Les infirmiers sont pour la plupart entassés dans une mansarde où le plafond est si bas qu’on ne peut pas même se dresser sur son lit excepté au centre du dortoir.
Le nombre de ces personnels laïcs infirmiers augmente de façon conséquente durant le XIXème siècle et plus particulièrement vers 1860-70 avec la IIIème République1. Il représente à l’époque le talon d’Achille de l’administration hospitalière.2 Ce personnel vit dans des conditions insupportables. "Les infirmiers sont pour la plupart entassés dans une mansarde où le plafond est si bas qu’on ne peut pas même se dresser sur son lit excepté au centre du dortoir. On y voit de petits lits en fer aux pieds courbés qui offrent un mode de couchage tout à fait insuffisant. Aucun meuble, pas de parquet, pas d’armoire, pas d’ustensiles de propreté. Les hommes s’habillent là, descendent ensuite dans les salles où ils se nettoient aux lavabos des malades. C’est également là qu’ils changent d’effets et de linge. Ils n’ont donc pas d’endroit particulier. Ils sont obligés de se laver en commun et de dormir dans un grenier, où il n’y a rien en vue de leur bien-être".
Des conditions de vie indignes
Leur galetas3
étant situé immédiatement sous le toit, ceux qui l’occupent sont exposés aux fortes chaleurs et aux froids rigoureux4.
En fait, les administrations hospitalières ont une lourde part de responsabilité dans cette situation. Par souci d’économie, elles réservent à leurs infirmiers des conditions de vie indignes5. "Au dessous d’eux, sont trois étages de salles pleines de malades, de sorte que pendant leur sommeil ces infirmiers respirent forcément quelques unes des émanations de ces malades, émanations qui montent et qui pénètrent par les planchers et les plafonds"6.
Ces « dortoirs » sont systématiquement occupés :" la nuit par les infirmiers de jour et le jour par les infirmiers de nuit. La literie est généralement le rebus de l’hôpital. […] Il n’y a pas de lavabo, pas de cabinets d’aisance à proximité. […] En visitant un de ces dortoirs d’infirmier nous avons vu aussi l’inconvénient d’avoir un W-C à proximité, tout le dortoir en étant infecté, grâce à son installation défectueuse"7.
Une mortalité dans cette profession particulièrement élevée
Et ces conditions de vie extrêmement difficiles sont la cause d’un taux de décès important chez ces infirmiers notamment de la tuberculose. Anna Hamilton8 fait remarquer que sur 31 décès d’infirmiers à l’hôpital Bichat, on comptait 21 tuberculeux. On savait à l’époque que la mortalité dans ce personnel dépassait largement celle des autres professions et la raison invoquée était la proximité de ces infirmiers avec les malades. Or Anna Hamilton rétorque que ce n’est pas le cas dans les pays où les personnels ont des conditions de vie saines. Un rapport établi en 1900 par la commission contre la tuberculose déclarait à l’époque que les dortoirs menacent de devenir des foyers d’infection dès qu’un panseur y a quelque peu séjourné.
De 1822 à 1900, les infirmiers travaillent 14 heures par jour
Un salaire et une considération dérisoires
Quant à la question du salaire, Philippe Rombaud11 nous explique qu’un infirmier a une rétribution inférieure à celle d’une religieuse et d’un domestique. Entre 1816 et 1854, un infirmier gagnait donc "120 à 150 frs par an, salaire inférieur à celui des domestiques […] les indemnités des sœurs Augustines à l’Hôtel-Dieu s’élevaient 249 frs en 1816"12.
Malgré des efforts d’élévation du niveau d’instruction amorcés à partir des années 1880, vers 1900, un serviteur infirmier de 2ème classe gagne annuellement 180 frs en début de carrière, alors qu’une bonne reçoit à ses débuts, un salaire qui oscille entre 300 et 360 frs annuels13.
En fait, les ouvriers au XIXème siècle étaient mieux considérés que les infirmiers tant du point de vue du salaire que du point de vue de la considération professionnelle. Ainsi, "en 1836, un arrêté de Conseil des hôpitaux a fixé le salaire d’un ouvrier à 300 frs et celui d’un infirmier à 150 frs"14 soit moitié moins. "En 1884, les aides charretiers et le vacher de Bicêtre ont le grade de sous surveillant"15.
La modicité des gages n’amène près des malades que des gens incapables d’avoir pour eux les égards et les soins que réclament leur état
Puisque les salaires sont extrêmement bas et que beaucoup d’infirmiers ont une famille à nourrir, tous les moyens sont bons pour gagner de l’argent. La modicité des gages n’amène près des malades que des gens incapables d’avoir pour eux les égards et les soins que réclament leur état. Aussi regardent-ils ces places comme un état transitoire, ils sont infirmiers en attendant mieux, et n’ayant aucun désir de se fixer dans les maisons hospitalières, ils ne font rien pour acquérir la dextérité que réclame leurs fonctions. "Pour augmenter leurs appointements, tous les moyens leurs sont bons ; ce sont eux qui apportent et vendent aux malades des aliments et des boissons que les chefs de service de santé jugent convenable de leur refuser… Presque tous exigent, ou des pauvres malades, ou de ceux qui viennent les visiter, des gratifications plus ou moins considérables. Le malheureux qui ne peut payer reste privé de soins, sans que le directeur le plus actif, ou la surveillante la mieux intentionnée puisse parer à ces inconvénients"16.
Notes
- BORSA S, MICHEL C-R « La vie quotidienne des hôpitaux en France au XIXème siècle » Edition Hachette, 1985, p 176.
- BORSA S, MICHEL C-R ibid,, p 176.
- Galetas : misérable logement
- Le Petit Méridional du 30 mars 1899 in HAMILTON A-E « Considération sur les infirmières des hôpitaux » Hamelin frères, Montpellier, 1900.
- BORSA S, MICHEL C-R, ibid, p 176.
- BOURNEVILLE DM, « Palmarès des Ecoles d’Infirmiers et d’infirmières », 1890-91, opus cite p76.
- BOURNEVILLE DM, opus cite p76
- HAMILTON A-E, femme médecin qui a soutenu une thèse en médecine à Montpellier en 1900 et qui constitue un document unique sur l’état des hôpitaux de la fin du XIXème siècle et le travail infirmier.
- LEROUX HUGON V, « Infirmières des hôpitaux parisiens, ébauches d’une profession », Thèse d’histoire, Université Paris 7, 1981, p 192.
- HAMILTON A-E, p157.
- ROMBAUD P « La profession infirmière sous payée : mythe ou réalité » Revue Recherche en soins infirmiers n° 73, juin 2003.
- ROMBAUD P, opus cite p 63.
- POISSON M « Origines républicaines d’un modèle infirmier 1870-1900 » Editions hospitalières, 1998.
- HUSSON A « Etude sur les hôpitaux considérés sous le rapport de leur construction, de la distribution de leurs bâtiments, de l’ameublement, de l’hygiène et du service des salles de malades » Editions P Dumont, Paris, 1862 p 178.
- JAEGER M, WACJMAN C « Aux sources de l’éducation spécialisée (1878-1910) – la formation des premières infirmières » Collection «Histoire du handicap et de l’inadaptation », Paris, 1998. in ROMBAUD P « La profession infirmière sous payée : mythe ou réalité » Revue Recherche en soins infirmiers n° 73, juin 2003.
- Rapport de la commission médicale du 10 mai 1843 in HUSSON A « Etude sur les hôpitaux considérés sous le rapport de leur construction, de la distribution de leurs bâtiments, de l’ameublement, de l’hygiène et du service des salles de malades » Editions P Dumont, Paris, 1862 p 179.
L’auteur remercie la Revue de la Société Française d’Histoire des Hôpitaux d’avoir accepté la publication de cet article sur Infirmiers.com.
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