Petite question par curiosité :
êtes-vous infirmier ?

Merci d'avoir répondu !

IADE

Devenir IADE : "Changer de métier mais au sein de ma profession"

Publié le 09/11/2020

Jordan Fradin est infirmier anesthésiste depuis peu. Son diplôme, il vient de l’obtenir en pleine période de crise sanitaire majeure. Il nous raconte cette fin de formation hors norme mais aussi et surtout ce qui l’a motivé à reprendre ses études pour acquérir de nouvelles compétences à mettre au service du système de santé. Rencontre avec un infirmier pour qui la notion d’engagement professionnel prend tout son sens.

Jordan Fradin infirmier anesthésiste

Jordan Fradin infirmier anesthésiste

Infirmiers.com - Jordan, vous avez obtenu votre diplôme d’infirmier en 2013, à l’Ifsi du CHU de Nantes. Quel a été votre parcours depuis ?

Jordan Fradin – J’ai un parcours assez atypique car justement je n’ai jamais travaillé en service hospitalier. La seule expérience de l’hôpital que j’ai acquise était celle de mes trois années de stages lors de ma formation initiale.  Ma première expérience (et la seule !) en tant qu’infirmier fût donc un poste d’infirmier sapeur-pompier au sein de la Brigade de Sapeurs-Pompiers de Paris (BSSP) durant 5 années. La majeure partie de mon activité s’articulait sur l’urgence pré hospitalière à bord d’ambulance de réanimation ; l’équivalent d’un SMUR hospitalier où j’exerçais sous délégation d’un médecin sapeur-pompier et en collaboration avec un sapeur-pompier de Paris ayant son diplôme d’état d’ambulancier. D’autres tâches et missions faisaient partie de notre fiche de poste, comme la réalisation des visites médicales d’aptitude des sapeurs-pompiers ou bien encore le soutien sanitaire du Président de la République et de Hauts Dignitaires d’États dans certains de leurs déplacements. En outre, je faisais partie de la cellule formation de mon centre médical, où nous nous occupions de l’encadrement des étudiants (ESI et EIA notamment) et de la formation continue du personnel.

I.C. - Quelles ont été vos motivations pour entreprendre des études pour devenir IADE ?

J. F. - Il s’agissait d’une évolution pour moi : changer de métier, mais au sein de ma profession. Je n’étais pas lassé de mon exercice quotidien. Il s’agissait pour moi d’un choix délibéré de m’orienter dans une activité qui représentait une étape importante dans ma carrière. Évoluer est une chance car cela permet de s’ouvrir à d’autres horizons, progresser et se créer une nouvelle identité professionnelle. C’est aussi choisir de se remettre en question quant à ses pratiques, ses connaissances et sa capacité à retrouver un statut d’étudiant après un certain temps en activité professionnelle. Ce pourquoi j’ai toujours fait le choix de poursuivre mon apprentissage, d’améliorer mes pratiques et conserver un rythme scolaire par l’acquisition de DU et diplômes divers afin de me préparer à suivre ces deux années de formation pour devenir IADE avec, en préalable, un concours à réussir ! Il est en effet stimulant, intellectuellement parlant, d’apprendre, d’intégrer et de s’approprier de nouveaux savoirs. Une première approche m’en avait été donnée dans la préparation à ce concours ; ce qui m’a permis d’améliorer mes prises en charge par une meilleure compréhension des situations rencontrées et ainsi prendre au mieux en charge mes patients (meilleure anticipation/surveillance).

Pour moi, on ne fait bien que ce que l’on comprend, et il est inconfortable d’appliquer un acte ou une thérapeutique lorsque l’on ne sait pas pourquoi on le fait.

I.C. - Parlez-nous de ce concours réputé comme très sélectif…

J. F. – On sait d’emblée qu’il s’agit d’un challenge personnel car, globalement, il n’y a que 20 à 30% de reçus sur le nombre de présentés. Tout a été question pour moi d’anticipation. En effet, j’étais ce que l’on appelle un engagé volontaire de l’Armée de Terre (EVAT) ; à ce titre j’ai signé un contrat de 5 ans avec la BSPP, que j’ai souhaité ne pas renouveler pour poursuivre en école d’IADE. Dans l’armée, lorsqu’un certain temps d’exercice a été effectué, nous avons la possibilité d’obtenir un congé de reconversion. Il s’agit de démarches administratives longues et fastidieuses au travers desquelles j’ai eu la chance d’être aidé en interne. J’ai donc débuté ces démarches très tôt (2 ans avant la fin de mon contrat et donc de ma potentielle entrée en école) afin que celles-ci aient une chance d’aboutir dans les délais. En parallèle, je devais préparer l’entrée en école avec un an d’avance puisque la finalisation de mes démarches de financement étaient soumises à réussite du concours.

I.C. - Travailler et dans le même temps, réviser, pas facile en termes d’organisation et d’équilibre de vie, non ?

J. F. – Une fois le projet posé il fallait en effet, sans tarder, s’atteler aux révisions. Mon inexpérience du milieu hospitalier a été un frein, je dois l’avouer, et j’ai donc dû me replonger dans des notions de base que je ne maitrisais plus totalement car je ne les pratiquais pas. J’ai débuté mes révisions le 1er octobre 2016 pour une première épreuve en mars 2017 ; je m’étais inscrit à trois concours (Nantes, Rennes et Bordeaux) pour maximiser mes chances de réussite. Toujours dans cet objectif, je m’étais fixé un planning en regard des notions à assimiler pour les épreuves. Je m’imposais globalement des révisions 4-5 jours par semaine, à raison de 2 à 3h par jour. Fiches de révision et planches d’anatomie placardées dans les toilettes faisaient désormais partis de mon quotidien de futur néo-étudiant !

Je n’avais pas le droit à l’erreur, il me fallait réussir sans quoi mes démarches de financement n’auraient jamais pu aboutir. Il apparait d’ailleurs que ce projet n’aurait pu voir le jour sans la patience et le soutien de ma conjointe, infirmière également. À l’issue des différentes épreuves d’admissibilité puis d’admission, j’ai eu la chance d’être reçu dans les trois écoles. Habitant Nantes, c’est donc tout naturellement que j’ai privilégié cette dernière. J’ai par la suite finalisé mon dossier de reconversion et ai pu obtenir sa validation pour mon projet, deux mois avant la rentrée…ouf ! C’est ainsi que pendant mes trois premiers mois de formation j’ai bénéficié de ma solde pleine, de laquelle mes primes ont été retirées. Durant les 21 mois suivants, j’étais payé par mon ex-employeur à hauteur de 1 000€/mois. Enfin, les frais de scolarité de ma première année ont également été pris en charge.

Je me suis imposé un rythme assez drastique, quitte à mettre de côté ma vie personnelle, l’espace de quelques mois.

I.C. – N’est-ce pas déstabilisant que de retrouver un statut d’étudiant après avoir été expert en son domaine, professionnel aguerri et autonome ?

J. F. - Il est en effet relativement difficile, tant sur le plan personnel que professionnel, de devoir régresser, déconstruire tout un ensemble de représentations, d’attitudes et de savoirs ancrés depuis quelques années déjà. En effet, passer d’un statut confortable d’expert dans notre domaine, de référent, voire même de responsable formation/encadrement des étudiants, au statut presque inverse est perturbant. Tout ceci est bien évidemment un statut passager, nécessaire à la construction de notre future identité professionnelle, mais l’adaptation initiale n’est pas aisée. Le corollaire de cette situation est d’être amené à un apprentissage permanent, stimulant intellectuellement, qui permet d’asseoir un socle de réassurance, de motivation et d’intérêt de manière pérenne.

 

La mise en situation pratique rapide (départ en stage au bout de 3 semaines de formation) fût quelque chose de relativement intéressant car j’ai pu mettre en lumière beaucoup de notions qui n’étaient jusqu’alors pour moi que théoriques.

L’universitarisation des formations paramédicales impose un travail personnel important ponctué de recherches complétant parfois des notions de cours trop vite abordées. J’ai eu le sentiment durant ces deux ans de réellement travailler pour ma future pratique professionnelle. Il ne s’agissait pas de réviser bêtement des partiels pour les réussir scolairement parlant. Les responsabilités inhérentes à ce métier doivent passer par un apprentissage sérieux, notamment la première année. En effet, celle-ci assoie le socle de base des connaissances nécessaires à la pratique de l’anesthésie (pharmacologie, terrains d’anesthésie, positions chirurgicales et répercussions…). Elle demande donc un investissement important. C’est d’ailleurs durant cette première année que la pratique de l’anesthésie est la plus marquée. Une fois en deuxième année, niveau Master 2 oblige, les apports théoriques s’orientent énormément sur la recherche (construction d’un mémoire de recherche, statistiques, la recherche en santé, …) et les travaux de groupes qui prennent beaucoup de temps, que ce soit à l’école ou en travail personnel. Les stages sont tout autant impactés par cela puisque beaucoup d’entre eux (recherche, douleur, Smur, maternité/obstétrique), si essentiels soient-ils, ne nous permettent pas de pratiquer ce qui sera la majeure partie de notre activité de demain. Cependant, une plus grande autonomie nous est laissée en salle par nos encadrants, ce qui contrebalance cela.

J’ai décidé de suivre cette formation dans le but d’acquérir d’autres compétences/connaissances et d’autonomiser ma pratique professionnelle ainsi que ma réflexion clinique auprès des patients. Je peux dire que j’ai pu être servi !

Infirmiers.com - Votre fin de formation s’est déroulée durant la crise sanitaire due au coronavirus. Comment avez-vous concilié réquisition et diplomation ?

J. F. - Les semestres 3 et 4 ont effectivement été perturbés par la crise sanitaire qui sévit encore aujourd’hui. À la mi-mars, nous avons appris que nous ne pourrions pas retourner en stage, sans consigne immédiate de conduite à tenir. Très rapidement, les étudiants financés par le CHU ont été mobilisés dans les différentes réanimations et unités de soins intensifs. Puis l’hôpital nous a tous sollicités, sous couvert de réquisition, et s’est ravisé, puisqu’aucune réquisition n’avait été émise par la préfecture. Malgré tout, la quasi-totalité des étudiants (1ère et 2ème années) non-financés par un établissement de santé se sont portés volontaires pour répondre à cette demande de mobilisation exceptionnelle. Nous avons donc tous débuté entre le 1er et le 3 avril 2020 dans les réanimations fixes et temporaires créées spécialement pour cet événement, comme l’utilisation de l’UCA transformées en réanimation polyvalente. Aucune négociation salariale n’a pu être obtenue auprès des ressources humaines, car pour eux, cela était compliqué par la densité de néo-contrats à gérer.

C’est donc au premier échelon d’infirmier contractuel (jeune diplômé) que nous avons été recrutés, alors que nous avions tous au minimum entre 4 et plus de 10 ans d’expérience en tant qu’IDE. De plus, ne sachant pas combien de temps cela durerait, nous avons été plusieurs à souhaiter des contrats de 1 mois afin de retourner plus rapidement en apprentissage si la crise ne venait pas à perdurer. Cela nous a été refusé en nous précisant que nous serions libérés sans délai si notre formation venait à reprendre. Ce qui ne fût jamais le cas au moment venu, nous obligeant à terminer notre contrat jusqu’au bout. Cela nous a pénalisé, puisqu’en plus d’avoir dû annuler un stage de 4 semaines durant cette période, notre stage suivant a été amputé d’une semaine, que nous avons dû rattraper sur une semaine de cours (cours que nous avons travaillé, toujours par Internet, durant cette semaine de stage compensée).

Le plus dommageable ? La gestion humaine des étudiants. Après avoir effectué 2 mois dans les unités de réanimation à temps plein, à avoir fait le même nombre d’heures que l’entièreté de nos collègues, certains n’ont pas reçu la prime Covid.

Infirmiers.com - Arriver ainsi dans des services de réanimation ultra pointus qui requièrent des compétences spécifiques, et ce dans un climat sanitaire tout à fait inédit… la solidarité et la résilience ont-elles été au rendez-vous ?

J. F. - Je n’avais pour ma part jamais travaillé en réanimation, comme d’autres de mes collègues. Nous avons donc souhaité obtenir quelques jours de doublures pour être formés et malheureusement, peu d’entre nous ont pu en bénéficier.

Le contexte inédit de cette crise a mis en exergue toutes les capacités de résilience des étudiant IADE (et des autres filières d’ailleurs !) au détriment de notre formation. En effet, durant les deux mois de notre mobilisation, notre formation ne s’est pas arrêtée. Cela signifie que nous étions à 100% à l’hôpital et 100% à l’école. Notre institut de formation nous envoyait nos cours (construits par des MAR mais pas toujours… certains cours n’étaient que des articles scientifiques qu’il nous fallait nous approprier) sur une plateforme internet et nous devions les travailler en vue des futurs examens. Nous avons navigué à vue et ce fut assez déstabilisant, voire carrément angoissant… Mais ce n’est pas sans compter sur l’entraide et le soutien des personnes à l’extérieur, et surtout entre professionnels au sein de ces unités. Beaucoup d’entre nous n’avaient jamais exercé en réanimation, comme je le disais. C’est cela-même qui a contribué au maintien du moral des troupes, malgré des conditions pas toujours évidentes (locaux non adaptés, espaces restreints auprès des patients…). Notre statut d’étudiant IADE a néanmoins été bénéfique dans les prises en charge, même sans expérience préalable : gestion d’un patient intubé/ventilé, d’amines vasopressives, de sédations… Enfin, même si cela n’a pas toujours été confortable d’exercer dans ces conditions, j’en ressors grandi tant personnellement que professionnellement. J’ai pu apprendre de nouvelles choses, très bénéfiques pour la suite et qui m’ont clairement remis à niveau sur ma pratique infirmière !

Au total, nous avons pu reprendre notre formation début juin en retournant en stage mais en continuant le distanciel pour ce qui est des apports théoriques et avec quelques adaptations et notamment un aménagement des modalités de réalisation du mémoire. Concernant ce dernier, c’est au fil de diverses réflexions, lectures et discussions, que mon choix s’est finalement porté sur le thème suivant : Attentat et afflux massif de patients : État des lieux et perspectives d’avenir de l’IADE à l’hôpital en dehors du bloc opératoire. La question de recherche qui a finalement émergé fût : Quelles perspectives d’avenir pour l’IADE et quelle plus-value de sa prise en charge dans un afflux massif de patients lors d’un attentat, en dehors du bloc opératoire ?

Dans ce que je qualifierais d’aventure, j’ai eu la chance d’être entouré par des personnels militaires (IADE et MAR) intéressés, motivés et maîtrisant totalement ce sujet. À l’issue, les soutenances orales ont dû être effectuées par visioconférence entre directeur de mémoire, expert, formateur et étudiant. Bien que l’écran interposé nous permît d’utiliser sans contrainte des aide-mémoire, le fait de ne pas voir nos interlocuteurs a été perturbant.

Au final, si la question s’est néanmoins posée de décaler notre diplomation, cela ne fût finalement pas le cas. Cela n’a pas remis en question notre capacité à prendre notre poste professionnel et nous nous sommes tous sentis capable d’exercer en toute sécurité.

I.C. – A l’heure du retour à l'hôpital diplômé, vers quel service s’est porté votre choix ?

J. F. – Je souhaitais trouver ce que l’on appelle un poste mixte, à savoir exercer à la fois au bloc opératoire et au SMUR. Une opportunité s’est présentée à moi courant mars 2020 en Bretagne. J’ai donc décidé de postuler dans un hôpital qui proposait ce type de poste et après un entretien, j’ai été retenu pour débuter dès ma diplomation, au 1er octobre. Premier poste dans une structure que je ne connaissais pas, il faut repartir de zéro, à ceci près que ça y est, je suis diplômé ! La sensation est étrange, mais très vite nous sommes mis dans le bain. Nous sommes ainsi 6 jeunes diplômés à intégrer l’hôpital et après quelques jours de doublure nous ouvrons seuls nos salles le matin et nous retrouvons sans notre béquille de secours ! L’ambiance est excellente et se veut très bienveillante auprès de nos collègues : beaucoup d’entraide et de conseils donnés par les plus anciens. Premières inductions, premières hypotensions, premières désaturations, bref, à présent c’est seul ou en collaboration avec le MAR que nous devons gérer nos anesthésies. Ce qui ne nous concernait pas forcément hier en tant qu’étudiant (organisation générale, gestion de matériels...) nous concerne pleinement aujourd’hui. Je considère néanmoins que, comme dans tout début d’activité, nous avons nos preuves à faire. Ce n’est pas toujours chose aisée, mais la sensation de pouvoir faire selon nos propres pratiques n’est pas pour me déplaire. Car oui, pendant deux ans nous avons dû nous adapter à chaque professionnel selon leur pratique, chaque structure, et à présent nous devons construire les nôtres, celles qui nous paraissent les meilleures.

Mais la situation sanitaire nous rattrape et notre hôpital n’échappe pas au Covid. Ainsi, nous allons être amenés à exercer non plus seulement au bloc opératoire, mais également dans l’USC/Réa, qui s’est très récemment installée au sein de l’une de nos SSPI pour une durée indéterminée. Chose très intéressante encore une fois pour nos pratiques, mais déstabilisantes à l’instant où nous démarrons notre nouvelle activité et où nous devons poursuivre la construction de notre identité professionnelle. Je pense aussi aux étudiants IADE en formation qui, encore cette année, voient leur formation remise en question par la crise. Pour certains, autofinancés, la situation est précaire. En effet, concernant la région nantaise et contrairement à la première vague, la formation de ces étudiants est stoppée, jusqu’à quand ? Qualifiés d’un vivier de personnels, beaucoup ne retourneront pas dans les hôpitaux publics en regard de l’expérience vécue durant la première vague.

Propos recueillis par Bernadette FABREGASRédactrice en chef Infirmiers.combernadette.fabregas@infirmiers.com @FabregasBern

 

Source : infirmiers.com