«Devant la situation d'une personne en rupture scolaire, sociale, professionnelle abrupte, ou en situation de harcèlement, les professionnels de santé devraient se poser la question d'un TND (trouble du neurodéveloppement) sous-jacent comme le TSA (trouble du spectre de l’autisme)». C'est l'une des conclusions des chercheurs d'une étude suisse qui objective le sous-diagnostic des filles et des femmes dans l'autisme. Cette revue de littérature helvète met en lumière l'impact du genre dans le diagnostic et invite les professionnels à chercher à travers certaines vulnérabilités un trouble du neurodéveloppement sous-jacent.
Des outils diagnostiques construits avec les garçons
«Il n’existe pas de marqueurs biologiques pour établir le diagnostic de TSA», rappelle l'étude. «Il repose uniquement sur des critères comportementaux, observés cliniquement et évalués à l’aide d’échelles comportementales et de questionnaires. Ces outils diagnos tiques sont influencés par les biais culturels et de genre».
«Ces outils diagnostiques, construits sur la base d'un phénotype majoritairement masculin, sont finalement peu différenciés pour le genre. Or le genre, tout comme les différences culturelles, influence les règles de la communication, le jeu chez l'enfant, l’expression des émotions ou leur interprétation». Les auteurs constatent «qu'il y a encore peu d'études scientifiques solides sur le plan méthodologique qui questionnent les biais de genre dans les outils de détection et d'aide au diagnostic».
C'est donc aux professionnels d'être très attentifs à des expressions cliniques «même si l'échelle ne cote pas pour un risque de TSA». Par exemple, «certaines formes de compensation précoce (fillette explosant à la maison alors qu'elle se comporte parfaitement à l'extérieur), une rupture scolaire inexpliquée ou un effondrement psychique subi à l’âge adulte sont très suggestives d'un TSA», rappellent-ils.
Attentes sociales et camouflage
A ces difficultés s'ajoute celle du « camouflage social », également fréquemment observé chez les filles présentant un TSA. «Ce camouflage consiste à masquer les comportements autistiques et à compenser, consciemment ou non, les déficits de communication sociale et les comportements atypiques». Il en résulte des signes et symptômes autistiques « moins observables », participant probablement à «une détection insuffisante et par conséquent à un diagnostic tardif, voire manqué».
En effet, comme le rappellent les auteurs, les attentes sociales sont genrées. «Un comportement de retrait social sera perçu comme une difficulté pour un garçon et interprété comme de la timidité chez une fille. Les filles sont généralement considérées comme ayant une plus grande motivation sociale et réactivité émotionnelle et présenteraient davantage d'empathie et de sensibilité aux sentiments d'autrui. Enfin, les femmes seraient également plus sensibles aux pressions sociales pour adopter des comportements genrés. Tous ces facteurs contribuent probablement à la tendance au camouflage social fréquemment observé chez les filles», analysent-ils.
«En grandissant, les stratégies de camouflage, plus efficaces durant l’enfance, tendraient à ne plus suffire à mesure que les demandes sociales deviennent plus exigeantes, souvent dès l’adolescence. L’effort fourni pour l’adaptation est tel qu’il peut mener à un épuisement et un effondrement psychique sur la durée. Ainsi, l’adoption de comportements de camouflage par les filles et femmes TSA serait influencée à la fois par l’environnement socioculturel, les normes de genre, et leur motivation à se conformer ainsi que par leur compétence d’imitation des comportements socialement typiques».
Retard de diagnostic
Le retard de diagnostic a un impact non négligeable sur la santé des filles TSA : elles ont plus de troubles anxiodépressifs, de troubles du comportement alimentaire, font plus de tentatives de suicide que les garçons TSA. Elles ont également un risque significativement plus élevé d'être victime de harcèlement et d'abus sexuel que les autres filles. «En raison de l’incompréhension des codes sociaux et de leur propension à s’adapter aux demandes sociales, elles ont plus de difficultés à se protéger face à des agressions. Sur 200 femmes TSA interviewées, 90 % rapportent des abus sexuels, dont 50 % avant l’âge de 18 ans».
Le TSA en quelques mots
Le trouble du spectre de l’autisme (TSA) est un trouble neurodéveloppemental, congénital, dont la cause principale est génétique. Les caractéristiques du TSA sont un développement atypique ou insuffisant des compétences de communication et d’interactions sociales et la présence de comportements atypiques, décrits comme répétitifs ou restreints. Ces derniers peuvent prendre la forme d’intérêts envahissants pour certaines activités ou thèmes (transports, animaux, planètes, superhéros) et/ou de mouvements répétés du corps (stéréotypies motrices). Les personnes touchées par le TSA présentent et rapportent soit une hyper ou une hypo sensibilité dans les domaines sensoriels touchant toutes les modalités. Le développement du langage est souvent en décalage ou présente des atypies, comme de l’écholalie ou une prosodie monotone (robotique). L’utilisation du langage dans la communication est souvent peu, voire non fonctionnelle.
La plupart des personnes (> 70 %) touchées par un TSA ne présentent pas de déficience intellectuelle. Dans l’ancienne classification, la terminologie de syndrome d’Asperger se rapportait au profil comportemental d’autisme sans déficience intellectuelle ou trouble du développement du langage. Ce terme n’existe officiellement plus dans les classifications internationales des maladies, cependant, les associations de patientes et les patientes maintiennent cette nomenclature.
Les comorbidités sont fréquentes. Les personnes touchées par un TSA peuvent combiner d’autres troubles neurodévelop pementaux, comme un trouble déficitaire de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH), un trouble de la coordination et/ou des praxies (dyspraxie), ou encore un trouble spécifique des apprentissages (dyslexie, dysorthographie, dyscalculie). Ces différents troubles apparaissent et se déploient tout au long de la trajectoire développementale jusqu’à l’âge adulte. L’impact fonctionnel est variable.
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