Il aura fallu attendre plusieurs mois après l’avis consultatif du Haut conseil des professions paramédicales (HCPP) pour que paraisse dans le Journal officiel du 25 octobre le décret cadrant le dispositif des mesures transitoires. Pour rappel, celui-ci permet à des infirmiers ne possédant pas de diplôme d’infirmier de bloc (IBODE) mais disposant d’une expérience en bloc opératoire de réaliser les actes exclusifs à cet exercice. Depuis sa mise en œuvre en 2021, les organisations représentantes des IBODE n’ont eu de cesse d’alerter sur les orientations prises par la Direction générale de l’offre de soin (DGOS), craignant pour certaines une disparition de la spécialité. Elles pointaient notamment l’absence d’obligation pour les établissements à envoyer en formation IBODE leurs infirmiers s’inscrivant dans le dispositif et les risques que la présence de professionnels non formés peut faire courir aux patients. À l’arrivée, et ce malgré la prise en compte de certaines inquiétudes soulevées au cours des discussions avec la DGOS, le texte ne satisfait pas la profession.
Que dit le texte ?
Le décret prévoit ainsi que, par dérogation, tout infirmier ayant « au moins un an d’exercice en bloc opératoire en équivalent temps plein au cours des trois dernières années » peut accomplir les activités et les actes exclusifs IBODE, à condition d'être titulaire d'une autorisation délivrée par le préfet de région de son lieu d'exercice. Cette autorisation est temporaire et d’une durée d’un an, renouvelable un an pour les infirmiers qui justifieraient de leur inscription à une session de « formation complémentaire ».
Afin d’obtenir une autorisation définitive, les professionnels sont soumis à une obligation de la suivre, celle-ci devant être « dispensée par une école autorisée pour la préparation du diplôme d'État d'infirmier de bloc opératoire ». Quant au financement, ce sont les établissements employeurs, privés comme publics, qui l’assure, précise le texte. Enfin, le dispositif des mesures transitoires sera effectif jusqu’à décembre 2031, un délai contre lequel s’était opposé le HCPP dans son avis, qui réclamait une date limite fixée au 31 décembre 2030.
Il n’est ainsi plus fait mention de placer les infirmiers inscrits dans le dispositif sous la supervision d’un IBODE.
Certes, certains éléments qui inquiétaient la spécialité ont disparu. Il n’est ainsi plus fait mention de placer les infirmiers inscrits dans le dispositif sous la supervision d’un IBODE. La mesure avait en effet été jugée dangereuse. « C’était de toute façon voué à l’échec », réagit Magali Delhoste, la présidente de l’Union nationale des associations d'infirmier(ière)s de bloc opératoire diplômé(e)s d'État (UNAIBODE). Outre le fait qu’il n’y a tout simplement pas assez d’IBODE pour assurer cette mission d’encadrement : « On ne peut pas leur demander de superviser des infirmiers qui exercent sans formation. Ce serait insupportable. » Les infirmiers faisant fonction vont donc devoir continuer « d’apprendre sur le tas. C’est clairement resté la norme dans les établissements », soupire-t-elle.
Le contrat d'engagement : levier ou promesse vide ?
Mais le flou demeure sur plusieurs points, à commencer par la nature de la formation complémentaire évoquée dans le décret. Contenu, durée et modalités doivent encore être définies par le ministère de la Santé, indique-t-il sans plus de précisions. Et quid du contrôle des établissements qu’UNAIBODE et Syndicat national des infirmiers de bloc (SNIBO), notamment, réclamaient instamment ? Rien, là non plus. Il n’est en effet question que d’instaurer un contrat d’engagement qui inciterait les établissements à envoyer leurs infirmiers faisant fonction en formation IBODE.
Le contrat d'engagement est notre seul levier.
« Le combat aujourd’hui est d’établir des contrats d’engagement obligeant les employeurs à former les infirmiers de bloc opératoire, en prévoyant des contrôles et des sanctions pour les employeurs qui continueraient à confier des actes aux infirmiers en dehors de ce cadre », annonce ainsi l’UNAIBODE dans un communiqué. « Ce changement de paradigme est essentiel pour la sécurité et la compétence en bloc opératoire. » Cette promesse d’engagement, le Collectif Inter-Blocs (CIB) n’y croit d’ailleurs pas. « Un pseudo contrat d’engagement présenté par la DGOS comme seule solution possible pour imposer une dynamique de formation » n’aura aucun effet si aucune sanction n’est appliquée aux établissements qui y contreviendraient, s’agace-t-il dans son communiqué. « C’est notre seul levier », répond pourtant Magali Delhoste. « Si on ne parvient pas à bien le cadrer, je vais devenir très défaitiste. »
La complexité de l’exercice dans nos blocs opératoires ne justifie en aucun cas d’être éligible au bout d’un an seulement d’exercice
Les discussions autour du contenu de ce contrat sont en cours et les associations d’IBODE ont d’ores et déjà avancé quelques points à y intégrer, « comme le fait que les employeurs ne doivent pas empêcher un infirmier en mesures transitoires qui le souhaiterait de se former. »
Un texte qui s'apparente à "une coquille vide"
Autre sujet de mécontentement : la modalité qui fixe à un an la durée obligatoire d’exercer en bloc opératoire pour prétendre s’inscrire dans le dispositif des mesures transitoires. « La complexité de l’exercice dans nos blocs opératoires ne justifie en aucun cas d’être éligible au bout d’un an seulement d’exercice », tranche le CIB. « Un an, c’est trop juste », confirme Magali Delhoste. « Avec la DGOS, nous avons une conception différente de la sécurité. Quand nous parlons de la sécurité des soins, elle est centrée sur la sécurité juridique. »
Il ne faut pas que les mesures transitoires deviennent la norme.
Car c’est tout là l’enjeu des mesures transitoires : sécuriser juridiquement des infirmiers qui, en l’absence d’effectifs suffisants d’IBODE, font fonction alors même qu’ils ne répondent pas aux exigences de formation et qui ne devraient donc pas être autorisés à exercer en bloc. « Ce décret, c’est une injonction du Conseil d’État qui date de 2021. Nous n’avions pas le choix, il fallait en passer par là ; il nous fallait un cadre juridique », poursuit-elle. Pour autant, « il ne faut pas que les mesures transitoires deviennent la norme. » Dans un contexte où l’ensemble de la profession infirmière tend à gagner en compétences, notamment via les travaux sur la refonte du métier socle, « on espère que notre spécialité aussi va évoluer », veut-elle croire. En attendant, en l’absence de plusieurs points clés – quel sera le contenu de la formation ? le processus d’inscription ? – le texte n’est pour l’instant « qu’une coquille vide », juge-t-elle. De son côté, le CIB a fait part de sa volonté d’attaquer le texte en justice.
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