Dans le cadre de la démarche d’amélioration de la qualité de vie au travail (QVT) au sein d’un bloc opératoire, un espace de discussion apparaît comme un outil indispensable. Structuré sur la base du retour d’expérience (REX), il permet le développement de nouvelles solutions opérationnelles, l’apprentissage organisationnel et le développement des compétences individuelles et collectives. Il peut également favoriser l’évolution du contexte psycho-social au sein des établissements de santé. Ce travail de recherche en sociologie du travail et de l’emploi mené au CNAM par un infirmier anesthésiste, chargé d’action ergonomique, l’explicite.
Fort des fondements présentés, nous faisons le choix de décrire l’expérimentation d’un modèle d’espace de discussion, au sein d’un bloc opératoire d’un établissement de santé public. La demande initiale était centrée sur la dégradation des conditions de travail et la gestion des conflits au bloc opératoire. L’expérience se situe dans le cadre des Cluster QVT (Qualité de Vie au Travail), initié dans les établissements de santé, en partenariat avec la Haute Autorité de Santé (HAS) et l’Agence Nationale d’Amélioration des Conditions de Travail (ANACT).
Hôpital et rationalisme taylorien
Aujourd’hui, force est de constater que la rationalisation héritée de l’industrie du XXème siècle a progressivement été transposée à la gestion des établissements de santé, avec des objectifs communs de rentabilité et d’efficience. Malheureusement, c’est sans compter sur ses corollaires : intensification, parcellisation des tâches, technicisation, normalisation et retour des temps et mesures. Plus encore, les témoignages des professionnels de santé d’aujourd’hui, font écho à ceux des ouvriers d’antan sur l’organisation scientifique du travail, dénonçant anomie et aliénation.
Pourtant, depuis plus de cinquante ans, les travaux en sciences humaines et sociales sont nombreux sur ce sujet. Ainsi, les conséquences de cette nouvelle
rationalisation n’étaient-elles pas prévisibles ? Si chacun d’entre nous semble avoir pris conscience des coûts de la santé, ce ne doit pas être au prix de la vie de ceux qui nous soignent. Comment l’évolution attendue des politiques de santé peut-elle apporter, dans les établissements de santé, les outils de prévention efficaces des pathologies de l’intensification : troubles musculo-squelettiques et troubles psycho-sociaux ?
Cette connaissance du pouvoir d’agir des professionnels, est incontournable pour créer la source humaine de l’innovation, du changement, de la résilience d’un système de santé particulièrement contraint par des objectifs jusqu’alors rarement avoués mais désormais clairement affichés : les parts de marché que représente la santé aujourd’hui.
La participation comme mode de régulation durable
Dans le contexte économique actuel, pérennité de l’entreprise et santé des salariés s’inscrivent dans le cadre de la responsabilité sociétale. Réactivité et adaptation sont les maîtres mots des managers et gestionnaires modernes qui conçoivent le rôle primordial de la communication dans l’obtention de la performance productive (Detchessahar 2001) et l’engagement des salariés. Pour A. Bevort, le néo-management a récupéré à son profit les thématiques participatives héritées de mai 68, permettant de (re)faire une place à la participation, comme mode de régulation organisationnel (Detchessahar, 2003).
Dans ce travail, nous nous proposons de nous plonger au plus près du travail réel (au sens développé par l’ergonomie de langue française), et d’un nécessaire pouvoir dire dans la co-construction d’un agir, porteur de sens, de liens, d’activité et de confort (Richard 2012), s’inscrivant sur les axes stratégiques d’évolution en santé des personnels et en capacité d’innovation et de performance de l’hôpital-entreprise. Nous le verrons, la participation est, plus qu’une confrontation des points de vue, un outil de régulation conjointe, qui ambitionne un compromis d’actions durables entre des partenaires ayant des rationalités différentes, dans un système contraint mais dont l’évolution est acceptée et construite par les parties.
Un espace de discussion sur le travail est un moment et un lieu de communication convivial, de transmission d’informations pour pouvoir agir concrètement, débattre, pour progresser individuellement et collectivement, pour améliorer les prises en charge. Mais aussi, pour pouvoir comprendre l’activité de l’autre professionnel, pour pouvoir
dire, échanger, débattre entre professionnels et que chacun soit entendu.
Retour d’expérience : Qualité de vie au travail et qualité des soins
Pour les établissements de santé, la question qui se pose aujourd’hui est bien celle de la volonté politique et des capacités des directions dans la création et l’articulation des ressources de cette coordination de l’action
(Casse et Caroly, 2017). Nous soutenons ici que, s’il est convenablement équipé et piloté, le retour d’expérience, permet de concevoir et d’imaginer des solutions nouvelles facilitant l’organisation du travail et les coordinations de chacun
(Brami, Damart, Detchessahar, 2014), gages de qualité des soins et de qualité vie au travail.
Le soutien et l’engagement du management constituent une des conditions de succès du dispositif. Il s’agit alors de s’interroger sur la formation et les marges de manoeuvres dont disposent l’encadrement de proximité notamment, dans l’animation et l’accompagnement des actions initiées car ils ne connaissent plus le travail, ses contraintes et les difficultés auxquelles les opérationnels sont confrontés. Ils n’ont plus le temps de s’y intéresser (…) or, dans la mise en discussion sur le travail, les managers de proximité jouent assurément un rôle clef d’animation de la discussion et de remontée de ses conclusions
(Detchessahar, Grevin, 2009).
Conclusion
La (re)connaissance du pouvoir d’agir des professionnels, par le retour d’expérience, est incontournable pour créer la source humaine de l’innovation, du changement, de la résilience d’un système de santé particulièrement contraint par des objectifs jusqu’alors rarement avoués mais désormais clairement affichés : les parts de marché (Metra, Geantot, Grirard, 2015) que représente la santé aujourd’hui.
Références
- ANACT, Accord National Interprofessionnel sur la Qualité de Vie au Travail, Ministère du Travail, de l’Emploi, de la Formation professionnelle, 19 juin 2013.
- Bévort A. De Taylor au néo-management : Quelle participation des salariés, 2013/1 n°5 p33 à 51, cairn.info/revue-participations
- Brami/Damart/Detchessahar. L’absentéisme des personnels soignants à l’hôpital. Comprendre et agir. Economie et gestion, Presses des Mines, 2014.
- Detchessahar M. Quand discuter c’est produire. Revue française de gestion, 32-43
- Detchessahar M. L’avènement de l’entreprise communicationnelle. Revue française de gestion, 2003/1 (no 142), pages 65 à 84.
- Detchessahar M. Grevin A. Un organisme de santé… malade de
gestionnite
, Gérer et comprendre, Décembre 2009, n°98 - HAS, ANACT. Repères et principes d’une démarche qualité de vie au travail dans les établissements de santé. Note du groupe établissement, octobre 2013
- HAS, Outil de sécurisation et d’auto-évaluation de l’administration des médicaments, Juillet 2011
- Metra V. Geantot A. Girard C. Des outils médico-économiques au service de la performance des blocs opératoires, Oxymag, n°143, juillet/aout 2015, p17
- Richard D. Management des risques psychosociaux : une perspective en termes des de bien-être au travail et de valorisation des espaces de discussion. Thèse de doctorat, Université de Grenoble, 2012
Jean-Pierre DIDIERChargé d’action ergonomique et Infirmier Anesthésiste, étudiant en Master Sciences Humaines et Sociales, mention Ergonomie, au Conservatoire National des Arts et Métiers. jeanpierre.didier@sfr.fr
Article issu d’un travail réflexif de validation d’une unité d’enseignement de sociologie du travail et de l’emploi, CNAM, février 2019. (PDF complet)
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