Examiner la pertinence de l’inscription en pratique avancée de tout ou partie des spécialités infirmières (infirmiers anesthésistes, puériculteurs, de bloc) : c’est l’objectif qui a été donné à l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) et l'Inspection générale de l'éducation, du sport et de la recherche (IGESR) en février 2022. Le rapport qui en découle s’inscrit dans la droite ligne du précédent document de l’IGAS publié en janvier 2022. Le scénario qui y est retenu est celui « du maintien des trois diplômes d’État des spécialités, et des instituts de formation dans leurs caractéristiques principales, tout en prévoyant les nécessaires évolutions de durée et de contenu des formations, en particulier celles portées au grade de master », avec des enjeux bien distincts pour chaque spécialité, selon le degré d’avancement des travaux sur leurs formations.
Accès direct et modèle économique à revoir pour les IPA
« L’attente principale » de ces concertations, rappelle le rapport « visait à imaginer une refonte du cadre juridique de la pratique avancée infirmière ». En jeu : la nécessité de faciliter l’accès direct des patients aux infirmiers en pratique avancée (IPA), réclamé fortement par la profession, d’une part, et de consolider le développement, récent, de leur formation universitaire. Sur ce point, la mission ne peut que recommander « la reprise des discussions entre professionnels IPA et médecins sur l’accès direct des patients aux IPA et les modalités concrètes d’adressage du patient pour le simplifier » avec, en ligne de mire, un projet de décret relatif à l’accès direct pour les activités « d’orientation, éducation, prévention, et dépistage ». Depuis, la proposition de loi de Stéphanie Rist pour l’amélioration de l’accès aux soins, qui embarque cette ouverture aux IPA de l’accès direct, a été adoptée en première lecture à l’Assemblée nationale.
Sur le versant de la formation, la mission réclame une clarification de la notion de formation initiale, qui diffère entre le code de santé publique et celui de l’éducation, « en remplaçant l’actuelle condition de trois ans d’exercice à l’installation comme IPA par une condition équivalente d’entrée en formation ». L’accès à la formation initiale serait ainsi réservé aux reprises d’étude sans financement, avec la possibilité d’étendre aux étudiants IPA le statut d’étudiants hospitaliers. Enfin, côté rémunération, le rapport déplore « un modèle économique » qui reste « introuvable tant en libéral qu’en établissement », et ce malgré la signature d’un avenant 9 pour les libéraux, dont l’entrée en vigueur ne pourra être effective qu’après approbation ministérielle. Selon les données de la CNAM, précise-t-il, seuls 37% des IPA exerçant en libéral le faisaient de manière exclusive en décembre 2021. Il est donc demandé de poursuivre les réflexions sur le modèle économique pour les IPA, aussi bien libéraux que salariés, mais également sur la pertinence de l’exercice mixte IPA/IDEL et IPAL/IPA salariés. Le but étant « de faire une place cohérente aux IPA formés », alors même que la formation menant à cette nouvelle profession souffre déjà d’un certain manque d’attractivité.
Pour les IADE, une évolution essentiellement réglementaire
Concernant les IADE, le rapport appelle à une refonte du référentiel, qui date de 2012, pour une prise d’effet à la rentrée 2023. « Son raisonnement est plutôt axé sur du réglementaire », observe Christophe Paysant, président du SNIA. Des modifications sont proposées pour l’Annexe III de l’Article L4301-1 du Code de la santé publique, qui encadre l’exercice en pratique avancée, pour y inclure la spécialité. Avec toutefois, note-t-il, un besoin de « toilettage du décret de formation pour pouvoir rentrer un peu plus dans les cases de la PA », notamment sur le parcours péri-opératoire ou la gestion de la douleur. Le sujet en amène un autre, celui de la formation complémentaire que seraient amenés à suivre les IADE actuellement en exercice afin de valider leur reconnaissance en pratique avancée. « Il y a certainement des choses à améliorer dans la formation actuelle, peut-être sur la prescription, l’examen clinique », poursuit Christophe Paysant, qui se félicite par ailleurs de la volonté affichée de maintenir les écoles d’écoles paramédicales. Leur intégration au sein de l’université inquiétait en effet les professionnels, qui y percevaient le risque d’une perte éventuelle de professionnalisation. En revanche, la mission acte la suppression de la dichotomie un temps envisagé entre IPA praticiens et IPA spécialisés, ces notions n’étant pas jugées « matures » en France. « Il y a du bon sens dans ces propositions », salue-t-il néanmoins.
Pour les IPDE, une réingénierie de la formation nécessaire
Pour les IPDE, l’inclusion de leur exercice en PA, bien qu’envisagée, ne pourra passer que par une réingénierie de leur formation, avancent les auteurs. Celle-ci doit d’abord être portée à deux ans et être élevée au grade Master. Problème, réagit Brigitte Prévost-Meslet, présidente de l’ANPDE, les réflexions sur cette réingénierie sont retardées par d’autres travaux portant, eux, sur la nécessité d’inclure de nouveau de la pédiatrie dans la formation socle des infirmiers. « Depuis 2009, les infirmiers n’ont aucune formation à l’enfant », déclare-t-elle en effet. « Ils se retrouvent parfois parachutés dans des services de pédiatrie ou de néonatologie, qui nécessitent un minimum de compétences. » Pour la profession, la solution serait ainsi de circonscrire la pédiatrie à la prise en charge de l’enfant sain, pour réserver celle de l’enfant malade aux seuls IPDE.
Aujourd’hui, une IPDE en libéral touche 3 euros de plus pour un soin à un enfant de moins de 7 ans. Parce qu’il n’existe pas de nomenclature pour ces patients.
Côté rémunération, la mission inclut le besoin d’adapter la nomenclature à ses activités spécifiques. « Aujourd’hui, une IPDE en libéral touche 3 euros de plus pour un soin à un enfant de moins de 7 ans. Parce qu’il n’existe pas de nomenclature pour ces patients », rappelle en effet Brigitte Prévost-Meslet. Or si une nomenclature spécifique est importante pour les professionnels, elle l’est aussi pour les parents des jeunes enfants. « J’ai la sensation que les choses sont en train de bouger », se félicite-t-elle, voyant dans l’inscription de l’exercice des IPDE en pratique avancée un levier d’attractivité pour la spécialité. « Nous avons le soutien de beaucoup de pédiatres, qui aimeraient que ça fonctionne. »
Pour les IBODE, en revanche, la question demeure en suspens. « La gestion des mesures transitoires sur les actes exclusifs », notamment, bloque « toute réflexion immédiate sur la pratique avancée des IBODE avec les chirurgiens », malgré la masterisation de leur formation.
Des points de vigilance, entre retards et oppositions médicales
Ne reste donc plus qu’à rendre ces transformations effectives. Or c’est bien là que le bât blesse. « Quand on regarde un peu les recommandations, tout est à peu près calé pour l’automne dernier ; il y a 6 mois de retard à l’allumage », s’agace Christophe Paysant. Et chez les IPDE, le calendrier fixé par la mission, soit une réingénierie prévue pour la rentrée 2023, n’est qu’un vœu pieux. « Les entretiens pour recruter les étudiants débuteront au mois de mars. Et nous n’aurons pas encore les annonces de François Braun », le ministre de la Santé, à ce sujet, celles-ci étant prévues pour le printemps, commente la présidente de l'ANPDE.
Demeure enfin une autre difficulté : la nécessité absolue de trouver un accord entre les infirmiers de chaque spécialité et les professions médicales avec lesquelles elles sont amenée à travailler (médecins anesthésistes pour les IADE, pédiatres pour les IPDE et chirurgiens pour les IBODE). Si les pédiatres semblent ouverts à une évolution de la spécialité IPDE, les choses sont moins tranchées pour les anesthésistes, « inquiets sur l’utilité de leur présence », qu’un tel changement pourrait questionner. Et ce d’autant plus qu’une inscription en PA des IADE laisserait ouverte la possibilité d’un accès direct. Or, pour Christophe Paysant, « l’accès direct n’a pas lieu d’être changé ; en anesthésie, c’est le médecin qui coordonne, et personne n’a proposé de modifier cela. » Quant aux questions de rémunération et des éventuels effets de bord que cette évolution pourrait provoquer et qui ont entraîné la suppression des amendements soumis par les IADE dans la proposition de loi de Stéphanie Rist* par peur d’une augmentation des coûts pour l’État, elles ne se posent pas non plus. Et pour cause, « les IPA qui travaillent en établissement de santé sont sur les mêmes grilles que les IADE, donc il n’y a aucun changement sur le plan financier. »
Malgré ces points de vigilance, le rapport démontre « une vision globale », conclut-il. « La DGOS doit maintenant prendre la main, mettre tout le monde autour de la table et donner un calendrier précis. Et que, de grâce, on avance ! »
*Qui proposaient de créer une troisième voie, en plus des IPA spécialisés et IPA praticiens un temps envisagés, spécifique aux IADE.
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