Philippe Perrin est un infirmier écologiste convaincu. Convaincu par l’impact des facteurs environnementaux sur la santé, auquel il s’intéresse depuis son travail de fin d’études, dans les années 90, alors que peu de personnes encore prêtaient attention au sujet en France. Formé par ailleurs à la santé publique et au métier d'eco-conseiller, il se dit "eco-infirmier" et propose, depuis plusieurs années, de sensibiliser les soignants à l’identification des risques et à l’adoption de comportements protecteurs. Nous l’avions rencontré en 2009 et avons souhaité qu’il aborde aujourd’hui avec nous les changements intervenus depuis.
Tout est poison, rien n'est poison : c'est la dose qui fait le poison
, disait à la Renaissance Paracelse, un médecin suisse père de la toxicologie. Une affirmation aujourd’hui démentie par les progrès de la science, qui montrent qu’une exposition à des substances nocives, même à de faibles doses, suffit à constituer un risque pour la santé. Infirmier de formation, Philippe Perrin est l’un de ceux qui contribuent à l’essor de la connaissance portant sur le lien entre santé et exposition environnementale dans le monde soignant. Depuis notre dernière rencontre il y a une douzaine d’années, les consciences et les actions ont évolué. Il nous raconte.
En sensibilisant les professionnels de santé, espériez-vous former des soignants ou des citoyens ?
Pour moi, il s’agit évidemment des deux. Il y a dix ans, j’ai créé un Institut de formation en santé environnementale (IFSEN) près de Grenoble pour délivrer une formation certifiante (l’équivalent d’un diplôme universitaire) destinée principalement aux professionnels de santé. Il s’agit d’une véritable action citoyenne qui ambitionne de les sensibiliser à la prise en compte des risques physiques, chimiques, biologiques et sociaux dans leur exercice quotidien dans un objectif d’amélioration de la prise en charge des patients et de mise en place de stratégies pédagogiques de prévention et d’éducation à la santé. Aujourd’hui, j’y accueille environ une trentaine de candidats par an, essentiellement des infirmiers (notamment puériculteurs), mais aussi quelques médecins et sages-femmes. Le fait que des professionnels proches de la petite enfance se sentent concernés n’est pas dû au hasard : il est reconnu que la période critique dite "des 1 000 jours" (vie in utero puis les deux premières années de la vie) est cruciale en termes d’exposition à des facteurs de risque, y compris dans le cas d’une transmission verticale. J’ai également constaté que les professionnels sont en quête d’information et de sens de plus en plus tôt dans leur carrière. Après deux ou trois ans de métier seulement, il n’est pas rare qu’ils souhaitent s’extraire du curatif et agir davantage en amont pour contribuer à la réduction du risque de survenue de la maladie chez leurs patients. Aucun n’est surpris par les thématiques abordées, signe que la prise de conscience et l’acculturation progressent et que les soignants peuvent devenir des ambassadeurs de la santé environnementale. Une évolution corroborée par les demandes d’intervention qui me parviennent de la part de certains comités d’entreprise ou établissements scolaires.
Qu’attendent de leur formation les candidats qui vous sollicitent ?
Certes, les candidats qui tapent à la porte de l’Institut ont une sensibilité particulière et se sont forgé par eux-mêmes une conscience écologique avant d’initier leur formation. Beaucoup d’entre eux sont par ailleurs interpellés par le gaspillage et les quantités de déchets produits dans le monde du soin et qu’ils constatent sur le terrain dans leur exercice quotidien. En formation, ils sont informés des évolutions législatives (obligation d’étiquetage, interdiction de certaines substances…) et de celles qui portent sur les matériaux alternatifs, mais ils sont surtout amenés à identifier les sources de pollution connues. La plupart du temps, il s’agit de plastiques qui contiennent des agents chimiques (des phtalates notamment, dont le DHEP, pour di-2-ethylhexyl phthalate) dont les propriétés permettent d’assouplir les matériaux utilisés comme celui retrouvé dans les poches de perfusion. Soignants et patients y sont exposés. Chez des nouveau-nés prématurés, particulièrement fragiles en raison d’une immaturité immunitaire, l’exposition précoce constitue un risque majeur pour la santé. Chez les soignants, pour lesquels l’exposition est prolongée et répétée, le risque pour la santé est également non-négligeable. Entre autres, l’utilisation constante de solution hydro-alcoolique pose question sur la perméabilisation cutanée, qui pourrait faciliter l’absorption par l’organisme de substances chimiques délétères.
Sur quoi vous appuyez-vous pour élaborer les contenus de votre formation ?
Les sessions de formation sont assurées par des intervenants experts (médecins, toxicologues…). Elles portent sur des sujets assez variés comme les nanotechnologies, les rayonnements ionisants et non-ionisants… Pour rester informé des dernières avancées scientifiques, je m’appuie par ailleurs sur les données probantes issues de la littérature publiées dans des revues de référence à comité de lecture (Lancet, Science, Nature…). Durant la dernière décennie, elles se sont considérablement étoffées dans le domaine de la santé environnementale. Les données produites sont de plus en plus nombreuses, et surtout les mécanismes globaux d’action (mécanismes physiopathologiques, effets cocktails, liens entre microbiote intestinal et de nombreuses pathologies...), sont documentés avec davantage de précision et de certitudes. A titre d’exemple, une vingtaine de perturbateurs endocriniens (bisphénols, phtalates, parabènes, polychlorobiphényls, retardateurs de flammes...) sont aujourd’hui identifiés et reconnus pour avoir un impact négatif sur la santé (diabète, obésité, puberté précoce…). Parmi les mille autres qui en sont soupçonnés, il est probable que la science progresse de manière à fournir un niveau de preuve suffisant pour faire évoluer les listes.
Quels freins identifiez-vous aujourd’hui à la progression de votre action et à un changement de paradigme ?
La difficulté majeure en santé environnementale réside dans le fait qu’il s’agisse de maladies multifactorielles et d’une exposition dont les effets sont souvent différés dans le temps. L’autre obstacle est lié au fait que les signes des pathologies concernées soient non-spécifiques. Du coup, les corrélations nettes et univoques sont extrêmement difficiles à établir ; la plupart du temps, on ne peut attribuer qu’une partie de l’incidence de certaines maladies à des facteurs environnementaux, et cette attribution demande une progression des connaissances sur le temps long. C’est le cas par exemple du lien supposé entre les accidents vasculaires cérébraux de personnes exposées à une mauvaise qualité de l’air (intérieur et extérieur). Mais aussi des cancers : certes, on dépiste plus massivement, on dépiste mieux et on classifie mieux, mais la progression très élevée de leur incidence ne peut être reliée qu’à ces seuls critères. Les opérations de lobbying de certains industriels comme ceux qui commercialisent les néonicotinoïdes (au sujet desquels le gouvernement a récemment fait machine arrière) exercent une pression politique et économique forte de nature à entraver les prises de décision favorables à la progression de l’action écologiste. De la même manière, on ne peut pas considérer que l’engagement véritable consiste en des actions cosmétiques de portée minime. Supprimer à grand renfort d’annonces le bisphénol A dans les biberons destinés aux nourrissons en le remplaçant par d’autres bisphénols tout aussi – voire plus – dangereux est inefficace, et même trompeur. L’action de l’Institut de formation que j’ai fondé est en cours de structuration grâce au nombre grandissant de soignants qui y sont impliqués et qui s’y reconnaissent. Elle s’inscrit dans une stratégie globale engagée et vise à exercer un contre-pouvoir pour proposer une autre voie que celle du tout curatif dans laquelle se sont enferrés les pouvoirs publics.
Pour aller plus loin
Philippe Perrin, éco-infirmier
Comité développement durable santé
Propos recueillis par Anne Perette-FicajaDirectrice de la rédactionanne.perette-ficaja@gpsante.fr @aperette
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