Sur 20 000 signalements recensés en 2022, les infirmiers sont la cible de 45 % des violences commises aux soignants (Source : ONVS). Dans ce contexte, le nouveau plan gouvernemental pour la sécurité des professionnels de santé prévoit parmi les priorités de renforcer les opérations de sensibilisation et de formation pour mieux faire face aux comportements agressifs. Ainsi, « à partir de novembre [2023], les agents participeront à une journée entière de formation dédiée à la prévention et à la lutte contre les incivilités. Plusieurs modules donneront aux agents les clés indispensables pour apprendre à réagir face à une situation difficile», précise le ministère de la Transformation et de la Fonction publiques.
“Renforcer la formation des professionnels de santé en matière de gestion de la violence et de l’agressivité des patients et de leur entourage” a aussi fait, en l’occurrence, l’objet d’un rapport de l’Union nationale des professionnels de santé (UNPS) au ministère de la Santé. Une agressivité qu’il convient effectivement d’apprendre à maîtriser car, comme le souligne Yves Peiffer, directeur de la pratique clinique et du développement, psychologue, au sein du Crisis Prevention Institute (CPI) France*, « celle-ci impacte tout à la fois les professionnels (atteintes diverses : traumatismes jusqu’au décès, impacts sur la qualité des soins…), les organisations (absentéisme/présentéisme, difficultés de recrutement/de rétention, mise en conformité règlementaire : pratiques d’isolement/de contention) et les patients (impacts sur la qualité de la relation et des soins prodigués, la dignité, les droits…) ».
Des outils de prévention à disposition
Pour y pallier, il existe cependant divers outils de prévention auxquels peuvent avoir accès les professionnels de santé.
Les approches tenant compte des traumatismes
« L’exposition au traumatisme (trauma simple/aigu ; chronique ou complexe) est quelque chose de fréquent dans la population générale. Et elle l’est encore plus chez les personnes dans les milieux de l’accompagnement et du soin, constate l’expert. Et ne pas prendre en compte cette réalité conduit à une augmentation des risques de crises agressives. »
Face aux traumatismes que peuvent avoir subi des personnes agressives dans leur passé, la conduite à tenir (CDT) consiste à offrir :
- un sentiment de sécurité (environnement physique et relations interpersonnelles) ;
- de la transparence et de la fiabilité (informations cohérentes, dire ce que l’on fait pour assurer un sentiment de confiance) ;
- des choix (laisser les patients/entourage reprendre le contrôle de leur vie) ;
- une collaboration et une réciprocité (faire avec les personnes plutôt que pour) ;
- de l’autonomie, mettant ainsi en valeur les forces et les expériences.
Une approche centrée sur la personne
Autre outil de prévention de l’agressivité : l’approche centrée sur la personne, laquelle met en avant "le potentiel d’actualisation de la personne". Ceci signifie que l’individu dispose de ressources personnelles qui lui permettent de se comprendre lui-même, mais qu’il a besoin d’un cadre rassurant, empathique et soutenant pour y avoir accès et évoluer. Les professionnels peuvent ainsi mettre en œuvre des techniques – faisant appel à l’empathie, à la capacité à se montrer authentique et à considérer l’autre de manière positive – qui facilitent le travail d’évolution en permettant à la personne de s’appuyer sur ses propres ressources.
Les techniques de communication
Les techniques de communication sont bien évidemment d’autres outils de prévention là encore à exploiter pleinement qu’il s’agisse de communication verbale (utiliser un discours simple, clair, respectueux et formuler positivement), paraverbale (faire attention au ton, au volume et au rythme de la personne) ou non verbale [respecter la distance personnelle, position de soutien (SM) par laquelle la position du professionnel (l’endroit où il se trouve par rapport à la personne), sa posture (équilibrée, détendue, non menaçante…) et sa proximité (distance sécurisante par rapport à la personne) agissent de concert pour limiter le stress de la personne en crise)].
Les interventions physiques respectueuses
Autre outil utilisable dans un tel contexte : les interventions physiques respectueuses. « Celles-ci doivent dépendre avant tout du risque auquel on est confronté (en dernier recours, uniquement pour gérer un risque imminent ou immédiat), avertit Yves Peiffer. Elles doivent être proportionnées au risque de la situation/pour la personne, autorisées par l’organisation, avec une évaluation indépendante de la sécurité, réalisées par des personnes habilitées et sans utilisation de la douleur pour limiter les mouvements (clé de bras par exemple lorsque le patient se débat), discutées avec le patient en amont (idéalement), et enfin systématiquement en post-crise ». Contre toute attente, une étude (Ryan et al., 2007) a montré qu’un comportement non coopératif, la sortie d’une zone déterminée ou encore un langage ou comportement irrespectueux étaient parmi les motifs qui déterminent le plus souvent le recours à la contention ; la violence physique du patient, elle, n’arrive qu’en 8e position et en 6e position dans le recours à l’isolement. De quoi interroger sur le recours aux pratiques restrictives…
Les stratégies d’après-crise
Enfin, les stratégies d’après-crise se révèlent aussi profitables. En effet, les debriefing doivent être systématiques, selon une méthodologie qui s’appuie sur la recherche, pour renouer/réparer la relation, nourrir la prévention, et selon différentes perspectives (personne en crise, membres de l’équipe, témoins spectateurs).
« Soyons gentils ! »
Autant de techniques de prévention qui, afin de se prémunir contre l’agressivité, invitent plus globalement les soignants et personnels à traduire en actes certaines valeurs (sollicitude, bien-être, protection, sécuritéTM) et ce, avant, pendant et après le soin/le contact avec les patients et/ou leur entourage. En bref, comme le souligne Yves Peiffer de façon à marquer les esprits : « Soyons gentils ! Sans tomber dans une forme de naïveté, soyons conscients que nous pouvons apaiser les situations par des changements simples dans notre propre comportement ». Une stratégie certes « pas forcément enseignée de manière très formelle » mais néanmoins « basée sur la recherche scientifique et l’expérience des professionnels de santé partout dans le monde ». Et le psychologue de conclure : « Le comportement influence le comportement. Mais c’est seulement sur notre comportement que nous avons le contrôle et non sur celui des autres ».
Malheureusement, des soignants ou personnels en font toujours régulièrement et dramatiquement l’expérience au sein de nos établissements sanitaires, sociaux et médico-sociaux. En 2021, quelque 35 000 professionnels de santé ont été agressés.
Finalisé autour de 42 mesures, le plan interministériel pour la sécurité des professionnels de santé vise notamment la formation de l’ensemble des professionnels de santé à faire face aux situations de violences. Parmi les mesures définies dans ce cadre figurent:
- la sensibilisation et la formation de tous les professionnels à la gestion de l’agressivité au travers de la formation initiale
- la collaboration avec les Ordres et les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) pour promouvoir auprès des soignants libéraux les formations à la gestion de la violence et de l’agressivité du patient et de son entourage, dans le cadre du développement professionnel continu (DPC)
- la conduite d’une campagne de formation des personnels administratifs et soignants des établissements publics et privés de santé (tronc commun avec une partie en distanciel et un temps d'atelier pratique en présentiel)
- la formation à la gestion des incivilités et de l'agressivité verbale ou physique
- la mise en œuvre de la protection fonctionnelle des axes de formation prioritaires au niveau national.
*Informations et propos recueillis lors de l’atelier “Gérer un patient agressif : outils de prévention“ organisé lors du Salon Infirmier-SantExpo 2023.
Pour en savoir plus :
- Nouveau plan interministériel pour la sécurité des professionnels de santé
- Questionnaire sur les violences à l’encontre des professionnels de santé
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