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COURS IFSI

La relation soignant-soigné : la honte

Publié le 15/08/2023

La honte est un sentiment qui fait référence à ses propres besoins ou à ses manquements

La honte : un sentiment qui fait référence à ses propres besoins ou à ses manquements

La honte : un sentiment qui fait référence à ses propres besoins ou à ses manquements

Lorsqu’on évoque la honte, nous pouvons penser aux conséquences pour celui-celle qui l’éprouve de façon spontanée ou récurrente. Avec la honte, nous cherchons à échapper à un jugement, qui est certes dans le regard d'un autre, mais aussi à une intériorité sévère et condamnable. Le sentiment de honte implique en effet le rapport des individus dans une dynamique collective. Il fait intervenir le rapport à soi et interroge le fondement de nos valeurs personnelles dans le champ professionnel.

Tout un chacun peut, à maintes occasions au cours de sa vie quotidienne, éprouver un sentiment de honte. Un sentiment qui fait référence à ses propres besoins ou à ses manquements. S’il survient spontanément, il peut être déstabilisant et douloureux. S’il est récurrent, il devient alors souvent destructeur.

Les professionnels de santé, ainsi que les personnes soignées et les exclus ne sont pas à l’abri de ce sentiment de honte qui peut venir les cueillir à bien des moments de leur existence. Le sentiment de honte implique en effet le rapport des individus dans une dynamique collective. Il fait intervenir le rapport à soi et interroge le fondement de nos valeurs personnelles dans le champ professionnel. Les étudiants en santé, stagiaires, évoquent parfois la honte de subir un statut inconfortable. Ce contexte d'apprentissage favorise d’ailleurs les témoignages de malaise. Ils évoquent parfois la notion de pudeur lorsqu’il s’agit de réaliser une toilette avec une personne en situation de vulnérabilité.

La vergogne, l’embarras, l’indignité, le malaise, la pudeur sont les principaux synonymes de la honte.

Ce qui définit la honte…

La honte est un concept historique et biblique (Genèse) qui perturbe, fait souffrir, rougir, blanchir, fait réfléchir, encore aujourd’hui. Mais qu’est-ce que vraiment la honte ? La honte est généralement définie comme un effet d'opprobre plus ou moins visible, émanant d’une action jugée avilissante. Relevant d’une norme éthique donnée, la honte intervient dans la transgression des règles sociales, éducatives. La vergogne, l’embarras, l’indignité, le malaise, la pudeur en sont ses principaux synonymes.

La honte est attestée en 1080 (1) comme une indignité qui inflige un déshonneur humiliant. À partir de 1273, la honte prend en compte un sentiment confronté au regard des autres, étant pénible de sa bassesse, de son déshonneur, de sa confusion, de son abaissement devant les autres, ou simplement de son ridicule. En 1611, il implique aussi le rapport à soi, comme un sentiment de gêne, de malaise, provoqué par la timidité, la modestie, le manque  d’assurance, la crainte. L’ensemble de ces définitions historiques mettent en perspective des déterminants sociologiques et psychologiques. La honte est aussi raccordée à la notion de culpabilité et repousse les individus à se cacher de soi (2). Avec la honte, nous cherchons à échapper à un jugement, qui est certes dans le regard d'un autre, mais aussi à une intériorité sévère et condamnable.

Si la première acceptation de la définition de la honte revient au déshonneur et à l’humiliation, nous pouvons affirmer que celle-ci est fortement liée à l'angoisse. Cette dernière peut être mortelle, grande, profonde, horrible, affreuse, inexprimable, indicible, sourde, cachée, légère, lourde. Elle relève d’un nouveau sentiment, d’une sensation vive ou douloureuse. L’angoisse est perceptible quand elle rencontre la culpabilité pour renforcer le soi niché dans ses entrailles, dans son âme, dans son for intérieur. Dans le champ psychanalytique, l’angoisse est une névrose précédant des crises soudaines laissant le malade brisé et redoutant la mort subite, la folie, l'abolition de ses moyens d'existence ou de sa vie sociale, par périodes prolongées d'hyperémotivité, sans cause extérieure...(3)

La définition de la honte peut être décrite objectivement et subjectivement où l’affect envahit « le corps dans sa partie visible, signalant au sujet la dévalorisation soudaine de son image (son moi) ou de celle du semblable en découvrant son lien originaire à un objet immonde, l’objet a, et le poussant à s’en désolidariser ».(4)

Il y a beaucoup  à dire et tout ne peut pas être dit sous le seul prisme de la psychanalyse ou de la psychiatrie. Nous nous apercevons que la honte révèle des altérations sociales qu’il convient d’observer.

Avec la honte, nous cherchons à échapper à un jugement, qui est certes dans le regard d'un autre, mais aussi à une intériorité sévère et condamnable.

La honte, une entente psycho-sociale

La honte est la capacité d’exprimer des comportements d'enfouissement, de contournement qui altèrent la communication (5). Le soi et les autres mêlés à l’angoisse forment des tribulations dans le domaine psychosocial. Christophe Dejours (6) évoque la honte qui transforme le sujet, le coupant d'une part de son expérience. Il évoque la stratégie du mensonge et de la rationalisation. Il montre que la honte peut tuer le sujet et, a minima, implique de profonds désordres tant somatiques que psychiques. L'individu, à la fois, souffre et s'interdit de souffrir (7).

Vincent de Gaulejac (8) distingue différentes formes de honte :

  • la honte corporelle : être sale, mal habillé, sentir mauvais, avoir un handicap ;
  • la honte sexuelle : elle est relative au dévoilement de l'intimité, à l'état d'impuissance et d'insatisfaction ;
  • la honte psychique : elle concerne la perte de l'estime de soi. Elle marque une expérience d'effondrement intérieur, lorsque le moi n'est plus digne face aux exigences de son idéal ;
  • la honte morale : celle-ci accompagne les situations où un sujet est pris en flagrant délit de mensonge, d'hypocrisie, de vantardise et renvoie à l'intériorisation des normes sociales ;
  • la honte sociale : elle apparaît lorsqu'un sujet est stigmatisé à cause de son identité, de sa race, de sa religion, de sa situation sociale et culturelle ;
  • la honte ontologique : cette dernière marque les situations dans lesquelles le sujet est confronté à l'inhumain comme spectateur, acteur ou victime.

La honte, une affaire d’exclusion

La honte est associée à la souffrance, à la précarité, à l’exclusion. Jean Furtos et Christian Laval (9) définissent une clinique de la disparition du sujet, contraint de s'amputer d'une large part de lui-même. Chaque être humain est en situation de précarité dans la mesure où chacun cherche ce qu'il n'a pas et ce qu'il n'est pas. La situation de grande précarité sociale a ceci de particulier que l'individu est contraint de demander pour tout. Il est soumis à une obligation de transparence, de nudité hors intimité, constituant une situation elle-même hontogène. Ils distinguent quatre aspects de la honte :

  • la vergogne renvoie aux usages sociaux. Elle est d'un usage courant, nécessaire à un bon fonctionnement du groupe social. La perte de la vergogne désigne les sujets qui ne se soucient pas du regard d'autrui. La honte est éprouvée par l'entourage (par exemple dans le cas d'un enfant qui a honte de son parent ivre). La perte de la vergogne constitue, pour les auteurs, un aspect de la perversion ;
  • la pudeur renvoie à l'intimité, elle est une sorte de gardien de l'intérieur, de ce qui doit rester voilé au regard d'autrui. Elle est constitutive de l'intégrité de la personne. La transparence obligée de l'exclu, contraint de demander pour le moindre de ses besoins, fait voler en éclat ce voile nécessaire ;
  • la honte rouge, que les auteurs distinguent de l'érythrophobie, survient brutalement. Le rouge qui envahit le visage ou le cou signe un dévoilement de l'inconscient à l'insu du moi. La gêne éprouvée devant cette brutale émergence pulsionnelle peut être mise en lien par la parole ou par l'humour ;
  • la honte blanche est assimilée à un meurtre qui fait disparaître la personne. Elle s'accompagne de plusieurs signes : la pâleur, l'impression d'une disparition du visage, un mutisme, une sensation de trou et de faiblesse globale.
    Jean Furtos et Christian Laval estiment que cette sensation de disparition de la personne peut devenir chronique, en particulier dans les situations de transparence en lien avec la précarité car la disparition de soi-même au regard d'autrui et à son propre regard inclut le délitement du lien social. La honte blanche est dépersonnalisante dans le sens clinique de ce terme, elle pose le problème du passage à la psychose. (9) Pour aller plus loin avec la notion de précarité, avec le  sans-abrisme, nous dirons que la situation d’exclusion expose les individus à la honte et à des agressions diverses qui continuent à saper leur amour-propre. (10)

Chaque être humain est en situation de précarité dans la mesure où chacun cherche ce qu'il n'a pas et ce qu'il n'est pas.

Un processus soignant/soigné adapté

La honte revêt donc plusieurs aspects, plusieurs degrés touchant l’estime de soi. Nul n’est épargné par ce sentiment. Chacun tente de s’y adapter. Cela induit une logique est sociale, psychologique, morale, corporelle... Elle est parfois invisible, parfois imprévisible. Éprouver de la honte est une expérience de tous les âges, de toutes les classes sociales. La honte est subie, pénible. Elle provient de nos règles admises, de notre environnement, parfois des traumatismes de l’enfance ou encore d’événements traumatisants (génocides, guerres…). Cela peut être l’histoire des patients ou notre propre récit. La surmonter, l’auto-réguler sont des solutions provisoires nécessitant un processus soignant-soigné adapté. Les professionnels de santé, médicaux ou paramédicaux, peuvent intervenir dans le champ thérapeutique pour échanger, dédramatiser, déculpabiliser une personne en situation de vulnérabilité exprimant une sensation honteuse avec une parole réconfortante, douce, rassurante, non jugeante.

Christine Paillard
Docteure en sciences du langage, diplômée en ingénierie pédagogique et licenciée en sciences de l’information et de la communication, elle accompagne les étudiant.es infirmier.ières (Ifsi, IPA) à l'acquisition de compétences informationnelles, linguistiques pour remobiliser une démarche documentaire scientifique,. Elle propose d'analyser des concepts et leur application dans le champ infirmier, à partir de son Dictionnaire des concepts en soins infirmiers, utile pour les Analyses de pratiques professionnelles et pour le Mémoire de fin d’études et l’exercice de la profession soignante.

Notes

  1. Collectif Lexis : Dictionnaire érudit de la langue française. France : Éditions Larousse. 2009.
  2. De Solemne, Marie-Paule. Innocente culpabilité : Dialogue avec Paul Ricoeur, Stan Rougier, Jean-Yves Leloup, Philippe Naquet. France : Dervy. 1998.
  3. Trésor de la Langue Française Informatisée (TLFI). Disponible sur le portail du CNRTL
  4. Laplanche, J. et Pontalis, J.-B.(sous la direction de), Vocabulaire de la psychanalyse, Paris, puf, 1992 IN Freymann Jean-Richard, Lemler Daniel, « 1. Trois concepts ou trois affects ? », dans : Jean-Richard Freymann éd., De la honte à la culpabilité. Toulouse, ERES,  Hypothèses , 2010, p. 11-26.
  5. Cyrulnik, Boris. Mourir de dire : la honte. Paris : Odile Jacob. 2010.
  6. Dejours C., Souffrance en France. La banalisation de l’injustice sociale, Paris, Le Seuil, 1998.
  7. Ciccone, A. et Ferrant A. 1 - Honte, culpabilité et traumatisme. Premières définitions et distinctions, dans : , Honte, culpabilité et traumatisme. Ciccone Albert, Ferrant Alain (sous la dir.). Paris, Dunod, Psychismes, 2015, p. 13-46.
  8. Vincent de Gaulejac. Les Sources de la honte. Paris: Desclée de Brouwer. 1996.
  9. Furtos et Laval, 1998, p. 391 IN Ciccone Albert, Ferrant Alain. Chapitre 1 - Honte, culpabilité et traumatisme. Premières définitions et distinctions,  Honte, culpabilité et traumatisme. sous la direction de Ciccone Albert, Ferrant Alain. Paris, Dunod. Psychismes.  2015, p. 13-46.
  10. Schiltz, L. et Ciccarello, A. et Ricci-Boyer, L. et Schiltz, J. Grande précarité, psycho-traumatisme, souffrance narcissique : résultats d’une recherche-action à méthodologie quantitative et qualitative intégrée. Annales médico-psychologiques. Volume 172, numéro 7. septembre 2014. pages 513-518.
Christine Paillard, documentaliste et lexicographe en sciences infirmières

Source : infirmiers.com