RETOURS DU TERRAIN

Refonte du métier infirmier : les IDEL s’inquiètent

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Publié le 02/11/2023

Toujours en cours, les travaux sur la refonte du métier infirmier n’inspirent guère les libéraux, qui, faute d’une ligne claire, expriment de plus en plus d’incompréhension quant à la future orientation de la profession.

soignante, cabinet, blouse blanche

« Nous sommes à un moment charnière, voire crucial, pour le système de santé.…Nous avons l’impression que les choses bougent et, en même temps, on perçoit un mal-être au sein de la profession, une perte de sens. » C’est avec ces mots que John Pinte, le président du Syndicat national des infirmiers libéraux (Sniil), a résumé l’état d’esprit actuel des infirmiers libéraux (IDEL), lors d’une conférence de presse. Ciblés ici la proposition de loi Valletoux, récemment amendée et votée au Sénat, et le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS 2024) en discussion à l’Assemblée qui, malgré son budget jugé trop restreint par les acteurs du secteur, ouvre des perspectives pour les infirmiers : participation à la prise en charge des rendez-vous de prévention et à la rédaction des certificats de décès.

Pas de concertation interprofessionnelle

Autant d’avancées qui, sur le papier sont intéressantes, mais qui, soit tardent à se mettre en place – « il fallait être prêt pour les expérimentations sur les certificats décès en septembre, mais les textes viennent tout juste d’être signés »  –, soit se retrouvent sapées par d’autres textes ou dispositifs qui tendraient à limiter le champ d’exercice infirmier. À commencer par la possibilité donnée aux pharmaciens de vacciner en-dehors de leur officine, qui hérisse un certain nombre de syndicats d’IDEL. « On se retrouve face à des textes qui sortent sans qu’il y ait eu de réelles discussions. On parle de la vaccination avec les médecins, avec les pharmaciens, avec les infirmiers, mais jamais en concertation », s’est ainsi agacé John Pinte.

Pas suffisamment d’anticipation

Et ce ne sont pas les travaux en cours sur la refonte du métier qui seraient à même de rassurer le Sniil. Si les échanges au sein des groupes de réflexion n’ont pas encore fait l’objet d’une restitution, « les retours des quelques membres du Conseil national professionnel infirmier (CNPI) qui y participent » indiquent que les travaux portent avant tout sur les moyens « de régulariser les problèmes actuels. Mais il n’y a pas d’anticipation, pas d’ambition pour l’avenir », a déploré le président du syndicat. Or, si rien n’est fait en ce sens, « d’ici deux ans, on va se retrouver avec les mêmes problèmes qu’aujourd’hui », a-t-il prévenu. Il pointe un manque de ligne directrice pour cette refonte, peut-être dû à la crainte, au sein de la Direction générale de l’offre de soins (DGOS), « de froisser les autres professions de santé », dès lors que certains de leurs champs d’action sont susceptibles d’être transmis aux infirmiers. Plus spécifiquement, plane l’inquiétude de voir les syndicats infirmiers relégués au dernier rang dans les discussions autour de la refonte.

Sur le terrain, les cabinets infirmiers nous remontent une réelle incertitude quant à l’avenir.

Face à une perte de sens, la crainte d’une augmentation des départs

De ce manque de clarté, naît un sentiment d’incompréhension chez les IDEL, accompagné d’une véritable perte de sens. « Sur le terrain, les cabinets infirmiers nous remontent une réelle incertitude quant à l’avenir », a poursuivi John Pinte. « Le contexte est à la morosité complète, et ce n’est pas propre à notre profession. » Cette question de l’incertitude face à l’avenir est d’autant plus préoccupante que le Sniil a constaté en 2022 une légère augmentation des départs anticipés au sein de la profession. « À voir si cette augmentation se conforte cette année », a observé John Pinte, exprimant l’inquiétude de voir de plus en plus d’IDEL abandonner la profession.

Car viennent s’y ajouter des enjeux économiques qui sont peu favorables aux infirmiers libéraux. Les lettres clés qui cotent les actes infirmiers « sont gelées depuis 2009 », a-t-il rappelé. Or, face à l’inflation, et malgré la signature de l’Avenant 10 en juin dernier (qui généralise notamment le déploiement du Bilan de soins infirmiers, et acte une augmentation de l’indemnité forfaitaire de déplacement), « le chiffre d’affaires des infirmiers libéraux a stagné » en 2022. « Leurs bénéfices ont baissé de 7,3%, ce qui montre que l’inflation a bien un impact sur notre profession. » Le Sniil entend donc prêter une grande attention aux prochaines négociations conventionnelles des médecins. « On comprendrait mal que leurs lettres clés soient revalorisées », mais pas celles des IDEL, a prévenu son président.

Les propositions portées par le Sniil

Pour redonner un peu de sens et de clarté à la profession, le Sniil propose, entre autres :

  • D’aller plus loin que ce que propose actuellement la proposition de loi Valletoux. « C’est une vraie avancée » pour les IDEL, notamment car elle inclut la création du statut d’infirmier référent. « Mais on voudrait que les IDEL puissent renouveler la prescription de soins infirmiers pour les patients chroniques », à hauteur d’un ou deux renouvellements pour que le médecin puisse assurer son suivi. L’idée est de « faciliter le quotidien » des infirmiers en leur évitant de courir après les prescriptions ou de recevoir des prescriptions mal rédigées.
  • De mettre en place et reconnaitre « une consultation infirmière » en sortie d’hospitalisation. Soit un temps dédié pour évaluer l’état du patient, procéder à un bilan complet, ou encore construire un projet de suivi à domicile. Dans les faits, les IDEL remplissent d’ores et déjà ces missions, qui ne sont pourtant pas reconnues. Or « reconnaitre cette consultation infirmière signifie qu’on la structure, avec une formation », a fait valoir John Pinte, mettant également en avant « une culture de la traçabilité » qui n’en sortirait que renforcée.
  • De conférer plus d’autonomie aux IDEL. La loi Rist opère déjà un changement dans la prise en charge des plaies, mais le Sniil souhaiterait voir s’ouvrir plus largement l’accès direct. « Pour la personne dépendante, pourquoi faut-il passer par une prescription médicale pour faire un BSI ? », a-t-il soulevé en exemple. Le but ici est de fluidifier les parcours et aplanir les difficultés d’accès aux soins, tout en favorisant la montée en compétences des infirmiers.
  • Instaurer une formation obligatoire pour les infirmiers qui cherchent à développer un exercice libéral. La mettre en place leur « permettrait de connaître le système conventionnel, les textes de déontologie », dont les infirmiers connaissent l’existence mais qu’ils ne lisent que trop peu souvent. « Cela peut nous mettre en difficulté, surtout dans un contexte où on tend à considérer que des erreurs répétées, par méconnaissance, deviennent de la fraude », et encore plus face à une nomenclature particulièrement complexe (voir encadré).
Une nomenclature toujours source d’erreurs
« Nous sommes face à une perte de sens de ces contrôles, et de contrôle de ces contrôles, car les CPAM interprètent de plus en plus les textes. » Dans le viseur de John Pinte : les contrôles que l’Assurance maladie opère auprès des professionnels de santé et qui peuvent déboucher sur des indus. Et parfois sur des accusations de fraudes. En quête d’économies, le gouvernement entend durcir les sanctions – le PLFSS 2024 contient ainsi une disposition permettant de supprimer les aides sociales en cas de fraude – à la grande inquiétude des syndicats libéraux. Pour les infirmiers, la question est d’autant plus délicate que la nomenclature des actes est particulièrement complexe et donc souvent source d’erreurs. Et si les professionnels s’y perdent, entre cumul et non-cumul d’actes, c’est aussi le cas des CPAM. « La NGAP devrait être appliquée de la même manière partout », mais « des caisses vont l’interpréter différemment selon les départements », a dénoncé le président du Sniil.

Source : infirmiers.com