Maladie chronique et incurable, le diabète prend beaucoup de place dans le quotidien de ceux qui en souffrent comme de leur entourage. C’est même peu de le dire tant il envahit toute la sphère de vie et ne laisse aucun répit au quotidien. Parfois, passé la lune de miel avec la maladie, le ras-le-bol peut s’installer et générer des conduites à risque… à moins que celles-ci ne soient déjà présentes en amont du diagnostic.
Tabac, alcool et drogues
Cela peut être le cas avec la consommation de substances psychoactives (SPA), des produits qui ont tous des interactions diverses sur le diabète. Il en va ainsi de la combustion de la cigarette qui produit une inhalation de monoxyde de carbone laquelle va altérer les vaisseaux sanguins et venir potentialiser le risque cardiovasculaire (infarctus, AVC). Le cannabis, lui, induit des risques cardiovasculaires similaires (du fait de l’inhalation de monoxyde de carbone entre autres), des symptômes évoquant l’hypoglycémie (tremblements, sueurs, faim) ou l’hyperglycémie (bouche sèche, soif) ou encore un manque de concentration avec le risque potentiel, pour le patient, de ne pas effectuer sa dose d’insuline.
L’alcool, pour sa part, a un impact sur le foie, en particulier sur la création de réserve de sucre. Ainsi si Santé publique France invite à une consommation maximale de “maximum deux verres par jour et pas tous les jours”, cela s’avère déjà beaucoup pour un diabétique.
Côté drogues dures, la cocaïne a un pouvoir vasoconstricteur qui induit une augmentation de la pression artérielle et du rythme cardiaque, en particulier lorsqu’elle est combinée avec de l’alcool. Quant à l’héroïne et aux opiacés, ils peuvent entraîner des nausées et vomissements, des sensations évocatrices d’une hyperglycémie occasionnant possiblement une perte de la notion des symptômes d’hypo et d’hyperglycémie ainsi qu’un effet stimulant avec disparation de l’anxiété qui peut induire un risque de de coma diabétique.
Prise en charge et conduites à tenir
Compte tenu des interactions de ces produits avec le diabète, « une prise en charge médico-psychosociale » s’impose, comme le souligne l’équipe du service universitaire d’addictologie de Lyon (Sual) des Hospices civils de Lyon (HCL), avec des conduites à tenir (CAT) spécifiques selon les produits consommés. A savoir…
Patient diabétique fumeur de tabac
La CAT consiste à :
- recueillir systématiquement son statut tabagique et l’inscrire dans son dossier patient
- l’informer sur les effets du tabac (risques cardiovasculaire, de rétinopathie, de néphropathie…) et les bénéfices du sevrage dans le cadre d’un traitement pour le diabète
- lui rappeler que des moyens existent pour accompagner l’arrêt du tabac et soulager les symptômes
- initier le sevrage avec prescription et délivrance de traitements de substitution nicotinique (pour rappel, depuis janvier 2016 les infirmiers sont habilités à prescrire des substituts nicotiques : patches et substituts nicotiniques oraux)
- orienter le patient vers une personne ressource (par ex. équipe de liaison et de soins en addictologie/Elsa), son médecin traitant, un tabacologue de proximité ou vers les consultations jeunes consommateurs (12-25 ans) si tel est le cas.
À noter : la cigarette électronique est un outil de réduction des risques : pas de combustion (vapeur d’eau) donc pas de monoxyde de carbone, soit réduction de 95% des risques pour la santé. Elle est à envisager en deuxième intention chez des patients pour lesquels la gestuelle est importante.
Patient diabétique fumeur de cannabis
La CAT vise, là encore, à recueillir des informations sur sa consommation ; l’informer sur les effets du cannabis, ses interactions avec le diabète et lui rappeler que des moyens existent pour réduire les phénomènes de manque ; lui proposer également des substituts nicotiniques (1 joint = 7 cigarettes). De même, s’il souhaite arrêter ou réduire sa consommation, l’orienter vers les structures ressources et prodiguer des conseils de réduction des risques comme ne pas être seul pendant et après une consommation, prévenir son entourage des risques d’hypoglycémie, ne pas se fier à ses sensations ou encore vérifier sa glycémie.
Patient diabétique consommateur d’alcool
Il importe de délivrer des conseils de réduction des risques tels que :
- ne pas être seul pendant et après une consommation
- prévenir son entourage du risque d’hypoglycémie
- se créer un environnement sécurisé
- bien s’hydrater avec des boissons non alcoolisées (de l’eau de préférence ; s’il y a consommation proposer une alternance eau/alcool, eau/alcool)
- ne pas être à jeun
- consommer des sucres complexes
- prévoir du sucre et le lecteur de glycémie.
Patients consommateurs de drogues
Cocaïne, MDMA et ecstasy, héroïne, opiacés... Face à des patients consommateurs de ces substances, il convient de :
- recommander de s’entourer de personnes de confiance
- informer du risque d’hypoglycémie et des symptômes
- prévenir des dangers de la consommation d’un mélange de substances
- les inciter à faire des pauses dans leur consommation ; à bien s’hydrater ; à avoir leur lecteur de glycémie avec eux de même qu’un lecteur de secours (penser au kit de nalaxone antidote d’un surdosage d’opiacés)
- les orienter vers des structures ressources (cf encadré).
Le Réseau de prévention des addictions (RESPAD) a mis en ligne sur son site internet des outils d’autoévaluation et de repérage notamment des risques liés à la consommation d’alcool et de drogues chez les adolescents (questionnaire DEP-ADO), à la consommation d’alcool (audit alcool) ou encore d’évaluation de dépendance au tabac (CDS), lesquels peuvent être utilisés dans les services de soins.
Non-observance dans la maladie
Autre conduite non sans risques et conséquences pour les patients diabétiques : la non-observance. Parce que la maladie prend en effet beaucoup de place dans le quotidien, certains d’entre eux (enfants, ados mais aussi adultes) peuvent être amenés à mettre en place des stratégies de coping ou mécanismes de défense (évitement, rébellion ou refus, actes manqués), lesquels se traduisent alors cliniquement par des non prises des mesures glycémiques, oublis des traitements (volontaires ou non), écarts au régime, grignotages… Résultat : une hémoglobine glyquée au plafond avec des patients qui arrivent déséquilibrés en hospitalisation ou en consultation !
Dès lors, que faire ? Marine Bargy, psychologue clinicienne (75), invite les soignants à « explorer la non-observance » en interrogeant le patient « sur son vécu, ses difficultés, son contexte socio-économique » tout en s’orientant « grâce aux informations cliniques recueillies (présence ou non de mesures glycémiques grâce au Freestyle, alimentation, ressenti des injections) ». La prise en charge consiste ensuite à s’assurer que le patient est compétent (sur sa maladie, son traitement) ; identifier ses ressources (matérielles et humaines) ; faire appel aux acteurs de la prise en charge (diététicienne, psychologue, assistante sociale) ; réfléchir avec lui aux stratégies aidantes (par ex. réveil sur le téléphone pour le rappel des injections…) ; initier de l’ETP (soutien par les pairs/groupe de paroles). Enfin, ne pas hésiter non plus à poser des questions difficiles (par ex : avez-vous des idées suicidaires ?) ni à exprimer son inquiétude autour de son état de santé.
Hypo/hyperglycémies sévères, acidocétose
Enfin, comme le rappelle Mathilde Malwé, infirmière en pratique avancée (IPA) au sein de l’association d’aide aux malades traités par infusion médicamenteuse (Amtim1, CHU Lapeyronie à Montpellier) et à l’Institut St-Pierre (Palavas-les-Flots). « Le danger avec un diabète est tout le temps là car la glycémie peut vite déraper haut ou bas […] et le patient, qui conduit son traitement, peut vite arriver sur les bornes d’arrêt d’urgence avec des glycémies limites » engendrant ainsi «un danger beaucoup plus présent de faire une hypo ou hyperglycémie sévère avec cétose puis acidose ».
- Patients à risque d’hypoglycémies sévères
Patients DT1 à risque d’hypoglycémies sévères : diabétiques de plus de dix ans ; avec un antécédent récent d’hypo sévère ; sujets âgés ; activité physique +++ ; sous bétabloquants ; patients minces ; souffrant d’addictions (alcool, tabac, cannabis) ; insuffisants rénaux ; patients ayant un SAOS ; patients ayant un abaissement du seuil de perception des hypoglycémies ; patients avec un bas niveau socio-économique.
Chez ceux de type 2, on retrouve les mêmes risques, avec une particularité chez les patients sous sulfamides (hypoglycémiants) plus à risque.
- Patients à risque d’acidocétose
Enfants de moins de six ans, patients ayant une mauvaise compliance au traitement notamment les adolescents, les femmes, les patients avec un bas niveau socio-économique, ceux ayant une HbA1c élevée, des antécédents d’acidocétose diabétique, avec une faible capacité d’auto-gestion, ceux souffrant d’addictions, de troubles psychiatriques, d’infections, les patients en rupture de suivi ou encore sous traitement par pompe sous-cutanée ainsi que les patients traités par ISGLT2 (sous glyflozines ; risque faible mais doublé).
Education thérapeutique, renforcement du suivi, nouvelles technologies
Qu’il s’agisse d’hypo ou d’hyperglycémies sévères, la stratégie de prévention des risques passe non seulement par le repérage des patients à haut risque, la définition – avec le patient – d’objectifs glycémiques personnalisés en fonction du risque, bien évidemment par l’éducation thérapeutique pour renforcer tous les messages éducatifs (repérage des signes d’alerte notamment), mais aussi le renforcement du suivi (via la télémédecine ; par une IPA), la prise en charge psychologique (très importante dans ces problématiques de danger) tout comme la collaboration avec les acteurs de la médecine de ville (médecin traitant, Idel, Ipal, prestataires de santé à domicile). Sans oublier l’usage des nouvelles technologies (capteurs de glucose pour la mesure en continue de la glycémie, pompes, boucles fermées hybrides, télésurveillance) qui peut, lui aussi, s’avérer une aide précieuse face à ces complications aiguës du diabète.
Hypoglycémie
- Niveau 1 : glycémie entre 70 et 54 mg/dl
= alerte hypoglycémique (fatigue, irritabilité, sensation de faim)
hypoglycémie modérée
fréquente chez les DT1 (souvent plusieurs fois par semaine)
- Niveau 2 : glycémie inférieure à 54 mg/dl
= hypoglycémie cliniquement importante (sueurs, palpitations, tremblements…)
souffrance cérébrale
- Niveau 3 : altération de la conscience nécessitant l’intervention d’une tierce personne
= hypoglycémie sévère
12% des adultes DT1/6 mois.
(Source : Renard E and al. Diabetes metab Res, 2021 oct.)
Hyperglycémie
- Hyperglycémie modérée : glycémie entre 180 et 250 mg/dl
= alerte (soif, polyurie, fatigue…)
hyperglycémie modérée
- Hyperglycémie sévère : glycémie supérieure à 250 mg/dl
= danger
> contrôle de l’acétonémie
- Cétose : 0,5 mmol/l ou cétonurie : BU ++
douleurs abdominales, nausées, vomissements, odeur acétonique de l’haleine, dyspnée de Kussmaul
danger ++
- Acidose : ph < 7,3 et HCO3 <15
= acidose métabolique
4,7% des patients DT1 en France sont hospitalisés pour une acidocétose inaugurale.
(Source : Goueslard K and al. Diabetes Care, 2018)
*Sources : informations recueillies lors de la session “Diabète et conduites à risque” du congrès annuel de la Société francophone du diabète (SFD) 2023
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