un pas, qui est vite franchi. En effet, les remontées effectuées dans le cadre du CNR santé devraient nourrir les réflexions sur la refonte du métier, s’appuyant sur le passage d’un décret d’actes à un décret de compétences, et pour laquelle François Braun a annoncé se donner un an. Patrick Chamboredon se réjouit que cette réécriture intervienne dans le cadre du CNR, car « il faut que l’on soit pertinent » quant aux nouvelles missions des infirmiers. « L’intégration du CNR » va ainsi permettre de voir que « les infirmiers font bien plus de choses que ce pour quoi ils sont missionnés », veut-il croire, faisant ainsi écho aux attentes d’un Ordre infirmier qui qualifie « d’urgente » la nécessité de faire évoluer la profession. « Il faut que la profession s’empare du CNR », a-t-il donc martelé. « C’est une véritable opportunité. »
Des initiatives identifiées par territoire
Car sur le terrain, les initiatives existent (médiation en santé, bus santé pour renforcer "l’aller vers"…), et le CNR contribue à les mettre en lumière, s’est enthousiasmé Philippe Denormandie, insistant sur la dimension collective du dispositif. « C’est la première fois que tous les acteurs [du secteur] se posaient pour travailler ensemble », a-t-il souligné, évoquant « un système d’équilibre où un acteur est égal à une voix ». Les remontées des professionnels ont permis d’identifier parfois des problématiques identiques sur plusieurs territoires mais nécessitant des réponses adaptées à leurs spécificités. Il s’agit, selon lui, « d’une autre rupture » illustrée par ce CNR : « on peut avoir un sens commun, des objectifs communs, mais les réponses ne sont pas les mêmes partout. » « Des idées sont déjà fonctionnelles », a abondé Patrick Chamboredon, notant la nécessité désormais de comparer les solutions imaginées en fonction des problématiques ciblées, voire de les standardiser quand cela s’avère pertinent.
Un CNR 2 de consolidation
C’est d’ailleurs tout l’enjeu du CNR 2 : réfléchir à l’extension des initiatives déjà remontées, « les faire vivre sur le terrain », a poursuivi Philippe Denormandie, avec la mise en place d’une « boîte à outils qui soit compréhensible pour les professionnels de santé. » Dans cette optique, une instruction émanant du ministère de la Santé a été diffusée dès le 17 mars 2023, appelant à « capitaliser sur ces premiers échanges CNR pour partager dans tous les territoires une vision collective des enjeux de l’accès à la santé, et pour mobiliser concrètement les leviers d’amélioration attendus par nos concitoyens ». Elle identifie plusieurs axes pour déployer cette phase de consolidation : partager l’état des lieux des territoires et leurs défis pour répondre aux besoins de santé, accélérer le déploiement des projets identifiés comme prioritaires par les collectifs de chaque territoire, organiser l’information sur l’offre de soin et de prévention, et continuer à remonter les freins existants. « Nous sommes capables de nous mobiliser, il faut accélérer sur le terrain », a insisté le chirurgien neuro-orthopédiste.
L’Article 51 a été inscrit dans la loi en 2018 et permet d’expérimenter de nouvelles organisations en santé dérogeant au droit commun, avec la possibilité d’une généralisation. 122 expérimentations sont depuis en cours, financées à hauteur de 516 millions d’euros. Un premier dispositif dédié à la réduction de l’obésité chez les enfants est ainsi passé à grande échelle suite à la parution, en novembre 2022, de textes réglementaires encadrant sa généralisation. Entre 30 et 40 expérimentations arriveront à terme entre 2023 et 2024. À noter que les infirmiers y sont omniprésents puisqu’ils sont impliqués dans 72% des projets existants.
En attendant, les professionnels de santé sont encouragés à continuer de faire remonter leurs initiatives, principalement auprès des Agences régionales de santé (ARS), qui se sont dotées de référents CNR dont le rôle est de les mettre en lumière, a-t-il poursuivi. Et les deux intervenants de rappeler la nécessité de jouer collectif, en incluant les usagers, les élus…, condition sine qua non de la réussite du CNR. « Nous sommes face à un changement de paradigme. Il faut identifier les besoins de la population et voir comment on s’organise ; on évolue sur des collaborations interprofessionnelles », a conclu Philippe Denormandie.
1Qui s’est déroulé à Paris, du 23 au 25 mai lors de SantExpo.
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