Au sein de la Société Française d’Etude et de Traitement de la Douleur (SFETD), la Commission Professionnelle Infirmière (CPI) a pour mission de faire connaître et valoriser l’exercice des infirmiers ressources douleur (IRD). C’est d’ailleurs elle qui est à l’origine de l’appellation "IRD", qui identifie ces professionnels de santé qui travaillent exclusivement en structures douleur chronique (SDC). Et c’est elle également qui milite pour l’inscription de cet exercice infirmier dans la pratique avancée. Elle a ainsi produit un argumentaire auprès de la Direction générale de l’offre de soins en novembre 2021 pour défendre sa position.
La douleur chronique, un secteur aussi en souffrance
À l’origine de cette initiative, un constat inquiétant : les structures douleur chronique, comme nombre de champs du secteur de la santé, font face à une problématique de démographie médicale, qui est amenée à s’aggraver. Dans une enquête réalisée en 2021 auprès de 245 structures, la SFETD note ainsi qu’elles ne présentent qu’un équivalent temps plein (ETP) médical pour 100 000 habitants, soit moins de 1% des médecins toutes spécialités confondues, ce qui les expose à une très grande fragilité et précarité
. Une situation qui met en danger la prise en charge de nos concitoyens
», s’est émue Valéria Martinez, la présidente de la société savante lors d’une conférence de presse, le 13 juin 2022. Et ce d’autant plus que 25% de ces médecins partiront à la retraite dans les 5 prochaines années. Or, à l’heure actuelle, les délais de consultation en structures douleur chronique sont déjà particulièrement longs : entre 4 et 5 mois d’attente au minimum. Dire qu’il va devoir attendre 4 à 5 mois – et ça, c’est dans le meilleur des cas – avant d’obtenir une consultation, ce n’est pas entendable pour un patient douloureux. Et c’est normal ; il souffre
, soupire Karine Constans, la présidente de la CPI de la SFETD. Le fait que la prise en charge de la douleur ne soit pas considérée comme une spécialité contribue également à sa progressive désertification. Des consultations douleur ferment
, rapporte-t-elle, ce qui est terrible pour les patients douloureux chroniques qui, en plus de souffrir, doivent faire des kilomètres pour trouver des structures adaptées.
La situation démographique des SDC Selon l’enquête de la SFETD, les structures douleurs chroniques comptent : • 835 médecins, soit 377 ETP, dont 12% seulement sont titulaires. • 15% de médecins ayant plus de 60 ans, avec 177 départs à la retraite attendus d’ici 5 ans. • 1 016 personnels non médicaux, soit 644 ETP. En France, on comptabilise parallèlement 12 millions de personnes douloureuses, dont 5% qui souffrent de douleurs complexes et réfractaires aux traitements de 1ère et 2nde intention. |
Inscrire l’exercice des IRD dans la pratique avancée permettrait, à tout le moins, de réduire ces délais d’attente et de fluidifier les parcours patients, avance-t-elle, en leur permettant d’assurer le suivi des patients. Nous ne demandons pas à initier les traitements
, signale-t-elle. Mais il s’agit de permettre aux médecins de voir essentiellement les patients lors de leur première consultation, les IRD les déchargeant du suivi.
Car, rappelle l’argumentaire, la pratique avancée, en plus de confier une véritable autonomie aux infirmiers, leur offre la possibilité d’effectuer des actes antérieurement dans le domaine médical associés à des actes du métier socle dans un cadre de prise en charge globale du patient.
Un IRD en pratique avancée pourrait ainsi se charger de la prise en charge précoce de la douleur et devenir le professionnel de santé ressource, coordinateur du parcours de soin. De plus, une inscription en pratique avancée permettrait de valoriser les compétences de l’IRD, dont l’exercice est encore peu connu et qui souffre, lui aussi, d’un manque d’attractivité.
Des compétences identiques à la pratique avancée
Mais cet exercice tel qu’il existe actuellement correspond-il, en termes de compétences et de connaissances cliniques, à ce qui est attendu d’un infirmier en pratique avancée (IPA) ? Oui, répond l’argumentaire, qui établit un comparatif entre les deux exercices. Une grande partie des activités des IRD correspond déjà à une activité d’infirmier en pratique avancée
, note-t-il : évaluation de la santé globale du patient, entretien, anamnèse et examen clinique du patient et interprétation des données qui en sont issues, élaboration de projets de soins infirmiers avec la participation du patient, conception et réalisation d’actions de prévention et d’éducation thérapeutique (ETP), surveillance et suivi des traitements… Autant d’actes et de compétences similaires aux deux pratiques. Sont exclus de celle de l’IRD le renouvellement des prescriptions médicales en cours et l’adaptation de la posologie, ou la prescription d’examens complémentaires, notamment. Au vu du cahier des charges des IPA et des compétences demandées, nous nous sommes beaucoup reconnus
dans cette pratique, confirme Karine Constans.
Il n’y aura pas de transformation de l’IRD en IPA sans études.
Les IRD ont aussi souvent suivi des formations en thérapies non-médicamenteuses
, en plus d’un DU douleur, complète-t-elle. Nous sommes pratiquement tous formés à l’hypnose, à la méditation, à la relaxation. C’est notre valeur ajoutée, qui est importante pour nos patients douloureux. Elle les autonomise puisqu’ils peuvent reproduire les gestes chez eux
. S’y ajoute enfin une dimension fondamentale dans les deux exercices : une coopération étroite entre l’infirmier et le médecin au sein des SDC. Nous travaillons beaucoup en coopération avec les équipes médicales, de manière renforcée
, confirme-t-elle, ajoutant que, pour être labellisée, une SDC doit comporter obligatoirement un médecin, un IRD et un psychologue
. Preuve supplémentaire, si besoin, du rôle essentiel de l’IRD dans le parcours de soin des patients douloureux.
Un protocole de coopération en amont
La demande de la CPI supposerait ainsi la création d’une autre mention pour la pratique avancée, en plus des 5 qui existent déjà (pathologies chroniques ; oncologie et hémato-oncologie ; maladie rénale chronique, dialyse, transplantation rénale ; santé mentale ; urgences), probablement pas avant 2025, commente Karine Constans. Et qui impliquerait également la construction d’un parcours de formation spécifique et obligatoire. Il n’y aura pas de transformation de l’IRD en IPA sans études
, tranche en effet l’infirmière. A l’heure actuelle, les IRD qui ont un DU douleur ne peuvent évidemment pas se prétendre IPA.
Les travaux sur le sujet, précise-t-elle, ont débuté en avril 2022 et poursuivent leur cours.
En attendant, la CPI et la DGOS travaillent conjointement à l’élaboration d’un protocole national de coopération, qui autoriserait les médecins à déléguer certaines tâches aux IRD. Ce protocole est intéressant, car il permettra à tous les IRD déjà en exercice qui ne se dirigeront pas vers la pratique avancée de profiter de ses avantages
, note-t-elle. En réalité, le protocole de coopération et, au-delà, l’inscription de l’IRD dans la pratique avancée viendraient officialiser certaines procédures qui s’observent déjà dans les structures. À commencer par l’éducation à la neurostimulation transcutanée* et son utilisation par les patients. Nous ne faisons pas la prescription de manière très officielle. Cependant, nos médecins nous confient souvent une prescription pré-signée
pour les patients douloureux chroniques qui en ont besoin, explique en effet Karine Constans. L’infirmière espère une mise en place de protocoles pour le début de l’année 2023, l’appel à manifestation d’intérêt (AMI), qui consiste à soumettre des projets auprès de la commande publique, étant en cours de rédaction.
Pour aller plus loin : Appliquer la reconnaissance d’une pratique avancée à l’exercice de l’infirmier ressource douleur (IRD) au sein des SDC
*Ou TENS, pour Transcutaneous Electrical Nerve Stimulation - Stimulation électrique transcutanée du système nerveux, technique non médicamenteuse et non invasive visant à soulager la douleur grâce à des impulsions électriques bloquant le signal de la douleur vers le cerveau.
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