RECHERCHE

La recherche infirmière, une discipline en pleine structuration

Publié le 16/09/2021

Depuis une quarantaine d’années en France, plus de deux cents infirmier(e)s se sont inscrits dans des cursus doctoraux. En raison notamment de l’absence de discipline universitaire dédiée, ils sont disséminés dans des facultés et écoles doctorales ayant des exigences et des modalités pratiques très diverses, qui contribuent à un manque d’homogénéité des démarches de thèse. En même temps, la majorité de ces infirmier(e)s poursuivent leurs études doctorales en cours d’emploi avec probablement des motivations professionnelles propres, ce qui les distingue du profil des autres doctorants ayant un cursus universitaire classique.

Une réflexion sur la gestion des compétences scientifiques des IDED au sein des organisations de santé devient urgente (Nsuni Met)

Aujourd’hui, le rôle des infirmier(e)s docteurs et doctorant(e)s (IDED) reste encore peu visible au sein des établissements de santé1 Cependant, depuis quelques années, les institutions hospitalières ont montré le souhait d’investir dans la démarche de recherche paramédicale, via notamment un nombre croissant depuis 2011 de projets financés par le Programme Hospitalier de Recherche Infirmière et Paramédicale (PHRIP)2. En parallèle, les Communautés Hospitalières de Territoire remplacées par les Groupes Hospitaliers de Territoire (GHT) ont mis en place depuis 2010 des coordonnateurs de recherche paramédicale, qui sont en partie titulaires d’un doctorat ou doctorants. L’autre élément fort de la dynamique scientifique de ces infirmier(e)s est la création de la section CNU en sciences infirmières en 2019.

Un environnement à mieux définir

De nombreux articles invoquent la nécessité de développer la recherche en soins infirmiers depuis un peu plus de 10 ans3,4,5. Des travaux ethnographiques ont même été effectués pour étudier le contenu de l’activité de recherche et l’articulation avec les pratiques cliniques en France et en Europe6. Ces travaux, en France comme aux États-Unis, posent principalement, et de façon tout à fait légitime, la question de la recherche du point de vue clinique. Dans ce contexte, beaucoup d’infirmier(e)s sont invités à faire de la recherche sans vraiment connaître le milieu universitaire, ni surtout ce qui les attend dans les organisations de santé pendant le travail de thèse (temps dédié à la thèse, financement, articulation entre la recherche et la pratique clinique, attentes des équipes soignantes, de la hiérarchie, etc.) et lorsqu’ils seront diplômés (statut du doctorat infirmier dans les organisations santé, logique de carrière de recherche…).

Une enquête empirique

Dans notre doctorat en sciences de gestion, nous nous sommes interrogés sur le vécu des infirmier(e)s qui souhaitent commencer un parcours de thèse tout en travaillant dans les organisations de santé. Qui sont ces infirmier(e)s docteurs ou en phase de le devenir en France ? Quelle place occupent-ils dans les organisations de santé ? De quelles ressources organisationnelles et financières disposent-ils pour réaliser leur travail de thèse ? Dans le cadre de cette thèse en sciences de gestion, une étude a été menée dans une perspective organisationnelle qui se situe dans le prolongement de recherches interactionnistes sur le contenu du travail infirmier dans les organisations de santé à la manière de Davina Allen7, qui s’appuie des travaux d’Everett Hughes8. Dans un contexte où les modalités de thèse diffèrent beaucoup d’un point de vue académique (en fonction des facultés et des écoles doctorales), cette perspective met l’accent sur les parcours biographiques et les expériences professionnelles partagées par l’ensemble des docteurs et doctorant(e)s infirmier(e)s.

Quels résultats ?

Cette étude visait à la fois à mieux saisir les relations de travail et au travail des infirmier(e)s docteurs et doctorant(e)s et de proposer des recommandations managériales, pour une meilleure connaissance des relations de travail et mieux les intégrer. L’enquête met en évidence des similitudes d’expériences professionnelles, de motivations, de représentations. Elle montre aussi que la source des difficultés réside aussi dans l’organisation du travail. Cette recherche a permis d’identifier les ressources disponibles ou non dans les organisations de santé pour développer des démarches de recherche paramédicale. L’un des principaux résultats est l’importance de la relation médicale dans ces projets de recherche infirmière. Les projets doctoraux ne se construisent pas, pour beaucoup, par modèle des pairs mais bien sous une dynamique plus ou moins consciente du corps médical. La recherche montre aussi des tensions avec la hiérarchie infirmière. Par ailleurs, les données soulignent des difficultés d’intégration dans les équipes. Les pairs par leurs remarques soulèvent une problématique identitaire de la profession infirmière et requestionnent la place de la recherche dans le mandat infirmier. C’est-à-dire la définition et les représentations du métier infirmier. Nous pouvons penser que la recherche infirmière souffre en priorité de problèmes de représentation. Notre étude montre que la source des difficultés réside aussi dans l’organisation du travail. La description de certains parcours notamment pour celles qui ont travaillés en réanimation révèle la nécessité de réfléchir à des unités de soins apprenantes pour favoriser les apports scientifiques et la construction de projet recherche commun. Permettre à tous les professionnels de participer ou de présenter lors des cours, des Staff ou colloques favoriserait d’intégrer les projets de recherche au plus près des activités cliniques quotidiennes… Pour cela, il faut laisser l’opportunité aux infirmier(e)s de sortir des soins directs et favoriser des espaces de réflexions scientifiques au-delà du service de réanimation.

Vers la reconnaissance scientifique

L’actualité professionnelle avec l’universitarisation de la formation initiale avec la création de postes de maître de conférences en sciences infirmières, le développement de Master Infirmier(e) en Pratique Avancée, la forte demande de reconnaissance, laissent envisager que de plus en plus d’IDE vont investir des parcours doctoraux. Une réflexion sur la gestion des compétences scientifiques des IDED au sein des organisations de santé devient urgente, tout comme la nécessité de l’utilisation de la recherche dans la pratique des soins, la valorisation des travaux scientifiques et des engagements financiers pour les projets doctoraux, entre autres. L’une des clés de la reconnaissance scientifique de ces profils infirmiers et des paramédicaux en général est la formalisation de rôle et missions au-delà- des postes de coordonnateur de recherche.

Références bibliographiques

      1. Péoc’h N. Plan d’action de promotion de la recherche : un modèle d’implémentation opérant pour les directeurs des soins. Gestions hospitalières 2018. 573 : 114-119
      2. Beloni P. Cartron E. La recherche en soins : développement d’une activité porteuse d’enjeux pour les professions paramédicales et les établissements de santé. Recherche en soins infirmiers 2016. 124 (1) : 6-7
      3. Lecordier D. Cartron E. Jovic L. Les sciences infirmières : une clarification s’impose. Recherche en soins infirmiers 2016. 127(4): 6-7
      4. Debout C. Eymard C. Rothan-Tondeur M. Une formation doctorale dans la filière infirmière : plus-value et orientations dans le contexte français. Recherche en soins infirmiers 2010.100(1) : 134-144
      5. Poiroux L. La recherche paramédicale, élan pour un nouveau paradigme. Bulletin Infirmier du Cancer 2016. 6 (3): 97-101
      6. Dupin CM. Borglin G. Debout C. Rothan-Tondeur M. An ethnographic study of nurses’ experience with nursing research and its integration in practice. Journal of advanced Nursing 2014. 70 (9): 2128-2139
      7. Allen D. The invisible Work of Nurses: Hospital, Organisation and Healthcare. RoutledgeAdvences in Health and Social Policy. 2014 ; 170
      8. Hughes E. Le regard sociologique. Essais choisis, textes rassemblés et présentés par J. M Chapoulie, Paris, Edition de l’EHEES 1996 (traduction de the sociological eye Chicago, 1971) ; 344

Nsuni MET
PhD Student
Cadre expert à la Direction des Soins Hôpitaux Universitaires Paris Seine Saint Denis
Ecole Doctorale EDGE (Economie et Gestion) Rennes 1 / Réseau doctoral de Santé Publique EHESP
Laboratoire Arènes CNRS / UMR 6051


Source : infirmiers.com