Pénurie de personnels, problèmes d’attractivité, formation à revoir : durant ses vœux aux soignants, Emmanuel Macron a posé des constats partagés par l’ensemble des acteurs du domaine de la santé. Les réformes annoncées, elles, suscitent l’approbation des institutions hospitalières et médico-sociales, malgré des réserves sur le calendrier présenté : « On entrevoit beaucoup d’ambition, avec un calendrier ambitieux », souligne Charles Guépratte, directeur général de la Fédération des Établissements Hospitaliers et d’Aide à la Personne privés solidaires (FEHAP) lors des Contrepoints de la Santé*, consacrés à l’analyse des déclarations du chef de l’État. « On espère une mobilisation et une concertation forte des acteurs et des institutions. »
Un manque structurel de soignants
Dans le cas de la pénurie, l’hôpital paie une dette de dix ans de restriction budgétaire. 10 milliards d’économie ont été réalisées sur l’objectif national des dépenses de l’Assurance maladie (ONDAM), soit 10% du budget sur 10 ans, selon Vincent Roques, directeur à la Fédération Hospitalière de France (FHF). Or le premier poste de dépenses est constitué par les ressources humaines. « Entre 2013 et 2018, l’emploi des paramédicaux a augmenté de 0,1% », alors que l’activité a augmenté, elle, de 10%. Conséquence : « une demande de productivité considérable » qui pèse sur les équipes.
À ce manque structurel de moyens humains s’ajoute un problème d’attractivité, que l’ensemble du secteur s’accorde à dénoncer depuis le pic de la crise sanitaire. 5% des postes d’infirmiers actuels sont vacants, 2,5% pour les aides-soignants, rien qu’à l’hôpital public, soit près de 20 000 personnes. 100 000 recrutements supplémentaires sont également nécessaires dans les EHPAD.
On sait qu’une infirmière qui suit 15 patients ne peut pas faire correctement son travail. Et elle le dit, et elle s’épuise et elle s’en va.
Ce problème d’attractivité s’inscrit dans le temps. « Il y a 10 ans, 80% des diplômés allaient à l’hôpital ; aujourd’hui, c’est seulement 40% », déplore de son côté Rémi Salomon. Et parmi les étudiants, « 20 à 30% abandonnent au cours de leurs études. Au bout de 3 ans, 30% quittent l’hôpital. »
Et s’il se pose pour l’hôpital public, il est aussi un sujet dans le privé lucratif et non-lucratif, avec « un manque de financement, de personnes, de passerelles entre les métiers », dénonce Christine Schibler, déléguée générale de la Fédération de l’Hospitalisation Privée (FHP).
Ratios et formation pour ramener de l’attractivité
« Il faut que l’on recrute et que l’on arrive à garder les professionnels », rappelle Vincent Roques. Il faut donc « revoir les conditions de travail », juge Rémi Salomon. Au-delà de l’augmentation des rémunérations, entamées avec le Ségur de la Santé mais estimées insuffisantes, la définition de ratios plus adaptés entre soignants et soignés est une piste à envisager pour renforcer l’attractivité de l’hôpital. « Il faut les revoir. On sait qu’une infirmière qui suit 15 patients – et souvent, c’est plus – ne peut pas faire correctement son travail. Et elle le dit, et elle s’épuise et elle s’en va », poursuit-il, défendant des référentiels par discipline, comme il en existe en soins continus. Une orientation qu'embarque la proposition de loi votée au Sénat, mercredi 1er février. Attention toutefois à ne pas précipiter une réforme qui pourrait s’avérer délétère. Avec l’établissement de ratio, « on va fermer des lits puisqu’on n’a pas de personnels. » D’où la nécessité d’y aller progressivement afin de « donner une perspective aux personnels ». Du côté du privé, on mise surtout sur la formation et sa révision en profondeur, une dimension qu’Emmanuel Macron a identifié dans ses vœux aux soignants, saluent Christine Schibler et Charles Guépratte. « On a des outils pour former les professionnels, mais on assiste à des départs dès le 1er stage et au cours du cursus », affirme ainsi ce dernier. « Il faut miser sur l’apprentissage », défend-il notamment.
Sortir de la T2A, oui, mais à n’importe quel prix
Autre sujet brûlant abordé par le chef de l’État : la limitation de la T2A. Là encore, impossible de supprimer le recours à ce dispositif, dans le public et encore plus dans le privé. « La T2A représente environ 50% des recettes » de l’hôpital public, le reste provenant de dotations d’intérêt général ou de financements populationnels, rappelle Vincent Roques. « La T2A n’est pas le diable. Elle est adaptée à un certain nombre d’activités », ajoute Rémi Salomon. En revanche, elle l’est beaucoup moins pour la prise en charge des pathologies chroniques, ni pour les patients âgés polypathologiques, car elle ne permet pas notamment de financer la prévention ou les parcours. Les modalités de financement sont amenées à évoluer avec, entre autres, l’annonce par Emmanuel Macron d’un financement sur l’objectif de santé publique, veut croire Vincent Roques qui imagine la possibilité de « définir des priorités sur certains territoires (prises en charge du diabète de type 2, des maladies cardiaques…). » Il s’agit également de lutter contre le « sur-financement » de certaines activités par rapport à leur coût réel, pointé chaque année par la Cour des comptes, poursuit-il. Autant de modalités qui supposent de disposer d’une vision pluriannuelle des financements sur 4 ou 5 ans car, « pour investir, recruter, nous avons besoin de visibilité. »
Nous avons une responsabilité collective face à la gravité de la situation, il faut que nous travaillions ensemble pour remplir nos missions de service public.
Pas question non plus pour le privé non-lucratif et lucratif de supprimer la T2A. « Pour nous », rebondit le président de la FEHAP, « la T2A équivaut à 60% de nos financements. Nous en avons besoin pour assurer le développement de nos investissements ». « L’allocation des ressources par la T2A est dynamique et utile quand elle est bien positionnée et qu’elle reflète bien les coûts, et non pas une vision politique », continue-t-il, admettant toutefois que le dispositif peut être « revu ». Christine Schibler craint quant à elle une nouvelle réforme de financement qui viendrait s’ajouter à deux autres réformes « qui patinent » : celles de la psychiatrie et des soins médicaux et de réadaptation (SMR) qui « ont mis à mal les modalités de facturation » de ces secteurs du soin. « Retravaillons déjà sur le financement à la qualité (IFAQ, voir notre encadré), pour lequel nous étions très favorables », conseille-t-elle, tout en concédant que le secteur privé demeure « ouvert » à une révision de la T2A.
Mettre fin à une « logique de compétition »
S’il est enfin un point sur lequel l’ensemble des intervenants sont en accord pour sauvegarder le système de santé, c’est la nécessité d’agir de manière collective. Quand Charles Guépratte appelle à une « co-construction » des réformes et à la fin d’une « logique de compétition » entre les différents acteurs d’un même territoire, notamment entre privé et public, Vincent Roques soutient le besoin « de se parler les uns les autres, de s’obliger à faire des pas de côté ». Christine Schibler, elle, défend un secteur privé qui « peut apporter les mêmes contributions que les autres acteurs ». « Nous avons une responsabilité collective face à la gravité de la situation, il faut que nous travaillions ensemble pour remplir nos missions de service public. Il faut sortir des corporatismes. Il faut qu’on sorte de nos lignes. On ne se connait pas assez bien, donc il faut qu’on se rencontre les uns les autres pour avancer », conclut Rémi Salomon.
*Épisode enregistré le mardi 24 janvier.
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