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PORTRAIT / TEMOIGNAGE

« Les professionnels ont très envie de s’impliquer dans la prise en charge de l’immunothérapie à domicile », Christelle Galvez, lauréate de Femmes de santé

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Publié le 19/10/2021

Organiser le suivi à domicile des patients atteints de cancer et traités par immunothérapie : c’est le défi qu’a souhaité relever Christelle Galvez. Mobilisation et formation des libéraux, nouveau mode de rémunération… entretien avec cette directrice des soins du Centre Léon Bérard, dont l’initiative a été mise en lumière en 2021 par le collectif Femmes de santé.

Christelle Galvez fait partie des treize femmes nominées en 2021 par le collectif Femmes de santé. Infirmière devenue en 2013 directrice des soins au Centre de lutte contre le cancer Léon Bérard (Lyon), elle a lancé en 2020 dans la région Auvergne Rhône-Alpes un dispositif pour suivre à domicile les patients cancéreux traités par immunothérapie. L’expérimentation, qui s’étend sur 5 ans et qui est soutenue par l’Assurance maladie et l’ARS, a intégré ses premiers patients en juin 2020 et espère en inclure 300 de plus d’ici juin 2023. Pour la mettre en place, le centre s’est appuyé sur l’article 51 de la loi de financement de la sécurité sociale 2018, qui permet d’expérimenter de nouvelles organisations en santé reposant sur des modes de financement inédits, afin notamment d’introduire dans l’exercice des infirmiers libéraux des ateliers d’éducation thérapeutique (ETP) à destination des patients. Un défi à la fois organisationnel et financier qui intègre une composante majeure de formation.

Pourquoi avoir ciblé l’immunothérapie dans le cadre de cette expérimentation ?

Pour les médecins et leurs patients, l’immunothérapie est une approche révolutionnaire qui cible le système immunitaire, à la différence de la chimiothérapie, qui s’attaque directement aux cellules cancéreuses1. Ces nouveaux traitements permettent à certains patients d’accéder à une rémission totale alors que leurs cancers étaient considérés comme incurables (formes avancées de cancers du poumon, mélanomes…). Une multitude d’essais se poursuit, ce qui permet à l’immunothérapie d’être utilisée pour un nombre croissant de cancers, et dans des stades de plus en plus précoces, seule ou associées à d’autres traitements conventionnels, comme la chimiothérapie ou la radiothérapie. L’immunothérapie n’est toutefois pas dénuée d’effets secondaires. Comme il n’est pas immédiatement toxique pour les veines, le produit utilisé est injecté directement dans l’organisme par une voie veineuse centrale. Sa toxicité ne se révèle qu’au bout de 5 ou 10 jours après le traitement, les effets indésirables apparaissant, eux, dans les 3 ou 4 premiers mois suivants.

Le problème, c’est que ces effets indésirables sont très différents de ceux, communs, de la chimiothérapie (perte de cheveux, fatigue…). En faisant disparaître certains systèmes de régulation du système immunitaire utilisés par les cellules cancéreuses pour lui échapper, l’immunothérapie peut révéler ou déclencher chez certains patients une maladie auto-immune. Ces effets secondaires peuvent toucher de nombreux organes (thyroïde, poumons, peau, rein, plus rarement le système nerveux ou le cœur) et peuvent mettre en danger le patient s’ils ne sont pas rapidement détectés et correctement traités, voire conduire à son décès. Or l’immunothérapie étant relativement récente et partiellement méconnue, les médecins traitants ne savent plus nécessairement traiter la grippe de leurs patients cancéreux, par exemple, car ils ignorent s’il s’agit d’un effet indésirable du traitement ou pas. Les médecins oncologues de l’établissement recours se retrouvent alors à prendre en charge toutes les pathologies intercurrentes du patient, de sa gastro-entérite à sa bronchite, car ils sont les seuls à connaître l’immunothérapie et ses effets indésirables. Les médecins oncologues étaient donc face à une problématique : ils avaient à disposition une thérapie efficace, qui permet aux malades de reprendre une vie plus normale, mais leur disponibilité pour la prise en charge spécifique des pathologies cancéreuses et l’accueil de nouveaux patients se trouvait réduite par la nécessité d’un suivi rapproché de ceux déjà en traitement. Ils avaient besoin que l’on forme une équipe, aussi bien médicale que paramédicale, en ville comme à l’hôpital, pour organiser le suivi des patients sous immunothérapie entre l’hôpital et le domicile.

Concrètement, quelle est la nature du dispositif ?

Au Centre Léon Bérard, nous avons la chance d’avoir un lien particulier avec les professionnels de ville grâce à l’Hospitalisation à Domicile (HAD). Dès qu’un patient suit un traitement par immunothérapie, il se voit proposer un suivi traditionnel à l’hôpital pendant 6 mois, durant lequel il rencontre l’infirmière de coordination (IDEC) dédiée à son parcours de soin. C’est aussi elle qui prend contact avec l’infirmier libéral (IDEL), qui, durant les six mois suivants, va mettre en place l’immunothérapie à domicile dans le cadre de l’HAD, afin de faire le point sur les connaissances du patient grâce à des ateliers d’ETP. Si le patient n’a pas d’IDEL, ce sont nos IDEC qui ciblent les libéraux travaillant autour de son domicile pour leur proposer de le prendre en charge. Le médecin traitant est également sollicité pour les consultations de suivi, à la place de l’oncologue, qui ne reçoit le patient que deux fois en consultation sur cette période pour suivre l’évolution de la pathologie sous traitement. Si, à la fin de cette seconde phase, nous constatons que tout va bien, le patient ne bénéficie plus que d’un suivi allégé par l’oncologue, qui le rencontre trois fois dans l’année, le suivi régulier étant dévolu au médecin traitant et à l’infirmière libérale. L’ensemble des professionnels qui interviennent auprès du patient s’appuient sur un programme de formation dédié et des outils pédagogiques délivrés par le réseau régional de cancérologie ONCO-AURA, et sur le système d’information régional (Sara) pour partager les informations médicales. Tout acte réalisé est ainsi commun à tous les acteurs de la prise en charge et intégré au dossier médical du patient.

Quel rôle le centre Léon Bérard tient-il dans la formation des professionnels libéraux ?

Nous avons formé en interne tous ceux qui interviennent dans le parcours de santé : infirmières de l’hôpital de jour, de coordination d’HAD, de parcours. En externe, nous formons également les médecins traitants, les IDEL et les pharmaciens. Nous avons ainsi construit, avec le soutien du réseau régional de cancérologie, un programme pour délivrer les 40 heures de formation réglementaires nécessaires à l’ETP et à l’immunothérapie et à ses effets secondaires. En raison de la crise Covid-19, la formation s’effectue en dématérialisé afin que le projet soit plus accessible pour tous. En plus de mettre en œuvre le traitement par immunothérapie, l’infirmière intervient ainsi au domicile dans les 6 premiers mois du traitement pour réaliser des ateliers d’ETP auprès du patient, durant lesquelles elle lui apporte des connaissances sur sa maladie, les effets indésirables du traitement et sur les professionnels de santé à alerter en cas d’urgence.
Parallèlement, nous organisons des classes virtuelles de retours d’expérience ainsi que des entretiens individuels. Nous souhaitions en effet accompagner les libéraux car ils ne sont pas familiers avec l’ETP et s’appuyer sur une communauté de pratique leur permettait de se rassurer. Au cours des webinaires collectifs, qui se tiennent environ tous les 6 mois, à la fin de chaque séquence de traitement, infirmiers, internes et externes au centre Léon Bérard, et médecins peuvent ainsi échanger et discuter des problématiques qu’ils rencontrent.

Comment rémunérer ces séances d’éducation thérapeutique, qui ne sont pas prises en compte dans la NGAP ?

Cette expérimentation est double. D’une part, elle est organisationnelle ; d’autre part, il s’agit d’une manière inédite de financer les soins. Le recours à l’article 51 nous permet de mettre en place un paiement des infirmiers au parcours, qui remplace le paiement à l’activité et intègre tous leurs coûts associés. Les actes dérogatoires relatifs à l’immunothérapie sont rémunérés selon la nomenclature de chimiothérapie à domicile. Les ateliers d’éducation thérapeutique, eux, nous sont facturés par les infirmiers libéraux, les financements nous étant adressés par la CPAM. Les tarifs ont été fixés après consultation avec nos partenaires URPS (médecins et infirmiers), pour des ateliers qui durent entre 1h et 1h30, à raison de 3 ateliers par patient, et pour les temps de consultation et de coordination des parcours. L’article 51 rémunère ainsi le risque pris de suivre les patients à domicile et nous autorise à sortir du cadre de financement habituel. L’idée de l’expérimentation est aussi de prouver qu’en traitant les patients à domicile, nous limitons les coûts de transport sanitaire, qui peuvent ensuite financer les temps de coordination alloués aux professionnels de ville. Aujourd’hui, sur 375 patients, pour une prise en charge qui aurait normalement coûté 3 millions d’euros pour deux ans de traitement, nous comptons ne pas dépenser plus de 2,3 millions d’euros tout en donnant aux professionnels de ville les moyens d’intégrer la prise en charge et d’avoir du temps d’éducation thérapeutique et de coordination.

Comment avez-vous mobilisé les infirmiers libéraux sur ce projet ?

Il n’aurait jamais pu voir le jour si nous ne l’avions pas cosigné avec les URPS des médecins généralistes et des IDEL, avec lesquelles nous avons collectivement construit le parcours. Nous avions déjà travaillé avec l’URPS infirmière pour développer l’outil IDELINE , qui permet de recenser les professionnels de ville et que nous avons mobilisé sur ce nouveau projet. C’est grâce à lui que nous pouvons identifier les infirmiers libéraux de nos patients, leurs compétences, et leur proposer de mettre en place le suivi à domicile. S’ils ne le souhaitent pas ou si le patient n’a pas d’infirmier, IDELINE nous aide à cibler les libéraux qui travaillent autour de son domicile. Et, du fait de notre HAD, nous travaillons depuis des années avec des infirmiers libéraux, à peu près 7 000 chaque année. Nous avons donc largement communiqué par notre réseau. Par ailleurs, le réseau de cancérologie a beaucoup collaboré avec le centre afin de communiquer sur la formation qu’il allait délivrer en partenariat avec nous. Enfin, l’URPS infirmière s’est impliquée pour créer les modules de formation, et un comité de pilotage, constitué d’infirmiers libéraux, a participé à la création des outils d’ETP dès novembre 2019.
J’ai constaté que ces professionnels de santé avaient très envie de s’impliquer dans la prise en charge à domicile de ce type de thérapie. Nous avons ainsi formé 120 infirmières à l’ETP alors qu’elles étaient sollicitées dans le cadre de la vaccination, le suivi des patients… Les IDEL relèvent vraiment un défi en ayant foi que le dispositif fonctionnera. L’équipe de demain, c’est certainement celle qui dépasse les murs de l’hôpital et qui fait jonction avec la ville.

 

  1.  Les cellules cancéreuses exercent un frein qui inactive les lymphocytes, soit les cellules effectrices de l’action anti-tumorale. L’immunothérapie permet de lever ce frein et libérer ainsi l’action des lymphocytes cytotoxiques, qui vont pouvoir détruire les cellules cancéreuses tout en épargnant les cellules saines.
 

Source : infirmiers.com