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PSYCHIATRIE

L’accueil en santé mentale : comment repenser cette étape dans un secteur en crise ?

Publié le 25/10/2021

En santé mentale, l’accueil en établissement, dévolu aux infirmiers, est essentiel mais encore trop souvent sacrifié par manque de disponibilité et de temps. Comment alors, dans un secteur en crise, repenser ce moment pour le valoriser afin qu’il contribue à une meilleure prise en charge ?

Pour leur septième édition qui s’est tenue le 21 octobre 2021 à la Cité des Sciences et de l’Industrie (Paris), les Rencontres soignantes en psychiatrie organisées par la revue Santé mentale ont choisi de se consacrer au thème de l’accueil en établissement des patients souffrant de troubles psychiques. Au programme , 4 tables rondes pour faire le point sur cette étape primordiale du parcours de soin, de la posture soignante qu’il requiert d’adopter aux difficultés auxquelles il se heurte, inhérentes à un secteur stigmatisé et délaissé de la santé comme l’ont prouvé les récentes Assises de la psychiatrie , en passant par des exemples concrets pour l’améliorer.

L’accueil, une étape nécessaire en crise

Spécifique au rôle infirmier en santé mentale, l’accueil d’un patient en établissement, qui n’est pas une procédure administrative d’admission, ni un entretien d’orientation, tient à rappeler Santé mentale, représente une étape primordiale de son parcours de soin, car il conditionne en grande partie le lien qui se noue entre les soignants et lui ainsi que l’alliance thérapeutique. Côté professionnels de santé, il remplit une triple fonction : il permet de recueillir un certain nombre d’informations sur le patient : ses troubles, la manière dont il réagit aux autres, son état de santé. Il s’accompagne de la présentation des lieux, de ses règles. Et c’est également là que les soignants évaluent l’impact que sa prise en charge va avoir sur l’équipe soignante, détaille Frédéric Mougeot, sociologue et chercheur au Centre Max Weber. Il requiert donc de l’infirmier qui le mène d’adopter une réelle posture de mise à disposition, aussi bien interne – il lui faut être véritablement à l’écoute et ne pas porter de jugement – qu’organisationnelle – il lui faut du temps.

Or, dans un secteur en crise comme celui de la santé mentale, remplir ces deux critères est souvent difficile. Outre la pénurie de moyens humains, les postes en interne ne sont pas choisis par les psychiatres et nous assistons à une hémorragie avec le départ des baby boomers, y compris chez les paramédicaux, s’alarme Emmanuel Venet, psychiatre au CH Saint-Cyr-au-Mont-d’Or (Rhône), il souffrirait d’une disparition de la pensée institutionnelle, en partie due aux processus de fragmentation opéré par les ARS entre les différents établissements d’un même territoire. En résulte des professionnels de santé en perte de repères qui, par manque de temps, appliquent une psychiatrie purement fondée sur la symptomatologie. Et des soignants embolisés par toutes les tâches inhérentes au soin, qu’elles soient administratives ou fonctionnelles (ouverture et fermeture des portes en unité fermée, par exemple), relève Loïc Rohr, infirmier dans l’unité de psychiatrie adultes Hélianthe, du CH de Saint-Cyr-au-Mont-d’Or, et qui n’ont que peu de temps à consacrer à l’accueil des patients. Une situation déjà complexe que la crise Covid n’a fait qu’aggraver , entre épuisement des soignants sur-mobilisés, ruptures dans les parcours de soins qu’elle a pu provoquer et limitations imposées à la relation entre patients et professionnels de santé, nécessaire dans la prise en charge des troubles mentaux. 47 % des psychiatres estime que le port du masque entraîne une altération négative de l’alliance thérapeutique et a un impact néfaste sur la capacité à évaluer l’état clinique des patients, déplore Édouard Leaune, psychiatre au CH Le Vinatier (Lyon) et doctorant en philosophie.

 QualityRights, une démarche pour améliorer la prise en charge
Depuis 2012, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) propose la démarche QualityRights, une méthode d’observation des pratiques en services de santé mentale, portée en France par le Centre collaborateur de l’OMS pour la recherche et la formation en santé mentale (CCOMS), qui consacre un important volet à la question de l’accueil. Menée sur quelques jours par des équipes éphémères comprenant des usagers, un membre du CCOMS et des professionnels de santé (infirmiers, psychologues, sociologues…), elle s’appuie entre autres sur des entretiens avec les usagers où sont évalués plusieurs critères (liberté de décider de l’heure du lever ou du coucher, réception d’informations claires, existence d’alternatives à la contention et à l’isolement…), et donne lieu à la restitution d’un rapport. L’objectif est de dégager une impression générale sur la vie au quotidien au sein de l’unité observée, mais aussi de proposer des pistes d’analyse et de réflexions pour l’améliorer, explique Bérénice Staedel, chargée de mission au CCOMS. Par ailleurs, l’OMS a développé le programme QualityRights Tool Kit, disponible en français depuis 2017, qui propose des outils de formation à destination des professionnels de santé, des aidants, des associations et des usagers pour renforcer la qualité des soins dispensés par les services de santé mentale.
 

S’appuyer sur le collectif pour une meilleure qualité de l’accueil

Dans ces conditions, comment alors redonner du sens à ce moment du parcours de soin ? En s’appuyant sur le collectif, préconisent en premier lieu Emmanuel Venet et Loïc Rohr. C’est à la suite de deux restructurations de son unité (en 2012 et en 2016) ayant notamment entraîné une réduction des effectifs que l’équipe à laquelle appartient l’infirmier a mené un travail de réflexion collectif, avec partage d’expérience et de questionnement, pour repenser l’environnement de soin ainsi que certaines procédures. Ouverture de l’ensemble des espaces (à l’exception des chambres d’isolement) et aménagement pour les transformer en lieux de vie et de rencontre (ajout d’une table de ping-pong à l’accueil), arrêt de la systématisation des transmissions écrites pour se concentrer sur les informations sensibles, et intégration des médecins dans l’unité, qui participent aux tâches quotidiennes (aide à la toilette) sont autant d’éléments qui ont permis aux soignants de retrouver plus de disponibilité pour les patients. Nous avons pu nous recentrer sur certaines préoccupations, dont la qualité de l’accueil et la mise à disponibilité, se félicite Loïc Rohr, qui souligne que l’équipe a pu retrouver du sens dans son travail, que chacun a pu se réapproprier son rôle, et qui constate une diminution de 30 % des arrêts de travail.

Il faut s’autoriser à penser, improviser et créer ses cadres de soin avec plus de liberté

Imaginer de nouveaux dispositifs

S’autoriser à penser, improviser et créer ses cadres de soin avec plus de liberté, comme le martèle Emmanuel Venet, c’est aussi une philosophie qu’ont appliquée les soignants du CH Buëch-Durance de Laragne-Montéglin (Hautes-Alpes) en imaginant l’outil du "portrait chinois". Le principe : lors de l’accueil du patient par l’infirmier, il lui est demandé de répondre à une série de questions simples (une couleur, un animal, un objet à emporter sur une île) par la première idée qui lui vient à l’esprit. L’objectif ici est double, explique Dominique Friard, infirmier, épistémologue et rédacteur en chef adjoint de Santé mentale. Couplé à un entretien plus traditionnel qui permet au patient de faire un état sur son histoire et ses troubles, le portrait chinois délivre des éléments qui apportent des données cliniques intéressantes sur son état de santé et qui facilitent la définition d’une proposition de prise en charge. Autre avantage, il invite à faire un saut de côté par rapport au motif de l’hospitalisation et mettre ainsi le nouvel arrivant en confiance tout en dédramatisant son entrée en établissement.

L’unité de psychiatrie du CH Charles Perrens (Bordeaux), qui accueille des patients hospitalisés sous contrainte, a de son côté élaboré un Questionnaire préventif de la gestion des émotions (QPGE), initiative portée par Vincent Billé, infirmier spécialiste clinique et étudiant en pratique avancée, et Claire Gonsalves, infirmière et diplômée en recherche en sciences infirmières. Il s’agit là d’évoquer dès l’entretien d’accueil les facteurs favorisant chez les patients des situations de détresse ou de tension et d'identifier les stratégies d’apaisement possibles pour éviter l’escalade, avec pour volonté de limiter au maximum le recours à la contention et à l’isolement. Mis en place depuis 2019, le QPGE a permis pour les patients de retrouver leur dignité et d’enclencher un partenariat de soin avec les soignants, rapporte Vincent Billé. Et pour le soignant, il favorise la rencontre avec la personne soignée, tout deux construisant ainsi une relation singulière dès le départ, et réinvente l’accueil. Il apporte aussi de la souplesse dans la contenance soignante et diminue le rapport de force et les attitudes paternalistes que les professionnels de santé peuvent avoir envers leurs patients, conclut-il.

Journaliste audrey.parvais@gpsante.fr

 

 


Source : infirmiers.com