REFONTE DE LA FORMATION

IFSI : faut-il passer de 3 à 4 ans de formation ?

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Publié le 28/10/2024

Faut-il allonger la durée de la formation initiale infirmière pour intégrer les heures manquantes ? C’est en tout cas la proposition que porte le Conseil national professionnel infirmier, alors que se profile la refonte du référentiel de formation.

étudiante, livres, sac à dos

Après la dissolution puis la recomposition de l’Assemblée nationale et la constitution d’un nouveau gouvernement, les travaux sur la refonte la formation infirmière sont au point mort, a rapporté le Conseil national professionnel infirmier (CNPI), lors d'une conférence de presse tenue le mercredi 16 octobre. Et ce alors même que la question devient urgente, entre difficulté de rétention des étudiants, inadéquation de son contenu avec les exigences du terrain, comme le soulignait un infirmier sur deux en mars dernier, ou encore… déficit du nombre d’heures de formation pour correspondre aux directives européennes.

Un déficit horaire de 400 heures à combler

Car si les infirmiers français ont la réputation à l’international d’être bien formés,  la maquette de formation du métier socle (soit le grade licence), malgré son volume horaire conséquent, ne répond pas aux critères établis par l’Union européenne pour faciliter la mobilité des professionnels sur son territoire. « Le volume horaire est de 4 200 heures sur 3 ans, avec une directive européenne qui impose 4 600 heures » dont 2 300 heures de formation clinique, a rappelé le Dr Caroline Barau, assesseure en charge de l’universitarisation des professions de santé à l’UFR de Santé de l’Université Paris-Est Créteil (UPEC). La réforme du métier doit permettre « de se mettre en conformité » avec cette directive.

Une gageure alors que, selon un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) de 2023, la formation initiale infirmière est déjà l’une des plus lourdes en France en termes de volumes horaires. Comptez ainsi 5 100 heures en moyenne avec le travail personnel, en plus des cours théoriques et des stages. Bien loin donc des « 1 500 à 1 800 heures » des autres filières universitaires, ce qui en fait aussi la formation paramédicale la plus chargée. « La formation des ergothérapeutes comporte 1 087 heures, celle des kinés, 863 heures », a-t-elle donné en exemple. Dans un contexte où le taux de rétention des étudiants diminue du fait de conditions d’apprentissage difficiles, impossible de faire rentrer au chausse-pied les 400 heures manquantes.

En Finlande, la dernière phase de la formation « est importante, car c’est celle qui assure qu’ils ne quittent pas la profession. »

Ailleurs en Europe, un allongement du temps de la formation

Comment alors répondre aux exigences européennes tout en préservant la bonne qualité de l’enseignement ? En s’inspirant des pays voisins qui ont choisi d’autres modes d’organisation reposant sur l’allongement de la durée de la formation au métier socle, répond le Conseil national professionnel infirmier. Ainsi, en Finlande, la formation s’étale sur 3 ans et demi, ce qui permet d’inclure un certain nombre d’ECTS supplémentaires dédiés à la recherche, a indiqué le Pr Leena Salminen, professeure émérite au sein du département des sciences infirmières de l’université de Turku. « Nous voulons que les infirmiers pratiquent des soins fondés sur des données probantes. Les étudiants apprennent à appuyer leur pratique sur la recherche et développent également leur réflexion critique. » Les étudiants consacrent par ailleurs les derniers mois de l’année à approfondir les connaissances de leur choix acquises durant leur formation. Cette période, parce qu’elle leur permet de s’intégrer plus solidement dans les équipes de soin, peut aussi contribuer à la définition de leur projet professionnel. « Elle est importante, car c’est celle qui assure qu’ils ne quittent pas la profession », a-t-elle avancé.

Plus proches de nous, l’Espagne a fait le pari d’une formation en 4 ans. Les universités espagnoles « sont libres de définir leur cursus », mais elles doivent toutes respecter « un minimum général obligatoire » et former des infirmiers généralistes, la formation devenant « de plus en plus complexe » au fur et à mesure, a expliqué le Pr Saloa Unanue Arza, infirmière spécialisée en médecine familiale et communautaire et coordinatrice du baccalauréat en soins infirmiers. Ces quatre années permettent ainsi aux étudiants de « passer à l’hôpital, dans des unités médicales, sanitaires, cliniques, en soins primaires, d’exercer auprès des personnes âgées… ». Le chemin, « progressif », ouvre ensuite sur la possibilité de s’engager dans un master, voire dans un doctorat, comme prévu par les accords de Bologne de 2009.

En Belgique, une quatrième année est consacrée aux enseignements liés au leadership clinique, politique, organisationnel, et au travail de fin d’études. 

Depuis 2016, la Belgique aussi est passée sur ce modèle. Auparavant, la formation reposait sur 3 années d’études mais s'avérait « trop lourde pour les étudiants, qui faisaient d’office une année de spécialisation pour être plus prêts » à exercer sur le terrain. « On a donc décidé de consacrer une quatrième année aux enseignements liés au leadership clinique, politique, organisationnel, et au travail de fin d’études » pour favoriser le développement de « l’evidence based nursing », a détaillé Cécile Dury, la présidente de FINE Europe, la Fédération européenne des enseignants en sciences infirmières. Si, au lancement, ce nouveau programme a d’abord entrainé une légère baisse des inscriptions en formation et une augmentation du taux d’abandon, depuis, « les inscriptions augmentent à nouveau et nous constatons un meilleur taux de réussite. » Les étudiants se spécialisent moins mais ils sont plus prêts à « entrer dans des milieux spécifiques de pratique, comme les soins à domicile, en pédiatrie, comme s’ils avaient élargi leurs compétences. » Et surtout, ils se sentent « mieux armés » une fois sortis de la formation.

Une quatrième année pour accompagner la professionnalisation

En France, le CNPI envisage un mode d’organisation qui hybriderait ces exemples. Il défend la création d’une quatrième année, qui serait une année de professionnalisation « sur le modèle du « docteur junior » pour consolider l’apprentissage académique et pratique en milieux cliniques, leviers d’employabilité et de fidélisation ». L’allongement de la durée de formation, en lissant les enseignements, permettrait également de renforcer l’acquisition « des compétences nécessaires pour faire face aux situations de santé individuelles et populationnelles (santé communautaire, vieillissement de la population, virage domiciliaire, maladies chroniques) »… et de combler les manques actuels, notamment en pédiatrie et santé mentale.

L’exemple des sapeurs-pompiers
Chez les sapeurs-pompiers, on applique déjà plus ou moins cette idée d’une quatrième année de professionnalisation grâce à la mise en place, formalisée, organisée, du tutorat. « On se rend compte que les infirmiers qui sortent d’étude ont acquis un diplôme qui leur donne une profession mais pas nécessairement un métier », a remarqué Jacques Bourgeois, infirmier en chef du SDIS du Pas de Calais. « Il faut donc mettre en place un tutorat pour qu’ils acquièrent des compétences, car nos professionnels doivent pouvoir accomplir leur mission en autonomie dirigée », soutenue par le recours à un médecin lorsque les infirmiers se trouvent en difficulté. Des tuteurs formés encadrent les jeunes infirmiers, qui débutent comme volontaires, et leur apprennent à s’intégrer dans « une organisation de commandement ». Car la présence d’un infirmier formé par exemple à la prise en charge d’arrêt cardio-respiratoire lors des interventions a un impact bénéfique non-négligeable : +4% du taux de survie et une réduction de moitié du délai de prise en charge, les ambulances intervenant plus rapidement que les SMUR. « Les infirmiers ont toute capacité à intégrer des compétences supplémentaires grâce à cette formation. Si on passe à 4 ans de formation avec des infirmiers juniors, on renforce la qualité et la sécurité des soins parce qu’on a approfondi les connaissances métier », a-t-il affirmé.

Pour autant, une telle extension ne va pas sans poser quelques questions. Financières, pour commencer. Actuellement, « ce sont les régions qui financent les instituts de formation en soins infirmiers (IFSI) pour les étudiants en formation initiale », a souligné Jean-François Jezegou, directeur de l’établissement de Saint-Vincent (Strasbourg). En plus d’une année supplémentaire à financer, il faudrait également revaloriser les stages accomplis au cours de la dernière année. « Ce n’est pas avec 60 euros de plus que l’on va créer de l’attractivité », a-t-il prévenu. Vient enfin la pertinence même de cette quatrième année : suffira-t-elle à combler les déficits de connaissances observés par les formateurs sur le terrain, dans un contexte de baisse générale du niveau, toutes filières confondues ? « Sur la pharmaco, sur le calcul de doses », notamment, les étudiants rencontrent parfois d’importantes difficultés car « ils ne savent pas faire de pourcentages ou appliquer une règle de 3 ». « Une année supplémentaire aiderait-elle réellement » à résorber ces écueils ?

Il y a des étudiants qui font le choix de redoubler parce qu’ils ne sentent pas prêts à aller sur le terrain.

En l’état, la proposition du CNPI a de toute façon pour l’instant essuyé une fin de non-recevoir. « On nous a dit que la licence devait se faire en trois ans et rien d’autre », dans le respect du schéma licence-master-doctorat, a rapporté Évelyne Malaquin-Pavan, la présidente du CNPI. Pourtant, d’autres formations paramédicales dérogent à cette règle, comme celle des kinés qui s’effectue sur 4 ans. Pour le CNPI, il y a de toute façon urgence à revoir le mode d’organisation de la formation initiale. « Il y a des étudiants qui font le choix de redoubler parce qu’ils ne sentent pas prêts à aller sur le terrain », a-t-elle insisté. Car dans un contexte de vieillissement de la population couplé à une diminution de la démographie médicale, « on veut des infirmiers qui aient des compétences cliniques. Il est important de développer des compétences sur différents terrains. » Selon le calendrier de la DGOS, le nouveau référentiel de formation doit être prêt pour la rentrée de septembre 2025.


Source : infirmiers.com