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Anesthésie générale : la manœuvre de Sellick remise en question ?

Publié le 21/11/2018

Un groupe de recherche clinique réunissant 10 centres hospitalo-universitaires français sous la direction du Dr. Aurélie Birenbaum et du Pr. Bruno Riou de l’Hôpital de la Pitié-Salpêtrière, AP-HP et Sorbonne Université, a conduit la première grande étude randomisée sur l’intérêt de la manœuvre de Sellick dans l’induction de l’anesthésie générale en séquence rapide.

La manœuvre de Sellick consiste à réaliser une occlusion manuelle de l’œsophage au niveau cervical en comprimant fermement le cartilage cricoïde sur les vertèbres cervicales pendant qu’est réalisée l’induction de l’anesthésie générale. Cette manœuvre est recommandée dans l'induction en séquence rapide (ISR) de l'anesthésie générale lorsque le jeûne pré-anesthésique n’a pu être respecté (en cas d’urgence) ou lorsque l’estomac reste plein malgré le jeûne (occlusion intestinale, diabète, obésité, etc..). Elle vise à prévenir l’inhalation bronchique du contenu gastrique pendant l’induction de l’anesthésie, source de complications graves parfois mortelles (syndrome de détresse respiratoire aigu).

La première grande étude randomisée sur l’intérêt de la manœuvre de Sellick dans l’induction de l’anesthésie générale en séquence rapide implique des équipes de recherche de Sorbonne Université et de l’AP-HP, de nombreuses universités (Paris-Sud, Paris-Diderot, Paris 13, Amiens, Bordeaux, Haute-Normandie, Montpellier, Toulouse) et CHU (Amiens-Picardie, Bordeaux, Lille, Nîmes, Rouen, Toulouse). Les résultats, financés par le Programme Hospitalier de Recherche Clinique (PHRC national 2012) et menés chez 3 472 patients, sont publiés dans la revue JAMA Surgery1.

Bien que prônée dans la plupart des recommandations internationales, l’efficacité de la manœuvre de Sellick reste controversée dans la mesure où elle peut rendre l’intubation trachéale plus difficile pour l’anesthésiste et être source de complications traumatiques, voire favoriser de manière paradoxale les régurgitations du contenu gastrique.

Dans cette étude randomisée et menée en double aveugle, le groupe de recherche a évalué l’intérêt de la manœuvre de Sellick lors de l’induction en séquence rapide de l'anesthésie générale chez 3 472 patients. Les chercheurs ont comparé l’incidence de l’inhalation bronchique (critère principal) dans deux groupes de patients répartis de manière aléatoire : un groupe où la manœuvre était systématiquement appliquée (groupe Sellick) et un autre où elle n’était que simulée (groupe Sham). En dehors de l’application de cette manœuvre, la prise en charge des patients suivis pendant 28 jours ou jusqu'à leur sortie de l'hôpital était comparable. Une inhalation bronchique a été observée chez 10 patients (0,6%) du groupe Sellick et 9 patients (0,5%) du groupe Sham. Par ailleurs, les critères de jugement secondaires évaluant la qualité de l’exposition de la glotte lors de l’intubation trachéale (temps d’intubation, grade de Cormack et Lehane) étaient significativement différents et suggéraient plus de difficultés dans le groupe Sellick. Les autres critères de jugement secondaires n’étaient pas significativement différents (incidence des pneumopathies, durée du séjour à l’hôpital, mortalité).

 

La très faible incidence d’inhalation bronchique observée dans deux groupes de patients (manœuvre de Sellick vs manœuvre simulée) ne permet pas de démontrer de manière significative la non-infériorité de la manœuvre simulée. Ces résultats ouvrent donc la voie à la remise en cause d’un dogme proposé en 1961 et suivi par la plupart des recommandations professionnelles internationales jusqu’à maintenant.

Vers de nouvelles recommandations d’experts sur l’intubation trachéale en anesthésie

Le Dr Birembaum et le Pr Riou concluent que cette première grande étude randomisée réalisée chez des patients nécessitant une induction en séquence rapide n'a pas permis de démontrer la non-infériorité de la procédure simulée de la manœuvre de Sellick dans la prévention de l’inhalation bronchique. Toutefois, la très faible incidence des inhalations dans les 2 groupes et l’existence de difficultés augmentées lors de l’intubation trachéale remettent en cause l’intérêt de cette manœuvre. Ils préconisent de rediscuter les recommandations d’experts sur l’intubation trachéale en anesthésie à l’aune des résultats de cette étude.

D'autres études randomisées seront nécessaires dans les populations exclues de cette étude, à savoir les femmes enceintes et les patients bénéficiant d’une intubation trachéale en urgence en dehors du bloc opératoire, notamment en médecine d’urgence pré-hospitalière.

AP-HP

Cette article a été publié sur le site Réseau CHU le 15 novembre 2018, nous les remercions pour ce partage.

Notes

  1. Effect of the cricoid pressure compared with a sham procedure in the rapid sequence induction of anesthesia: The IRIS randomized clinical trial. Aurélie Birenbaum, David Hajage, Sabine Roche, Alexandre Ntouba, Mathilde Eurin, Philippe Cuvillon, Aurélien Rohn, Vincent Compere, Dan Benhamou, Matthieu Biais, Remi Menut, Sabiha Benachi, François Lenfant, Bruno Riou. JAMA Surgery 17 octobre 2018 17h 11am US ET / DOI : 10.1001/jamasurg.2018.3577.
 

Source : infirmiers.com