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CROYANCES

L’allaitement maternel, une prescription religieuse ?

Publié le 23/12/2021
L’allaitement maternel

L’allaitement maternel

L’allaitement est encouragé de par le monde car le lait maternel est un gage d’apport en nutriments et anticorps essentiels au développement des bébés, en particulier des prématurés. Si une part de la société considère l’allaitement impudique, tabou, voire un asservissement pour la femme, religions et cultures l’approuvent et l’encouragent.

Les bénéfices de l’allaitement maternel pour le bébé font consensus. Pour autant, respecter le choix des parents est primordial

En France, selon l’Inserm, seulement un enfant sur quatre est allaité jusqu’à 6 mois, durée recommandée par l’OMS (1). Si les mamans hésitent longuement entre lait maternel et lait maternisé, religions et cultures prônent l’allaitement maternel depuis la nuit des temps. Elles vont jusqu’à prescrire sa durée et les règles à suivre lors d’un jeûne, d’un divorce et les liens à entretenir avec une nourrice de substitution.

Allaitement et spiritualités

Les traditions juive et musulmane assurent qu’un enfant allaité avec amour sera tendre et proche de sa mère à l’âge adulte. Toutes deux promettent à la mère allaitante un accueil après son trépas au Paradis. Selon la tradition bouddhiste, la mère offre à son enfant plus de 1 800 litres de lait. Pour honorer sa dette envers celle qui l’a mise au monde et nourrit au sein, le jeune homme observera un rituel le jour de son mariage.

Si le christianisme recommande l’allaitement maternel par ses abondantes représentations de la Vierge Marie donnant le sein à l’enfant Jésus, le judaïsme le préconise dans ses textes de référence : le Talmud prescrit qu’il ne doit pas être interrompu par une grossesse pour ne pas risquer la mise en danger de la santé du nourrisson ; la durée préconisée varie selon les ouvrages : 18 mois (Ketoubot 60b), 2 ans (Talmud), 3 ans (Livre des Maccabées), 5 ans (Nidda 2, 3).

Comme tout aliment, le lait maternel nourrit le corps et l’âme de l’enfant. Aussi, la mère respectera les interdits alimentaires prescrits pour que son lait soit aussi pur que saint. Si elle ne peut allaiter son enfant, la loi juive (2) ordonne d’écarter, dans la mesure du possible, une nourrice non-juive telle la fille de Pharaon, qui a du recourir à une nourrice pour allaiter Moïse qu’elle venait de sauver des eaux du Nil. Refusant le sein d’Égyptiennes, elle en recherche une parmi les Hébreux. À son insu, elle choisit sa mère naturelle.

De nos jours, lorsque l’allaitement maternel n’est pas envisagé, l’enfant est nourri d’un lait maternisé casher. Ils sont en vente en pharmacie, grandes surfaces et épiceries spécialisées. (3)

Sont interdits - sauf indication médicale - les laits contenant du lactose et/ou du lactosérum, des huiles ou des protéines animales (4) et tous produits intégrants triglycérides et/ou hydrolysats. La consommation des biberons à usage unique fournis par les maternités est possible si la composition du lait est en accord avec les instructions précitées de casherouth.

Pour l’islam, l’allaitement de l’enfant est une obligation morale : Les mères allaitent leurs enfants deux années entières [ceci] pour quiconque veut donner un complet allaitement (Coran 2, 233). De nos jours, selon la tradition populaire, en cas de grossesse lors de ce laps de temps, la maman sèvrera prématurément son enfant pour le nourrir au biberon afin de ne pas mettre en péril la vie de l’embryon.

En cas d’incapacité d’allaiter son enfant, le Coran autorise la mère à le confier à une nourrice : Et si vous rencontrez des difficultés réciproques, alors, une autre allaitera pour lui (65, 6). Ce recours crée un véritable lien de parenté entre les deux familles comme le confirme le Prophète Mohammad : L’allaitement produit la même interdiction en matière de mariage que produit l’enfantement. (5) Aussi, l’enfant ne pourra épouser ni sa nourrice ni l’un de ses enfants car frères et sœurs de lait. Si l’islam énonce clairement cet interdit, les autres traditions religieuses le respectent même si, à notre connaissance, aucun écrit n’en fait état.

Le sevrage de l’enfant peut intervenir avant son terme : et si, après s’être consultés, tous deux [mère et père] tombent d’accord pour décider le sevrage, nul grief à leur faire (Coran 2, 233).

En cas de divorce, si la mère est en cours d’allaitement du dernier enfant du couple, le père sera tenu de lui verser un salaire jusqu’au terme écoulé des deux années.

Allaitement et cultures

En Afrique traditionnelle, l’allaitement se prolonge pendant deux ans. Tout rapport sexuel étant prohibé pendant la grossesse et l’allaitement, la polygamie est maintenue dans nombreux pays afin de remédier à la frustration sexuelle masculine. Ailleurs, la mise de l’enfant au biberon lève l’interdit à partir du troisième mois.

À noter, l’enfant est allaité par sa mère après la montée de lait, le colostrum étant considéré comme néfaste, voire empoisonné en raison de sa couleur jaune orangé et de sa texture. Les trois premiers jours de sa vie, il est nourri par une femme de sa famille ou d’autres nourritures liquides telles que du thé, du beurre, du miel ou du lait d'origine animale. Selon l’Unicef, en Asie du Sud Est, au Moyen-Orient et au Maghreb, Près de deux sur cinq nouveau-nés allaités reçoivent des aliments ou des liquides autres que le lait maternel dans les premiers jours de la vie, lorsque leur corps est le plus vulnérable.

En Chine, même réticence vis-à-vis du colostrum. Par la suite, la jeune maman hésitera à allaiter son enfant, la tradition enseignant une durée minimale de neuf mois pour que l’allaitement soit bénéfique à l’enfant. C’est pourquoi elle ne réalise pas l’intérêt d’assurer un allaitement ponctuel. Elle choisira soit de le confier à une nourrice, soit de le nourrir au biberon.

A la demande

L’allaitement à la demande nuit et jour est la règle dans toutes les cultures. Pour se faire, l’enfant accompagne sa mère dans ses occupations domestiques et professionnelles.

En Afrique traditionnelle, refuser le sein à l’enfant serait faire offense à l’ancêtre dont il est la réincarnation spirituelle. Là comme au Maghreb, il est laissé au sein même lorsqu’il ne tête plus, le bébé ayant besoin de respirer l’odeur et la chaleur de sa mère pour grandir en pleine sérénité. C’est une façon de limiter ses pleurs et les maladies qu’ils apportent comme d’éviter qu’il suce son pouce.
Geste naturel par excellence, en Afrique l’allaitement se fait en public ; au Maghreb, à l’abri des regards pour éloigner envi et mauvais œil au nourrisson.

Pendant la période d’allaitement, l’enfant échappe à l’autorité paternelle. Lorsqu’il aura dépassé ses premiers apprentissages (parole, marche, propreté), son éducation débutera.

Impact du jeûne

Les Églises catholique et orthodoxe préconisent pendant les 40 jours précédant les Pâques chrétiennes le suivi d’un régime sans viande les vendredis et une alimentation sans gourmandise les autres jours. Si le Carême chrétien n’a aucune incidence sur la lactation, il n’en est pas de même des jeûnes stricts prescrits par le judaïsme et l’islam.

Les jeûnes du judaïsme ont une durée variable. Si Yom Kippour (6) et Tisha Beav (7) sont de 25 heures, d’autres débutent au lever du jour pour se clore à l’apparition des trois premières étoiles.

Chacun doit les suivre dès sa majorité religieuse (8) sauf les malades, les accouchées, les femmes ayant subi une fausse couche, les femmes enceintes ou allaitantes en cas de risque pour la mère ou l’enfant. L’avis médical sera toujours suivi après consultation d’un rabbin décisionnaire qui l’entérinera.

Une alimentation saine et équilibrée sera préconisée à ceux qui ne pourront pas suivre ces jours de jeûne. Le report d’un jeûne à une date ultérieure n’est pas prescrit.

Deux jeûnes sont prescrits par l’islam : le Ramadan (29 ou 30 jours selon les années) et l’Achoura (2 jours) du lever au coucher du soleil. Comme le calendrier islamique progresse de treize jours chaque année sur notre calendrier, leur date comme leur saison sont mobiles. Tout fidèle est invité à les suivre (9) sauf les malades. Femmes enceintes et allaitantes seront exemptées si leur état de santé et celle de leur enfant l’exigent. Elles récupéreront les jours non jeûnés dans l’année ou rachèteront leur jeûne en cas de grossesse ou d’allaitement en cours.

Donner son lait

Si l’allaitement maternel couvre les besoins nutritionnels de l’enfant né à terme ou proche du terme, il est préconisé chez l’enfant prématuré parce qu’il contribue au développement de son tube digestif, à la défense de son organisme contre les infections et à la prévention de complications graves spécifiques à la prématurité.

Les lactariums recueillent auprès des mamans qui souhaitent donner leur surplus de lait pour venir en aide aux enfants prématurés. Tous les parents n’acceptent pas de prime abord ce don. En raison de la méconnaissance du régime alimentaire et de l’identité de la donneuse, impossible d’en déduire si son lait est pur spirituellement parlant et de pouvoir éviter un mariage à venir avec un frère ou une sœur de lait. Comme la survie du nouveau-né est en jeu, les équipes proposeront aux parents de faire appel à leur ministre du culte de ville ou à l’aumônier de leur religion de l’établissement pour leur permettre d’accepter sans retenue ce don d’amour d’une autre mère (10).

Quel rôle pour les équipes soignantes ?

Avant tout, informer les jeunes parents sur les bienfaits de l’allaitement en se gardant d’adopter un discours pro-allaitement (par exemple, en insistant sur le naturel du geste favorisant l’attachement mère/enfant ou une meilleure protection de l’enfant ou encore permettant de retrouver la ligne plus rapidement).

Les personnels doivent respecter la liberté de choix des parents, sans les culpabiliser ni les contraindre, entre allaitement maternel, allaitement mixte ou lait maternisé.

Isabelle Levy, conférencière - consultante spécialisée en cultures et croyances face à la santé, elle est l’auteur de nombreux ouvrages autour de cette thématique. @LEVYIsabelle2

Notes

  1. https://www.who.int/
  2. Halakha - Yoré Déa Chapitre 61.
  3. https://www.consistoire.org/produit/
  4. Oléo = huile de bœuf, collagène de bœuf, mono et diglycérides…
  5. Hadith rapporté par Al-Bukhârî.
  6. Grand Pardon.
  7. Commémoration de calamités ayant touchées le peuple juif.
  8. 13 ans pour les garçons, 12 ans pour les filles.
  9. Aucune indication coranique à propos des enfants.
  10. https://www.infirmiers.com/

Pour en savoir plus

  • Guide des rites, cultures et croyances à l’usage des soignants, Vuibert/Estem, 2013
  • Connaître et comprendre le judaïsme, le christianisme et l’islam, Le Passeur Editeur, 2021

Source : infirmiers.com