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Christophe Paysant : "Les infirmiers anesthésistes attendent toujours une reconnaissance statutaire "

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Publié le 13/03/2024

Christophe Paysant est renouvelé pour la 5e année dans son mandat de président du Syndicat national des infirmiers anesthésistes diplômés d'État (Snia). L'occasion d'évoquer avec lui les dossiers prioritaires, parmi lesquels la reconnaissance statutaire, mais aussi son rêve pour l'avenir du syndicat : passer la main à une femme. 

infirmier anesthésiste bloc

Maintenir l'exclusivité de compétences des IADE, développer leurs responsabilités spécifiques, lancer des réflexions sur l'évolution des salaires et enfin, voir avancer la reconnaissance statutaire : le SNIA espère le retour de la stabilité ministérielle pour relancer les réflexions autour des spécialités. Christophe Paysant, son président, a répondu à nos questions. 

Christophe Paysant, vous restez président du Syndicat national des infirmiers anesthésistes (le SNIA), c’est une satisfaction, mais encore ? 

J’attaque ma 5e année de présidence. Clairement, il faut du temps pour prendre la charge et se mettre en lien avec l’ensemble des structures et des organisations représentatives : une notion de continuité est donc nécessaire et pour cela, je suis satisfait. Je vais pouvoir poursuivre le travail du syndicat. Malgré tout, il est fort possible que ce soit ma dernière année en tant que président. J’espère accompagner une autre personne par la suite et mon espoir -et mon objectif- est de pouvoir transmettre la présidence à une femme. Nos professions sont largement féminisées, mais on a malheureusement du mal à voir cette représentativité effective au sein des structures syndicales - et même au sein des structures représentatives en général.

Comment l’expliquez-vous ?

Je pense que les femmes sont des professionnelles de santé mais qu'elles sont aussi, à un moment de leur vie, des mamans et force est de constater que cela ralentit leur investissement syndical - et même associatif. Les femmes reviennent pour certaines après le passage de l’adolescence de leurs enfants. C’est triste à dire, mais on reste dans une société où la place de la femme est encore largement envisagée auprès des enfants. Les choses évoluent doucement aujourd’hui avec des hommes de plus en plus investis, mais la charge de la famille repose encore trop sur elles seules, les empêchant de s'investir pleinement.

Au sein du syndicat, cette année encore, nous avons la chance d’avoir une secrétaire générale, Cécile Landuré, et une secrétaire générale adjointe, Charline Sery, signe d'une féminisation (trop lente mais réelle) des instances. Je serais donc très heureux de passer le relais à une femme à la tête du SNIA.

Nos professions sont largement féminisées, mais on a malheureusement du mal à voir cette représentativité effective au sein des structures syndicales. 

Où en est votre demande de reconnaissance statutaire ? 

Au Snia, nous avons depuis plusieurs années, essayé de faire avancer ce dossier de la reconnaissance statutaire des IADE dans un classement beaucoup plus adapté que celui qu’il a actuellement, c’est-à-dire un espace de pratique avancée -parce que c’est celui qui existe sur le plan de la loi entre la profession métier socle et la profession médicale.

Deux rapports IGAS ont été portés, publiés il y a quelques années, qui montrent bien la difficulté à trouver un espace statutaire adapté pour des professions comme la nôtre. Il existe l'espace de l'auxiliaire médical de pratique avancée qui a été créé comme cela. Il y a donc possibilité de «monter» les infirmiers anesthésistes statutairement à ce niveau là, mais clairement, nous avons en face de nous des interlocuteurs qui n'ont absolument pas la compétence ni le niveau de compréhension pour faire avancer le dossier....  Actuellement, nous sommes dans une impasse d'ordre conceptuel et intellectuel sur ce dossier. 

Quel est le fond du problème selon vous ? 

Notre difficulté est bien de faire reconnaître un statut particulier à un exercice professionnel particulier. Pour résumer, nous souhaitons faire valoir notre exercice spécifique d’une pratique infirmière particulière qui partage des compétences techniques et non techniques avec la profession médicale, mais nous n'avons toujours pas obtenu un modèle statutaire adapté au sein du Code de la santé publique.

L'exemple des IPA en dit long. Les infirmiers de pratique avancée, dont l'installation est encore balbutiante, n'ont même pas encore trouvé leur place dans le système de santé : on voit à quel point nos interlocuteurs institutionnels ne sont pas à l'aise avec ces notions de partage de compétences entre professionnels de santé. On constate, avec les IPA, toujours en attente de leurs décrets, les réticences énormes à voir aboutir le moindre transfert ou partage de compétences... Ce n'est pas très engageant pour notre dossier. 

Dans ce contexte, que demande le SNIA ? 

Les difficultés se sont accumulées : déjà, nous avons subi une instabilité ministérielle catastrophique (4 ministres en à peine un an). Ensuite, l'un des ministres qui s'était un peu engagé sur le sujet, François Braun (ministre de la Santé et de la Prévention du 04 juillet 2022 au 20 juillet 2023), avait évoqué lors de sa présentation du travail sur la réforme du métier socle, une réflexion parallèle sur la pratique avancée des spécialités. Ce projet allait dans le bon sens, sous condition préalable de pouvoir évidemment travailler le métier socle. Or ces discussions sont au point mort visiblement. Il y a en tout cas une opacité totale sur le travail en cours à propos du métier socle.

Actuellement, l'absence d’une réflexion ambitieuse concernant les compétences du métier socle bloque les avancées autour de notre dossier, que ce soit sur la partie statutaire (où place-t-on les infirmiers anesthésistes dans le code de santé publique ?) ou sur la question de l'évolution de professions comme les nôtres de façon à ce qu'elles rendent encore plus de services à la population (notamment en améliorant l'accès aux soins). Aujourd'hui, nous espérons donc qu'une stabilité ministérielle pourra enfin nous permettre de nous remettre au travail, de remettre en route la réflexion. 

François Braun s'était engagé à travailler en parallèle avec nous sur le sujet et c'est ce que nous demandons aujourd'hui : retravailler sur le sujet, tout simplement avec un interlocuteur ministériel compétent sur le sujet.  

Quels sont les autres dossiers importants à vos yeux ? 

Il y a pour nous trois points fondamentaux qui comptent aux yeux du syndicat : maintenir l'exclusivité de compétences des IADE, obtenue de longue date (et qui fait que n'importe quel paramédical ou médical ne peut pas avoir une activité d'anesthésie, hormis l'infirmier anesthésiste et le médecin anesthésiste en France), faire reconnaître et développer les responsabilités spécifiques des IADE (on est aujourd'hui prêts à prendre des responsabilités supplémentaires pour améliorer l'accès aux soins et les réflexions doivent avancer sur ce point) et enfin la reconnaissance salariale qui, malheureusement, stagne complètement pour les infirmiers anesthésistes. Nous avons des collègues IADE qui viennent d'être diplômés, qui ont souvent fait des sacrifices personnels pour cela et qui gagnent 15 euros de plus qu'un IDE en poste actuellement, alors même que les responsabilités ne sont plus les mêmes. Cette réalité doit changer. 

A quelles responsabilités supplémentaires pensez-vous? 

Sur le pré-opératoire, mais aussi en post-opératoire, il y a beaucoup de choses à faire au regard des difficultés, déjà réelles, d’accès aux soins. Il y a par exemple beaucoup de missions concernant le suivi des patients que les IADE pourraient prendre en charge, mais aussi des consultations et des accompagnements spécifiques, toujours en complémentarité de la consultation médicale. Cela permettrait d'avoir des patients mieux suivis (sur la gestion des antalgiques, sur la nutrition...), tout en libérant du temps médical. Il existe par exemple des expérimentations parisiennes sur l'accompagnement des femmes enceintes autour de la péridurale, la gestion de l'analgésie etc, par des infirmiers anesthésistes qui sont très intéressantes.

Je pense également au champ de la médecine d'urgence : actuellement, de nombreux infirmiers anesthésistes assurent une activité SMUR Paramédicalisé (EPMU) et il y a encore beaucoup de choses à penser et à travailler. Même chose en réanimation. Tout cela engage évidemment à être un peu ambitieux et à effectuer des travaux de fond. Actuellement malheureusement, les tensions sont telles (on le voit avec les IPA qui essuient les plâtres), que les réflexions sont au point mort. 

Nous sommes prêts à travailler, ce qu'il nous faut à présent ce sont des interlocuteurs sérieux, également prêts à travailler. 

Dans son discours de politique générale, le 30 janvier dernier, Gabriel Attal a émis le projet de permettre aux IADE d’accéder à une 3e année de médecine, dans l’optique de faciliter les parcours soignants dans un contexte de pénurie de médecins… Que lui répondez-vous ?

Le Premier ministre n’a fait en réalité que rappeler une disposition déjà existante puisque certains IADE font déjà valoir ce droit chaque année. A savoir tout de même : la décision revient à chaque doyen des universités, d’accepter ou non cette possibilité. Derrière ces passerelles, Gabriel Attal a clairement expliqué que l'objectif était bien de gonfler les rangs des médecins généralistes, pour répondre avant tout au problème des déserts médicaux. 

Par ailleurs, devenir médecin n'est pas l'alpha et l'omega des professions de santé même si cette croyance persiste. C'est une logique très française hélas, cette idée qu'il y aurait d'un côté l'élite, le médecin, et puis tout le reste des professions de santé lambda, qui seraient d’une moindre utilité. Dans les faits, ces métiers sont absolument interdépendants. Il faut faire confiance à toutes les professions et reconnaitre l’utilité de chacune pour faire fonctionner plus efficacement le système de santé qui est à bout de souffle.


 

 

 

 


Source : infirmiers.com