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Universitarisation... vers une filière universitaire complète pour les infirmiers

Publié le 20/05/2019

Universitarisation... le mot reste encore difficile à prononcer. Mais en matière d'universitarisation des formations en santé, pour les infirmiers, la perspective d'une filière universitaire "dédiée" en Sciences Infirmières se dessine doucement... mais sûrement. Le sujet a été mis en perspective lors de la 7e édition de la Matinale de l'ordre national des infirmiers, le 15 mai dernier. Voici ce que l'on peut en retenir.  

Il faut faire en sorte que la recherche infirmière se déploie dans une filière propre et se fasse en lien avec les universités ou en leur sein.

La marche vers l'universitarisation des professions de santé est un processus engagé de longue date, depuis les années 2000 pour la profession infirmière, première à en bénéficier. Pour rappel, la réforme de la formation en soins infirmiers de 2009 a permis d’entrer dans le cadre du système Licence-Master-Doctorat (LMD) et de conférer le grade de licence au diplôme d’État d’Infirmier ; un grade qui permettait de poursuivre un parcours en master et en doctorat mais pas dans un cursus dédié puisque la filière complète en Sciences infirmières n'existe pas.

Stephane Le Bouler, responsable du projet Universitarisation des formations paramédicales et de maïeutique (ministère des Solidarités et de la Santé et ministère de l'Enseignement supérieur, de la Recherche et de l'innovation), l'a rappelé en préambule, si ce processus d'universitarisation a fonctionné en mode "stop and go" depuis plusieurs années, on peut affirmer qu'il est aujourd'hui en phase d'accélération. Pourquoi insérer cette filière à l'université ? En motifs principaux, citons d'abord le fait que l'on ne peut pas aujourd'hui parler de transversalité, d'interdisciplinarité et ne jamais en tirer les conséquences en termes de formation avec l'idée d'un socle commun de savoirs et de connaissances. Deuxième élément, la filière en soins infirmiers n'a pas de raison de ne pas s'enrichir de ce que la recherche en soins infirmiers peut apporter à la pratique de la profession. Il faut donc faire en sorte que cette recherche infirmière se déploie et se fasse en lien avec les universités ou en leur sein. Troisième motif, la normalisation du statut des étudiants et aussi le fait qu'une même génération d'étudiants partage les mêmes préoccupations, les mêmes droits et les mêmes pratiques, et cette année ils partagent l'attente de leurs voeux sur Parcoursup puisque l'admission en Ifsi est  pour la première fois, accessible par cette voie avec la suppression du concours d'entrée en Ifsi . Enfin, dernier élément, nous sommes dans une gouvernance particulièrement compliquée sur ce secteur avec la responsabilité des régions sur le financement et le fonctionnement des Ifsi, le rôle pédagogique des ARS... il manque donc un grand ordonnateur et il était donc important, puisque l'on parle d'enseignement supérieur, que ce rôle soit joué par les universités notamment en matière de régulation territoriale.

Rappelons en effet qu'en lien avec cette réforme, depuis la rentrée 2018, les étudiants en soins infirmiers sont inscrits à l'université et accédent donc aux services universitaires - médecine préventive, sport, bibliothèque, droit de vote…-  acquérant par là-même les mêmes droits que les étudiants des autres filières. Les futurs infirmiers bénéficient également de la carte étudiante de l'université qui a établi une convention avec leur institut de formation.

La filière en soins infirmiers n'a pas de raison de ne pas s'enrichir de ce que la recherche en soins infirmiers peut apporter à la pratique de la profession. Il faut donc faire en sorte que cette recherche infirmière se déploie et se fasse en lien avec les universités ou en leur sein.

Pour Patrick Chamboredon, président de l'ordre national des infirmiers , si l'ordre n'a pas de mission intrinsèque sur la formation initiale des infirmiers, on ne peut que se réjouir que l'universitarisation soit aujourd'hui en marche, véritable levier de reconnaissance pour la profession, de ses compétences, de l'accès à la recherche. Pour nous, en tant que régulateur, c'est une véritable garantie de la qualité de la formation, avec une mise à jour permanente des dernières données acquises de la science. Cette évolution, cette co-construction des connaissances entre les enseignements partagés entre Ifsi et universités, ce cran supérieur, dans les contenus pédagogiques mais aussi les apports des savoirs propres infirmiers, servira considérablement la profession infirmière. Et de souligner l'émergence récente des infirmier(e)s de pratique avancée que l'ONI soutient, défend et valorise va dans ce sens. Les nouvelles disciplines concernées, comme la psychiatrie, dont les référentiels sont aujourd'hui en cours de finalisation , l'affirment une fois encore. En matière de socle commun de connaissances, nous devons viser plus de fluidité entre les différents professionnels de santé mais aussi plus de fluidité entre la ville et l'hôpital où les parcours patients souffrent souvent d'un manque de communication entre acteurs de soin, chacun gardant ses prérogatives. "Ma Santé 2022" donne en la matière de nouvelles perspectives pour y parvenir .

Le Pr Anne Charloux, Professeure des Universités/Praticien hospitalier au Pôle de pathologie thoracique des hôpitaux de Strasbourg, a rappelé que depuis de longues années les universitaires étaient sollicités par les instituts de formation en soins infirmiers pour dispenser des cours mais peut-être avec un sentiment d'inachevé...L'intégration des Ifsi à l'université va permettre de mieux discuter du socle commun de connaissances nécessaires à l'ensemble des métiers de la santé, de mieux connaître les métiers paramédicaux et d'apprendre à travailler ensemble. De plus, il y a une méconnaissance de la recherche paramédicale dans nos universités et cette démarche d'universitarisation de la profession infirmière doit servir à l'intégrer et à la valoriser comme cela se fait au Canada par exemple. Cela doit constituer une diversité et une richesse que nous devons partager.

Véronique Péchy, cadre de santé, formatrice en Ifsi, secrétaire générale adjointe du conseil national des infirmiers, a souligné que depuis 2009, date de la réingénierie des études en soins infirmiers, le diplôme d'Etat d'infirmier est déjà un diplôme universitaire (grade licence). Cela veut dire en clair que c'est une reconnaissance de la profession. Le fait de travailler avec l'université permet d'asseoir l'aspect théorique de la profession, c'est-à-dire que nous travaillons avec des concepts, nous avons une approche beaucoup plus scientifique, sans pour autant que la profession infirmière soit intellectualisée car nous déployons des savoirs-faire auprès des patients. Cela veut dire aussi que nous nous appuyons sur des données scientifiques probantes pour améliorer la qualité des soins. Ces données nous les puisons déjà chez nos pairs canadiens où la recherche en soins infirmiers existe depuis de nombreuses années et fait ses preuves. Nos étudiants doivent s'en saisir, certes, mais ils doivent également avoir en tête devoir, à leur tour, lorsqu'ils seront professionnels en exercice, les questionner, les travailler plus encore pour faire avancer la recherche en soins infirmiers ici en France

Il y a une méconnaissance de la recherche paramédicale dans nos universités et cette démarche d'universitarisation de la profession infirmière doit servir à l'intégrer et à la valoriser comme cela se fait au Canada par exemple.

Le président de la Fédération Nationale des Etudiants en Soins Infirmiers (FNESI), Bilal Latrèche, s'est questionné sur ce qu'était l'université aujourd'hui pour un étudiant. L’université est un lieu d’émancipation pour l’ESI, c'est un lieu de vie, d'acquisition des connaissances, de partage et d'activité où se crée de la recherche. L’enseignement doit viser la transversalité dès le début de la formation pour acquérir une culture propre aux infirmier(e)s mais aussi une culture commune à l’ensemble des professionnels de santé. Rejoindre l'université c'est aussi permettre aux ESI de mutualiser les ressources locales pour qu'ils réussissent mieux, pour qu'ils soient bien dans leur tête et dans leur peau (apprentissage par la simulation par exemple, bibliothèque, espace numérique de travail, médecine préventive, activités sportives...). Donc l'intégration à université constitue un réel progrès pour notre formation et c'est vers cela qu'il doit tendre.

Pour Stéphane Le Bouler, de nombreux axes d'amélioration demeurent aujourd'hui pour asseoir plus encore le processus d'universitarisation. Il nous a fallu donner des impulsions fortes au niveau national : admission en Ifsi et insertion sur Parcoursup, inscription des étudiants au sein des universités, qualification des enseignants-chercheurs et création de postes avec des docteurs qualifiés dans les disciplines associées... Le chargé de mission a précisé la mise en place dans les prochaines semaines, au sein du Conseil national des universités, de trois filières  : Sciences de la Rééducation /réadaptation, Sciences infirmières et Sciences en Maïeutique. Les enseignants-chercheurs dans ces sections propres pourront ainsi trouver leur place au sein des formations à l'université et ce en lien avec les enseignants en IFSI. Ne doutons pas que les universités se saisiront de cette opportunité pour recruter, dès la rentrée 2020, ces enseignants-chercheurs pour structurer leurs filières. Bien sûr, a-t-il ajouté, les universités en santé sont autonomes, souvent regroupées (entre Recherche et Territoire), mais ce que l'on leur demande c'est de franchir quelques pas suplémentaires, de prendre leurs responsabilités pour que les formations paramédicales prospèrent de façon homogène. Voilà l'enjeu.

Véronique Péchy a poursuivi : au sein de notre Ifsi, pour que le monde de la formation infirmière puisse mieux connaître le monde de l'université, notre équipe de cadres de santé formateurs est pratiquement complètement masteurisée sur des thématiques larges et transversales - masteur en sciences de l'éducation ou en éthique et droit de la santé - Cela ne change pas notre fiche de paie, mais par contre notre pensée est élargie, les relations avec d'autres professionnels de santé ou d'universitaires enrichies et, au final, notre proposition d'enseignement auprès de nos étudiants gagne en qualité.

Le Pr Anne Charloux a précisé comment se mettait en place ce processus d'universitarisation des formations paramédicales à Strasbourg. Le modèle lancé dans notre université a été de constituer un comité de pilotage. Il a été proposé à une multitude de formations d'intégrer l'université : les IFSI, bien sûr, mais aussi les futurs IPA, les IADE, la maïeutique, les métiers de la réadaptation et les manipulateurs radio. Ce comité intégre des représentants de ces différentes formations, mais aussi des représentants de la région et des universités de façon à mettre en place par le biais de trois groupes de travail, la gouvernance, la pédagogie et la filière recherche et formation des formateurs nécessaire à cette universitarisation. Elle en est convaincue : nous ne devons pas rajouter "un wagon" à l'université qui serait celui des formations paramédicales, mais penser le processus dans son ensemble, en cohérence, en mutualisation des compétences et des savoirs, en prenant en compte toute la diversité des métiers et ce qui fait leur richesse. Pour elle, le niveau master des formateurs et directeurs d'IFSI est d'ailleurs un lien facilitateur avec les universitaires.    

Les infirmiers doivent panser par la pensée. Le savoir infirmier n’est pas visible car les infirmiers se définissent par le faire, par l’action. La recherche doit aider à asseoir les compétences métier et servir à les valoriser. Véronique Péchy

Septembre 2019 : de nouveaux profils d'étudiants en soins infirmiers ?

Le président de la Fnesi a souligné la volonté des étudiants en soins infirmiers de partager des savoirs, des savoirs-faire, des expériences et des points de vue avec des étudiants issus d'autres filières afin que l'interprofessionnalité ne soit pas un vain mot. L'instauration du service sanitaire en 2018 a permis d'ailleurs de développer des projets dans ce sens - notamment en terme de prévention, une compétence phare pour les ESI - et c'est bien. De plus, lorsqu'on se retrouve en stage, en services de soin, c'est un plus que de connaître le terrain de compétence des uns et des autres. De ce point de vue là, la mutualisation des enseignements va beaucoup nous aider. Sur la question de la gouvernance, Bilal Latrèche a émis un bémol. Quand on parle de gouvernance, il faut être cohérent et juste jusqu'au bout. Aujourd'hui, le système de gouvernance à l'université, il est voté par les étudiants mais en tant qu'ESI, on ne dispose pas ce droit de vote . On voit pourtant que des maquettes de master IPA sont votées par les universités, que des décisions concernant les ESI sont prises dans les conseils d'adminsitration des universités sans qu'ils aient leur mot à dire. C'est assez ironique ! Quid de la démocratie étudiante... Rappelons qu'un étudiant qui vote devient également éligible, c'est donc une perspective intéressante pour imaginer une représentation de la filière dans les conseils d'administration des universités. Les étudiants en soins infirmiers doivent être considérés comme tout autre étudiant de l'enseignement supérieur et cela doit passer par l'acquisition de l'intégralité des droits universitaires. Nous n'avons de cesse de nous battre pour cela.

Le débat s'est ensuite intéressé à ce qui a fait la nouveauté en 2019 de l'admision en IFSI pour les futurs étudiants, à savoir l'intégration de la formation sur Parcoursup. Véronique Péchey a rappelé le changement d'approche du recrutement par l'analyse des dossiers et des projets motivés de chacun des prétendants . A l'époque du concours infirmier, voir le candidat lors d'un oral était-il un plus pour elle, une garantie de motivation ? On nous reproche aujourd'hui une sélection sur dossier mais soyons honnêtes, on ne pouvait pas toujours apprécier de façon tout à fait objective un candidat en 20 minutes... On verra bien ce que sera cette première promotion à la rentrée... Bilal Latrèche, de son côté, a affirmé que ces nouveaux étudiants en soins infirmiers seraient des étudiants comme les autres. Pour lui, Parcoursup a permis de redonner de l'attractivité à la formation en soins infirmiers, un nouveau souffle. Lorsque nous aurons les résultats finals de cette nouvelle procédure, en juillet, on pourra s'interroger alors, s'il le faut, pour construire des améliorations en 2020. Soulignons que ce n'est pas tant le niveau du candidat à l'entrée en Ifsi qui est important mais son niveau de sortie, préparé comme il le faut à exercer son métier en toute sécurité et expertise. Quant à l'intégration des candidats issus de la formation promotionnelle continue ou de la promotion professionnelle, pour Stéphane Le Bouler, il faut reconnaître que cette voie n'était pas très lisible. Assez logiquement, ces publics avec le bac sont donc venus sur Parcoursup, faussant donc les pourcentages alloués (33% au moins dans les promotion d'étudiants). Là encore il nous faudra attendre la fin du processus Parcoursup pour faire un bilan global.

L’oral de sélection pour entrer en IFSI n’a jamais été une garantie suffisante pour évaluer un profil d’ESI. Un dossier et une lettre de motivation seront-ils plus efficients pour sélectionner les ESI ?

La recherche paramédicale vise à répondre aux grands enjeux des politiques de santé

Si pour les infirmiers, l'université est souvent perçue comme terra incognita comme l'a dit Patrick Chamboredon, il faut faire connaissance avec elle pour faire ensuite reconnaissance de notre métier. De nombreux infirmiers l'ont déjà fait mais la filière propre aux sciences infirmières est un énorme handicap. Une fois notre tour de France de consultation terminé et notre Livre Blanc écrit, la nécessité de revoir notre décret de compétences sera évidente. De ce point de vue-là, l'universitarisation de la formation initiale, mais également la constitution à terme d'une filière propre Licence-Master-Doctorat en sciences infirmières s'inscrivent dans la logique des choses. Le grade master acquis à l'issue de la formation d'infirmier(e) de pratique avancée l'illustre parfaitement. C'est une bonne partie du chemin qui est maintenant faite. Mais concernant les spécialités infirmières - Ibode, puer, cadre de santé -  et les masters attendus, qu'en est-il ? Stéphane Le Bouler l'a précisé, l'amendement présenté en discussion de la loi de Santé au Parlement vise à donner aux acteurs sur le terrain, aux universités et à leurs partenaires la possibilité de proposer des expérimentations qui permettront de se délier quelque peu du côté "carcan" de certains référentiels de formation. Il s'agit de fabriquer des projets de formation, des nouveaux parcours, sans que cela soit un parcours du combattant. L'exemple de la formation cadre de santé pourra l'illustrer. L'université, rappelons-le, ce sont des diplômes. Donc quand l'université diplômera, l'université reconnaitra pleinement les droits des étudiants et le grade n'est pas suffisant pour que les universités confèrent aux étudiants les droits électifs. Diplômes, enseignants-chercheurs, recherche, pour le chargé de mission, ce tryptique constitue le coeur de l'université. Les projets de réingénierie initiés jusqu'à maintenant avaient toutes leurs vertus mais n'allaient pas suffisamment au coeur de ce qu'est l'université.

Pour Bilal Latrèche, le master ou les masters permettront également, c'est aussi très important de le souligner, de disposer de professionnels de santé avec des compétences élargies afin de répondre aux enjeux des politiques de santé qui doivent être déployées aujourd'hui et dans l'avenir. Les projets de recherche en France menés par des paramédicaux, notamment ceux des infirmiers, sont très nombreux à porter sur l'évaluation de la qualité des soins ou sur la prévention tertiaire. Cela illustre parfaitement leur engagement à expertiser des sujets déterminants pour la santé de nos concitoyens.

Véronique Pechey a rappelé que les champs d'investigation de la recherche infirmière sont déjà larges - champs cliniques, de l'encadrement, de la pédagogie -. Lorsque l'on parle de sciences infirmières, il s'agit de notre savoir propre, celui qui constitue notre coeur de métier infirmier. Mais avouons-le, le savoir infirmier, ici, n'est pas suffisamment visible car les infirmiers se définissent trop par le faire, par l’action. Il manque le passage à l'écriture, à la restitution d'hypothèses de recherche questionnées, argumentées. Le but : des pratiques infirmières fondées sur les preuves (evidence-based nursing). Au final, la recherche doit aider à asseoir les compétences métier, servir à les valoriser et à les partager.

L'intégralité des débats est à retrouver sur la page Facebook de l'Ordre national des infirmiers.

Bernadette FABREGASRédactrice en chef Infirmiers.combernadette.fabregas@infirmiers.com @FabregasBern


Source : infirmiers.com