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VIOLENCES SEXUELLES SUR MINEURS

Inceste : le professionnel de santé doit poser systématiquement la question à l'enfant

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Publié le 20/11/2023

La Commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise) détaille, dans un rapport remis au gouvernement, une politique publique globale pour protéger les enfants contre les pédocriminels et soutenir les adultes qui en ont été victimes. Nathalie Mathieu, co-présidente de la Civiise et professionnelle de la protection de l'enfance, a répondu à nos questions. 

consultation enfant

C'est un «crime de masse». L'inceste touche 160 000 enfants chaque année. La Ciivise, Commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles faites aux enfants, a remis vendredi 17 novembre au gouvernement 82 préconisations «offensives et réalistes» pour lutter contre la pédocriminalité : repérage systématique des enfants vulnérables, extension de la notion d'inceste aux cousins, soins de psychotrauma remboursés pour toutes les victimes, entre autres mesures, visent à lutter contre un fléau qui touche un enfant toutes les trois minutes selon la Ciivise.

Au terme de trois ans de travail, du recueil de 30 000 témoignages et au fil d'un rapport qui comprend 730 pages, elle décortique le mécanisme de ces violences et propose des pistes pour venir en aide aux victimes, à travers plusieurs volets : préventif, sanitaire, judiciaire (avec par exemple une réflexion sur «l'imprescriptibilité» du crime, alors que la révélation d'un inceste prend souvent des décennies)... La Civiise a ainsi l'ambition que ce rapport serve, de façon extrêmement concrète, à protéger les enfants, le plus tôt possible. Il met particulièrement l'accent sur le repérage, avec une mise à contribution du personnel de santé dans ces actions. Elle préconise par exemple le questionnement systématique : dans le cas d'un enfant hospitalisé, la question de savoir comment ça se passe chez lui doit lui être posée. 

La Civiise a ainsi l'ambition que ce rapport serve, de façon extrêmement concrète, à protéger les enfants, le plus tôt possible.

Psychotrauma de type 2

Les violences sexuelles qui touchent les enfants sont un problème d'ordre public et de santé publique massif, qui détruit, anéantit une multitude d'enfants, soulignent les co-présidents de la Civiise, le juge des enfants Edouard Durand et Nathalie Mathieu, professionnelle de la protection de l'enfance. «Tous les enfants qui ont été victimes de violences sexuelles dans leur enfance souffrent de ce que l'on appelle un psychotrauma de type 2, c'est à dire un psychotrauma complexe, soit le plus élevé qu'une personne puisse ressentir», explique cette dernière. «A l'échelle d'un enfant, il est très difficile de se construire à la fois dans ses relations aux autres, à son corps, à l'humanité, quand on a été atteint comme ça, petit». Les séquelles sont importantes, avec des manifestations diverses : «beaucoup de troubles somatiques, de difficultés de concentration, d'endormissement, des troubles alimentaires...» et un tableau clinique conséquent qui relève du «trouble de stress post-traumatique».

Le principe du psychotrauma, c'est justement qu'il se maintient dans le corps de la victime.

Pire encore, une fois adulte, ces troubles se poursuivent. «Il ne suffit pas que l'enfant soit soustrait aux violences sexuelles (soit en étant mis à l'écart de son agresseur, soit en étant placé à l'Aide Social à l'Enfance), pour aller mieux. Le principe du psychotrauma, c'est justement qu'il se maintient dans le corps de la victime : dans le psychisme de l'enfant, le traumatisme reste toujours actif et ses manifestations vont polluer toutes les sphères de sa vie», résume Nathalie Mathieu qui parle, pour ces enfants devenus adultes, parfois avec de très beaux parcours scolaires ou professionnels, «de troubles du sommeil, d'addictions, de dépressions sévères ou encore de tentatives de suicide»

«C'est l'adulte qui doit prononcer les mots» 

Le corps médical ou paramédical, et notamment les infirmières, sont en première ligne dans l'accueil de ces enfants et de ces adolescents. Cette question doit donc être posée clairement, dans des termes précis et sans tabou, confie Nathalie Mathieu. «L'enfant de lui-même ne dira rien. Il faut donc que l'adulte le questionne : est-ce que ça se passe bien chez toi ? Est-ce qu'il y a des gens qui te font du mal ? Est-ce que quelqu'un touche ton corps d'une façon qui te paraît bizarre ? Est-ce que tu dors bien ? Il est aussi possible de faire le lien entre la situation et les violences sexuelles, de façon plus détournée, en disant par exemple : On sait qu'un certain nombre d'enfants qui présentent tel ou tel symptôme, comme le tien, peuvent subir des violences sexuelles. Est-ce que c'est ton cas ? C'est vraiment l'adulte qui doit aller chercher l'enfant, c'est l'adulte qui doit prononcer les mots». Mis en confiance, l'enfant ou l'adolescent verra en ce professionnel «un interlocuteur à l'écoute, capable d'entendre ce genre de révélations». Ce peut être, en cas de manifestation somatique, «expliquer à l'enfant que le corps peut dire des choses... De manière générale, l'adulte doit vraiment se montrer proactif et aller chercher l'enfant». 

Dans ses préconisations, la Civiise a aussi beaucoup insisté sur la nécessité de mettre en place un parcours de soins coordonnés pour les victimes. «S'il n'y a pas de prise en charge efficiente, c'est à dire adaptée au psychotrauma, c'est une perte de chance pour la personne», assure Nathalie Mathieu. De nombreuses victimes évoquent d'ailleurs leur errance médicale : «elles ont consulté de nombreux spécialistes et personne n'a été en capacité de faire le lien avec des violences vécues dans l'enfance puisque la question n'avait jamais été posée. Donc un parcours de soins coordonné, spécialisé en psychotrauma et remboursé par la sécurité sociale, est un préalable pour leur permettre d'aller mieux». 

Les victimes devenues adultes ont répondu massivement à la demande de la Civiise, beaucoup dans l'optique de faire en sorte que les enfants d'aujourd'hui et de demain soient protégés.

Le repérage par questionnement systématique

Les professionnels doivent permettre à l'enfant de révéler les violences en lui inspirant confiance et en lui posant la question. Instaurer un «entretien individuel annuel d’évaluation du bien-être de l’enfant et de dépistage des violences».

  • Intégrer ce repérage dans les consultations de mineures pour une IVG et pour toute grossesse précoce, ou à la suite d’une tentative de suicide d’un enfant ou adolescent. 
  • Rechercher, en cas de mort par suicide, si la personne a été victime de violences sexuelles dans l’enfance.
  • Intégrer le repérage par le questionnement systématique dans les plans de formation initiale et continu de tous les professionnels.
  • Les professionnels doivent aussi être soutenus et assurés de ne pas faire l'objet de poursuites disciplinaires s'ils signalent leurs soupçons. Des médecins ont en effet été poursuivis devant le conseil de l'ordre des médecins pour «immixtion dans les affaires de famille».

Selon la Ciivise, la question doit être posée systématiquement à chaque enfant, par l’infirmière scolaire ou le médecin, et lors d'un «rendez-vous annuel de dépistage et de prévention sur son bien-être et son développement».

Il faut que "le silence ne retombe pas"

Ce rapport a recueilli la parole de 30 000 victimes d'inceste. «On a recueilli la parole des victimes devenues adultes pour, simplement, les écouter», explique Nathalie Mathieu. «On a découvert à cette occasion à quel point elles étaient en attente de ces espaces de parole, parce qu'elles ont l'impression d'avoir été abandonnées depuis des années par les pouvoirs publics». Le travail de la Civiise représente ainsi une avancée importante dans la prise en compte de cette question. 

A chaque oeuvre sur l'inceste, à chaque livre, à chaque prise de parole publique, le silence retombe. «Nous devons rester vigilant à ce que le silence ne retombe pas», insiste Nathalie Mathieu, qui a bon espoir. «La Civiise a quand même créé un mouvement, un élan du côté des victimes, et je pense que ça ne va pas s'arrêter. Elles ont pris la parole et j'espère qu'elles ne vont pas la lâcher. Cette parole devient une parole politique : elles pointent tous les dysfonctionnements, les manquements, les failles dans nos systèmes et en cela, la portée de cette parole va bien au-delà du témoignage individuel».

La Ciivise, créé en 2021 et dont l'avenir était incertain, devrait continuer à exister avec «une nouvelle feuille de route», a assuré dimanche la secrétaire d'Etat à l'Enfance. De quoi encourager associations et victimes dans un combat plus que nécessaire.

Ecoutez sur le sujet le podcast "Ou peut-être une nuit", produit par Louie Média. 


Source : infirmiers.com