«C'est une vraie valeur ajoutée, mais c'est trop déséquilibré», regrette Marie-Hélène Lecenne, directrice générale de l'ARS de l'île de Beauté. Face à ce constat, l'ensemble de la région est désormais classé comme «zone surdotée» et, depuis le 1er mai, «toute nouvelle installation d'infirmier libéral, hors reprise d'un cabinet existant», est interdite. Et ce pour trois ans.
A cause de cette «fuite des personnels salariés vers le libéral, (...) on manque d'infirmiers dans les établissements publics et privés» de l'île, a-t-elle récemment regretté lors d'une conférence de presse à Ajaccio. Selon une étude de l'Insee de 2022, la Corse compte une densité de professionnels de santé libéraux de 1 110 pour 100 000 habitants, nettement supérieure au taux moyen en province (830) et la deuxième la plus élevée derrière la région Provence-Alpes-Côte d'Azur (1 160). Dans l'île, ce taux a augmenté de 23% entre 2014 et 2019. Rappelant qu'une large zone de la Corse était déjà classée comme «surdotée» depuis 2020, Gaston Leroux Lenci, président de l'ordre national infirmier en Corse et infirmier libéral depuis 37 ans à Ajaccio, a précisé que la généralisation de ces interdictions d'installations était demandée par les syndicats d'infirmiers libéraux eux-mêmes. Même si elles ont parfois des effets pervers. Ainsi, depuis 2020, ces mesures se sont traduites par l'apparition d'un nombre «extrêmement important» d'infirmiers libéraux remplaçants, a constaté l'ARS en avançant le chiffre de 500 pour 1 600 infirmiers libéraux titulaires. Or, au lieu de prendre la place d'un infirmier absent, ces suppléants travaillaient en fait en parallèle, sans s'installer officiellement.
"Phénomène de siphonnage"
Face à ce phénomène, depuis le 1er janvier, une autre mesure interdit aux remplaçants et titulaires de travailler simultanément. Ce cumul avait été «exceptionnellement autorisé pendant la crise Covid», rappelle Mme Lecenne qui a «aussi demandé aux directeurs des établissements publics de santé de ne plus autoriser aucune disponibilité».
Toujours dans l'optique d'attirer ces infirmiers libéraux vers l'hôpital, la directrice de l'ARS Corse a rappelé la possibilité des «contrats Flash», permettant des missions ponctuelles, payées à l'heure. Une option qui a déjà séduit en quelques jours près d'une dizaine d'infirmiers libéraux qui se sont manifestés pour «prêter main forte à l'hôpital», a indiqué monsieur Leroux Lenci.
Reste que le grand nombre d'infirmiers libéraux est aussi un atout pour la Corse, reconnaît Mme Lecenne en pointant la «configuration atypique» de l'île, une des régions les plus âgées de France métropolitaine avec 29% de 60 ans ou plus, contre 25% dans l'Hexagone, mais aussi une région où «on maintient beaucoup plus à domicile les personnes âgées», avec proportionnellement, «moins d'établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad)». D'où l'importance, salue-t-elle, de ces infirmiers libéraux «qui maillent le territoire». Ils «nous aident énormément», confirme le Dr Antoine Grisoni, président de l'union régionale des professionnels de santé (URPS)-médecins libéraux de Corse: «Dans le rural, si on n'a plus ces yeux et ces oreilles, jour, nuit, fériés et week-end, (...) on perd énormément». Et ce d'autant plus que, comme beaucoup de régions françaises, la Corse manque cruellement de médecins.
L'ensemble de l'île, sauf Ajaccio et Bastia, a d'ailleurs été placé par l'ARS en «zones d'intervention prioritaire (ZIP)» et en «zones d'action complémentaire (ZAC)» pour permettre aux médecins éligibles de bénéficier d'aides au maintien et à l’installation. Des aides financières qui font réfléchir. Concernant les infirmiers libéraux, le Dr Grisoni reconnaît un possible «phénomène de siphonnage des personnels» des hôpitaux publics, mais il s'interroge sur sa cause: «Est-ce que le service public offre vraiment des rémunérations attractives qui permettent à ces infirmiers de choisir ces carrières-là?»
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