NÉONATOLOGIE

Pour un meilleur usage des adhésifs sur les prématurés

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Publié le 20/04/2023

En service de néonatologie, la fragilité et l’immaturité de la peau des prématurés obligent les professionnels à faire preuve de précautions dans l’usage des adhésifs. Entre risques de lésions et intérêt protecteur, comment la recherche infirmière permet-elle de cibler de meilleures pratiques ?

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Appareils de surveillance, cathéters… chez les prématurés, la pose de dispositifs médicaux requiert une attention particulière. Elle passe en effet par l’utilisation d’adhésifs. Définis par la  Food and Drug Administration (FDA) aux États-Unis comme un « dispositif destiné à des fins médicales qui consiste en une bande de tissu ou de plastique enduite d'une couche ayant sur l'une ou l'autre des surfaces un adhésif », ils servent certes à protéger les plaies ou les zones lésées mais aussi à « fixer des objets sur la peau ».

Or la peau des prématurés a cela de caractéristique qu’elle est immature. « La couche cornée est négligeable avant 26 semaines », rappelle ainsi Aurore Allen, infirmière puéricultrice (IPDE) à l’hôpital Port-Royal et membre du GREEN1. « La maturation s’effectue en accéléré en 2 ou 3 semaines chez les nouveaux-nés. » La peau, précise-t-elle, en plus d’être une barrière naturelle contre les éléments pathogènes, exerce également « une fonction de communication tactile de l’environnement. Or, chez les prématurés, elle n’est pas identique à celle des autres, ce qui entraîne une perception différente, notamment des soins douloureux. » Dans ce cas précis, les adhésifs peuvent être à l’origine de lésions cutanées, qui représentent 35% des lésions iatrogènes observées chez les enfants. De quoi pousser le GREEN a mené une étude2 pour identifier les bénéfices mais aussi les risques autour des deux types de pansements utilisés dans ces services : les hydrocolloïdes et les patchs de de polyuréthane.

Un impact sur le long terme mal identifié

Ces lésions, constate-t-elle en en présentant les résultats, sont notamment des lésions d’arrachage provoquées lors du retrait des adhésifs. « Quand on les enlève, en raison de l’immaturité de la couche cornée et de la cohésion entre les strates, la peau externe se déchire. » Peuvent également apparaître des lésions de macération, lorsque le pansement reste trop longtemps en place et qu’il « modifie la maturation de la peau ». Enfin, viennent les rougeurs ou les irritations, qui s’apparentent à des réactions allergiques et qui découlent des substances chimiques présentes dans ces adhésifs. Ces lésions ont-elles des conséquences durables sur la santé de l’enfant ? Difficile à dire, répond Aurore Allen. S’il n’a pas été possible de lier directement usage d’adhésif et risque d’infection, « une seule complication décrite comme iatrogène » a été identifiée par le GREEN, à savoir une anétodermie, soit une modification de la texture et de l’apparence de la peau, « principalement au niveau de fixation des électrodes », qui peut se traduire par une dépigmentation. Ces lésions apparaissent en général longtemps après la sortie d’hospitalisation (entre 5 et 10 mois, précisent les conclusions de l’étude). Enfin, se pose la question de la douleur, ou du moins de l’inconfort, ressentie par le prématuré lors du retrait de l’adhésif et qui, en l’absence souvent d’échelle d’évaluation adaptée, est difficile à quantifier.

Les hydrocolloïdes, lorsqu’ils sont utilisés comme plateforme à d’autres adhésifs, sont décrits comme étant « réducteurs d’effet d’arrachage ».

Des bénéfices probables mais peu documentés

Voilà pour les risques. Côté avantage, les hydrocolloïdes, lorsqu’ils sont utilisés comme plateforme à d’autres adhésifs, sont décrits comme étant « réducteurs d’effet d’arrachage ». « On colle l’adhésif dessus et non pas sur la peau, ce qui réduit l’incidence » du geste sur la peau des prématurés, indique l’infirmière. Ils permettent ainsi de préserver les points d’appui. Lors d’une étude réalisée auprès de 45 sujets, « aucune lésion cutanée secondaire n’était observée dans 97% des cas », note le GREEN. Les patchs de polyuréthane, eux, ont démontré une autre utilité : collés sur le thorax ou l’abdomen de 18 prématurés pendant leurs 4 premiers jours de vie, ils ont contribué à diminuer de moitié la perte d’eau transcutanée (TEWL, Transepidermal Water Loss). Attention toutefois. Car si le GREEN estime que les hydrocolloïdes se prêtent bien au rôle de plateforme pour d’autres adhésifs, aucune des études consultées « n’a évalué » leur usage « sur la perception tactile, les effets du retrait ou le retard de maturation de la peau », observe Aurore Allen.

Le manque de données, c’est d’ailleurs là que le bât blesse, relève-t-elle. Que ce soit en termes d’une évaluation quantitative du type de lésions, des conséquences à long terme de l’usage des adhésifs sur les prématurés (douleur, incidence sur la motricité…), ou même d’une comparaison entre différents types d’adhésifs, les données comparatives se font très rares au sein de la littérature. Et ce même si l’usage de ces dispositifs est très répandu.

Plusieurs recommandations pour améliorer la pratique

Dans ces conditions, difficile de cibler des recommandations types pour mieux cadrer la pratique, mais « des stratégies peuvent être utilisées pour préserver l’intégrité de la peau », assure Aurore Allen.

  • L’utilisation d’échelles d’évaluation : « Il existe des échelles d’évaluation, tels que le "Neonatal Skin Condition Score" (NSCS) qui permet d’évaluer l’état de la peau (lésions apparentes, rougeurs), et qu’il peut être intéressant de standardiser. » S’appuyant sur 3 items, soit la sécheresse cutanée, l’érythème et la présence de lésions, notés de 1 à 3 (3 correspond à un état cutané normal), le NSCS est notamment utile pour dépister ces lésions et aider à leur cicatrisation, explique-t-elle.
  • Optimiser les procédures de retraits : autre solution, utiliser des solvants pour détacher plus facilement les adhésifs et réduire la douleur causée par leur retrait. Néanmoins, là encore, les données manquent sur les possibles conséquences du « passage transcutané des solvants », avec risque de toxicité. « Les odeurs peuvent aussi entraîner un phénomène d’apnée » chez le nouveau-né, met en garde l’infirmière. Opérer une réduction du nombre de retrait des adhésifs, lorsque ceux-ci ne sont pas décollés ou souillés, est aussi envisageable.
  • Recourir à des appareils qui ne nécessitent pas d’adhésifs : il existe en effet des dispositifs qui peuvent se fixer sans adhésifs et qui permettent de contourner la difficulté, comme de surveiller la fréquence cardiaque « sur capteur » et non pas via des électrodes, donne-t-elle en exemple. Les laboratoires qui vendent ces appareils proposent également des moyens « moins traumatiques » pour les attacher, rappelle-t-elle.

La clé de cet ensemble de recommandations demeure toutefois la formation et la sensibilisation des professionnels. « Il faut les sensibiliser aux risques de lésions cutanées et les former aux stratégies de prévention », qu’elles relèvent des précautions à prendre lors du retrait des adhésifs ou de leur positionnement. Attention, par exemple, à la « position des électrodes parce que certaines lésions peuvent être inesthétiques et que les enfants peuvent les garder longtemps. » Enfin, le GREEN recommande que chaque équipe s’empare du sujet pour notamment définir les modalités d’utilisation de chaque adhésif, et standardiser les méthodes d’évaluation de l’état cutané pour améliorer le dépistage et la prévention des lésions.

Pour construire ses recommandations, le GREEN s’est appuyé sur une revue de la littérature existante sur le sujet. L’objectif de cette recherche était d’identifier les pratiques d’utilisation des adhésifs et d’identifier les effets secondaires et leurs conséquences qui leur sont attribuables.

1 Groupe de Réflexion et d’Evaluation de l’Environnement du Nouveau-né, de la Société Française de Néonatologie

2 résultats publiés en octobre 2021 et présentés lors de la première Journée d’Étude Paramédicale en Néonatologie le 31 janvier 2023 à Créteil.


Source : infirmiers.com