Petite question par curiosité :
êtes-vous infirmier ?

Merci d'avoir répondu !

CADRE

Vers un management… durable (1)

Publié le 19/05/2011

Pour Philippe Gaurier et le groupe hospitalier où il exerce, la démarche individuelle d’accompagnement du soignant doit être relayée par la prévention du risque de « charge émotionnelle négative liée au soin ».

Bonjour,  

Cela fait des mois que je n’ai pas pris de temps pour écrire sur le site car j’ai été nommé depuis décembre 2010 sur une mission spécifique intitulée « Attractivité – Recrutement – Fidélisation ».

Et je l’ai été parce que j’ai la conviction profonde que les soignants doivent être accompagnés pour « durer », voire « se pérenniser » dans la fonction (cf. mes deux articles précédents : Accompagner, un concept fondamental pour le soigné et le soignant et Vers la onzième compétence ). En effet, j’ai la certitude que l’on ne peut pas passer sa vie professionnelle à accompagner le soigné dans des moments de vie, de maladie, de souffrance, voire de fin de vie, sans être soi-même accompagné émotionnellement.

Cet accompagnement professionnel porte des noms : « suivi pédagogique » pour l’étudiant, « tutorat » pour le jeune professionnel et « analyse de pratiques professionnelles » pour le soignant. Je ne parle pas seulement de l’analyse des compétences pures.

Ce sont des fondamentaux incontournables ! Ce dont je parle ici, c’est de l’analyse de ce que le soignant vit dans la mise en œuvre de ses compétences avec le soigné.

Plus les années passent et plus je simplifie mes conceptions.

Par exemple, à force de simplifier, j’ai tendance à dire que soigner, c’est accompagner tout simplement une personne, c'est-à-dire un autre être humain, hors de son contexte normal, dans un moment de vie, de maladie, de souffrance, voire de fin de vie.

C’est discutable. Et je ne compte pas figer cet énoncé car, dans dix ans, nous aurons encore largement avancé et cette conception aura évolué.
De même aujourd’hui, j’ai « réduit » la représentation du soin à un schéma de base qui comprend trois champs complémentaires : technique, relationnel et personnel (je devrais même dire « intime »).

Bien sûr, dans ces deux premiers champs, technique et relationnel, il y a aussi de l’intime, mais c’est de l’intime partagé avec le patient. On sait qu’il est difficile pour le soigné de partager de « l’intime » avec le soignant, mais on sait que c’est une aide, un adjuvant pour lui, et  il me semble qu’il y parvient de plus en plus souvent et de mieux en mieux, simplement parce que nous l’y aidons.

Et nous « améliorons » notre compétence « aidante » parce que ce travail commence à être reconnu, accepté, enseigné. Par ailleurs, nous savons aussi qu’il est possible de partager de l’intime du soigné vers le soignant, parfois, dans des situations spécifiques, parce que cela permet au soigné d’aller à son tour encore plus loin dans la compréhension, l’explication… de ce qu’il vit…

Dans la compétence technique, il est visible que l’on avance encore plus vite et plus loin. Ainsi, avons-nous formalisé les dix compétences professionnelles de l’infirmier/infirmière. Les pratiques professionnelles sont évaluées : innovation dans les pratiques avancées, recherche de coopérations spécifiques entre les professionnels. L’analyse réflexive de situation est affichée… Et nous disposons de nombreux cours, apports conceptuels et ouvrages traitant des soins, de la relation soignant/soigné, de la relation d’aide... Et cette relation soignant/soigné peut encore être largement développée. Elle est infiniment porteuse de sens, essentielle et fondamentale.. Elle mérite d’être mieux connue et, de fait, reconnue.

Là où les choses se compliquent un peu plus, c’est dans le troisième champ, celui que l’on appelle depuis des années « le vécu du soignant » et que je nomme volontiers « l’intimité du soin ». Aussi loin que l’on s’avance dans la compétence soignante, il reste dans le soin de l’intime vécu par le soignant comme il reste de l’intime non partagé, dans le vécu du soigné – et l’on peut penser que cela perdurera.

Exceptionnellement, ce n’est pas l’intime vécu par le sujet soigné que je développerai ici, mais bien l’intime vécu par le sujet soignant.

Sans tomber dans le « mélodrame », le souvenir de toilettes mortuaires récurrentes de grands prématurés et de nouveaux nés, effectuées pendant dix ans, reste à la fois de l’ordre du technique, du relationnel mais, avant tout, de l’ordre de l’intime. J’insiste sur le « Sans tomber dans le mélodrame » parce que celles et ceux qui n’ont pas assez réfléchi au sujet, ou qui voudraient le nier, consciemment ou non, risquent de confondre intimité du soin et « mélodrame ». Nier la difficulté des soins pour éviter de s’y atteler !

Ainsi des questions fondamentales restent assez souvent sans réponse :
Que fait-on de ce vécu du soignant ?
Que fait-on pour le connaître ? Pour le reconnaitre ?
Qu’en fait-on quand il nous submerge de joie et nous inonde de force ?
A contrario, qu’en fait-on quand il s’accumule et pousse certains d’entre nous vers le « burn out »? N’est-ce pas cela le principal risque psychosocial du soignant ?

La charge émotionnelle liée au soin existe parce que le soin est générateur de stress par la responsabilité qu’il engendre. Elle est intrinsèque au soin ; elle se situe dans la relation soignant/soigné parce que, simplement, elle relève de la relation humaine. Et l’on aura beau toujours dire en théorie : il faut trouver la bonne distance, il faut prendre du recul… (Ce qui est exact)… une fois qu’on l’a dit, affirmé, publié, enseigné… le soignant confronté tous les jours à cette charge émotionnelle, qu’en fait-il ? Quel retour d’expérience lui propose-t-on pour se professionnaliser ? Au pire, il se culpabilise, en plus, de ne pas trouver la « bonne distance ».

Heureusement pour le soignant, comme « précité », la charge émotionnelle peut être positive pour la personne ou négative. Quand elle est positive, elle l’aide à « perdurer » dans le soin. Elle le conforte dans son choix de profession soignante. J’ai presqu’envie de dire : elle nous assure, nous rassure et elle nous sécurise. Quand elle est négative, c’est le stress ; et à un niveau acceptable pour l’organisme, dans un premier temps, elle le « booste » ; en bon français, le stress stimule le soignant. Mais si dans un deuxième temps, la charge émotionnelle négative est trop forte, elle le pousse à puiser dans ses réserves, ses dernières réserves. Mais au-delà, l’équilibre est rompu et risque de basculer du « côté de l’obscurité » …

La charge émotionnelle négative liée au soin est un danger qui peut se définir ainsi : potentiel de dommage et de préjudice portant atteinte aux personnes, voire aux biens ou à l'environnement. Le danger est un potentiel de dommage aléatoire. On peut ajouter d’ailleurs, que tout danger, une fois révélé – et c’est le cas aujourd’hui –  devient un risque s’il n’est pas pris en compte.

Je considère donc que la charge émotionnelle négative liée au soin est le premier risque psychosocial du soignant car il est tout simplement le moins connu, le moins reconnu. Et nous savons tous que plus un danger est ignoré, plus le risque associé est élevé.

Je lisais récemment : Des hôpitaux sont mis à l’honneur lors du 2e congrès « Manager le développement durable en établissement de santé » qui s’est tenu le 05 avril 2011 à Paris… Et vous ne serez pas étonné si je vous dis que dans cet article, on ne traite que d’équipements basse-consommation, de matériaux isolants et non polluants, de véhicules propres… D’accord : c’est fondamental pour tous, nos enfants, notre planète...

Mais je poserai volontiers quelques questions : et pour les soignants, dans le domaine des ressources humaines, une politique spécifique de développement durable, qu’est-ce que c’est ? Pourquoi ? Et surtout, pour quand ?

Après trente ans de carrière – et parfois de réflexion –, j’ai deux réponses : le soignant doit partager, à tout prix… son vécu émotionnel. Et l’institution doit accompagner, à tout prix… le soignant dans le partage de son vécu émotionnel.

Bien sûr, de nombreuses actions ont été menées dans ce sens et c’est très bien. Mais, globalement, elles sont plus curatives que préventives ; elles sont plus souvent individuelles que collectives. En effet, nous pouvons consulter à la médecine du travail quand nous nous sentons en difficulté, nous pouvons consulter un psychologue du personnel ou un conseiller en ressources humaines ou encore solliciter une assistante sociale du personnel.Nous pouvons bien sûr demander à rencontrer notre cadre…

À la suite à un événement particulièrement difficile, nous pouvons demander la création d’un groupe de travail ou de réflexion sur un sujet précis dans un service ; nous pouvons demander à changer de service… Oui, il existe bien un panel de solutions ou au moins de réponses possibles aux questionnements et aux difficultés des soignants.
Enfin, il existe la formation continue qui est un gigantesque puit de réponses à ces mêmes demandes. Je vois donc bien certaines réponses aux demandes spécifiques d’un soignant.

Allons plus avant et passons de réponses individuelles ou collectives apportées aux multiples demandes individuelles, à une proposition institutionnelle de prévention d’un risque professionnel soignant important, pour ne pas dire majeur.

Le premier, qui n’est plus soignant au lit du malade et qui me parle de « pathos » à propos de la « charge émotionnelle négative liée au soin », je lui demanderai simplement de répondre à trois questions :

  1. Quelles étaient vos motivations pour devenir soignant au lit du malade ?
  2. Quelles sont vos motivations pour exercer votre fonction aujourd’hui ?
  3. Qu’est-ce qui a fait que vous avez quitté le lien direct avec le malade pour devenir professionnellement ce que vous êtes aujourd’hui ?

Celui qui ne trouvera pas sa propre réponse dans la question 3, il sera difficile de faire plus pour lui… Car cette question 3 requiert un retour sur soi, un bilan « du positif et du négatif » vécu dans la relation soignant/soigné…

Comme vous le voyez, je suis un peu « tendu » sur la fausse question du « pathos soignant ». Mais quand après des décennies, voire des siècles, les soignants commencent à oser parler de leur corps de métier et surtout, du cœur de leur métier, au sens littéral : de leur capacité et de leur difficulté à perdurer au lit, au chevet du malade, à affronter de façon récurrente et continue la maladie, la souffrance et la mort, il m’est très difficile d’accepter l’amalgame : « juste et réelle souffrance au travail » et « pathos ».

Aussi, en espérant avoir éveillé, « piqué » même votre curiosité... Dans un prochain article Vers un management… durable (2), je vous propose d’aborder concrètement ce que la Direction des soins et la Direction des ressources humaines de notre Groupe hospitalier ont décidé, conjointement, de mettre en place au service des soignants pour faire face à ce risque majeur…

À très bientôt et bon courage !

Bibliographie de l'auteur

  • Être infirmier aujourd’hui, Ellébore, 2006
  • Quand les soignants témoignent, Masson, 2009
  • De l’accompagnement… du soigné au soignant, Losange, à paraître 2011

Webographie

Webographie Infirmiers.com

Philippe GAURIER
Rédacteur Infirmiers.com
Cadre supérieur de santé, chargé de mission
(Groupe Hospitalier Ambroise Paré / Raymond Poincaré – Berck / Sainte Périne )
Infirmier.philippe@wanadoo.fr
Philippe.gaurier@apr.aphp.fr


Source : infirmiers.com