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Vaccination des enfants : un retard "très préoccupant" causé par la crise Covid

Publié le 18/10/2021

Allons-nous au-devant d’une Catastrophe absolue ? Les mots, en tout cas, sont lâchés et ils font frissonner. Car c’est bien en ces termes que l’ONU alertait, le mois dernier, sur le dangereux retard pris dans la vaccination des enfants à cause de la pandémie de Covid-19 : si ce retard n’était pas rattrapé, prévenait l’organisation, nous risquerions la catastrophe absolue. Une situation qui préoccupe (et agace) dans les rangs des soignants.

En 2020, 23 millions d’enfants n’ont pas reçu les vaccins de base dans le cadre des services de santé habituels.

Le 6 octobre dernier, une dépêche tombait à l’Agence France Presse qui stipulait : Un cas de poliomyélite a été enregistré chez un enfant d’un an et demi non vacciné en Ukraine sur fond de couverture vaccinale insuffisante. Cette information émanait du ministère de la santé ukrainien. Dans ce cas précis, les parents du petit garçon avaient refusé sa vaccination en raison de leurs convictions religieuses, pouvait-on lire. Illustration des ravages de l’absence de vaccination, cette histoire fait écho à la récente alerte de l’ONU sur le sujet.

En effet, en 2020 dans le monde, 23 millions d'enfants sont passés à travers les mailles du filet  et n'ont pas reçu les trois doses du vaccin contre la diphtérie, le tétanos et la coqueluche ou DTP3, qui sert de mesure de référence, selon des chiffres publiés au mois de septembre par l'OMS et l'Unicef. (cf notre encadré en bas de page).

Ce cri d’alarme de l’ONU, Brigitte Autran, professeur Emerite à la Faculté de Médecine Sorbonne-Université, membre du Comité Scientifique sur les vaccins anti-covid et membre du Conseil de la stratégie vaccinale anti-covid, le partage complètement. Il est évident que la crise Covid a désorganisé de très nombreux systèmes de santé, précise-t-elle. Si la France et les pays européens en général font partie des territoires très privilégiés où le système de santé a malgré tout tenu bon, dans de très nombreux pays parmi les plus défavorisés, la vaccination des enfants ne se fait que grâce au programme Pev* de l’OMS et grâce à des financements d’organisations internationales. Il est donc clair que toutes ces organisations, qui marchent bien en temps normal, sont très facilement fragilisées par les événements graves qui peuvent survenir comme les guerres (les conflits déstabilisent toujours ces programmes vaccinaux) et évidemment, le Covid.  Détournement des ressources et du personnels vers la lutte contre le Covid, services de soins fermés ou aux horaires restreints, réticences du public à se déplacer : autant de facteurs qui expliquent cet inquiétant recul sur le terrain de la vaccination.

Risques de résurgence de maladies infectieuses graves

On ne sait si les enfants concernés pourront bénéficier d’un rattrapage, précise Brigitte Autran, qui voit apparaître un risque de résurgence de très nombreuses maladies presque contrôlées (au premier rang desquelles la poliomyélite justement, puisqu’elle n’était pas complètement éradiquée, mais aussi la rougeole parce que c’est la maladie la plus contagieuse, ou encore la rubéole, à l’origine de malformations congénitales catastrophiques). Des questions qui doivent être prises très au sérieux car la rougeole, contrairement à ce que l’on entend parfois, est une maladie qui tue, insiste Brigitte Autran, qui pointe un risque très rapide de résurgence de ces maladies infectieuses mais également celui de conséquences sur la descendance de ces enfants. Allons-nous au-devant d’une catastrophe sanitaire ? 23 millions d’enfants, c’est beaucoup. C’est énorme, juge-t-elle.

"La rougeole, contrairement à ce que l’on entend parfois, est une maladie qui tue. J’aimerais citer un proverbe algérien ancestral qui dit : tant que la rougeole n’est pas passée chez toi, tu ne sais pas combien tu as d’enfants" - Brigitte Autran

Accélérer la vaccination Covid dans le monde

Que faire pour résoudre le problème ? On en revient malheureusement au Covid, avec la nécessité d’avancer extrêmement rapidement vers la vaccination de toute la planète, tranche Brigitte Autran, de façon à normaliser les situations sanitaires partout dans le monde. Aujourd’hui, en France, on a la chance d’être dans notre petit cocon, mais dans la plupart des pays du monde, on est à moins de 15% de vaccination, rappelle la professeure de médecine. D’autant que l’apparition de nouveaux variants risque de désorganiser, de façon profonde les systèmes de santé déjà fragiles, accentuant encore le drame sanitaire qui se profile. Encore une fois, nous serons à l’abri dans notre petit monde, mais les pays en développement ou émergents qui rencontrent des difficultés vont continuer à être submergés par le Covid. La situation reste donc très préoccupante et la priorité est à la normalisation des situations dans ces régions.

En France, donner les moyens de la vaccination

Brigitte Prévost-Meslet, présidente de l’Association Nationale des Puéricultrices (teurs) Diplômé(e)s et des Etudiants (ANPDE) n’a pas, pour autant, un discours angélique lorsqu’elle s’attarde sur le cas français. Pour elle, la prévention – et notamment la vaccination des tout-petits, b.a.-ba de la prévention– n’est toujours pas au niveau dans notre pays. En cause selon elle ? Le politique, trop frileux sur ce point, et un manque d’autonomie laissé aux infirmiers en la matière. En France, on ne veut pas déléguer la vaccination aux puéricultrices parce qu’il faudrait codifier leurs actes et que ça aurait un coût, s’agace-t-elle, mais c’est un coût minime par rapport aux enjeux de la prévention vaccinale. Aujourd’hui, les infirmiers ne peuvent vacciner que sur délégation d’un médecin. Or, dans un paysage où les médecins, on le sait, viennent à manquer (déserts médicaux), les infirmiers devraient pouvoir prescrire et vacciner, martèle l’infirmière puéricultrice, qui voit dans cette délégation de tâche la possibilité de libérer un temps médical précieux. Il y a de moins en moins de médecins, gardons-les pour leurs compétences diagnostic. Le dépistage d’un cancer chez un enfant, ça c’est important, mais la vaccination… Ce n’est quand même pas compliqué de légiférer en donnant la possibilité aux infirmiers et aux puéricultrices installées en libéral de faire des vaccins – et ce, quel que soit leur milieu d’exercice ! On est dans un fonctionnement de santé archaïque, conclut-t-elle.

Paupérisation de la santé

Brigitte Prévost-Meslet, complètement en accord avec les constats faits au niveau mondial, n’en pointe pas moins le retard français. Elle qui a travaillé durant 15 ans en Afrique n’hésite pas à le dire : Je travaille moins bien en France aujourd’hui qu’en Afrique lorsque j’ai fait des campagnes de vaccination, contre la diphtérie, le tétanos, la coqueluche et la rougeole. Ici, nous nous entourons de précautions, ce qui est une bonne chose, mais c’est trop. On perd du temps, et du terrain. Pourtant, l’organisation du système français ne saurait justifier à lui seul la situation : Agnès Buzyn, ex-ministre de la Santé, avait ainsi rendu (contre l’avis de certains réticents), 11 vaccins obligatoires pour les enfants en janvier 2018 devant la recrudescence de la rougeole, due en partie à l’hésitation (voire la réticence) de certains parents face à ce qui n’était devenu qu’une recommandation non-coercitive de santé publique. Oui mais il faut que ce soit appliqué derrière ! Vous pouvez légiférer sur tout, mais il faut considérer le niveau de l’application pour juger de l’efficacité d’une mesure.

L’infirmière puéricultrice ne cache pas son inquiétude. Nous allons avoir une recrudescence de maladies évitables, assure-t-elle. Malgré les voyants qui sont au rouge, on est encore dans l’immédiateté, se désole-t-elle, avant d’asséner : On va devenir un pays sous-développé en matière de santé. La présidente de l’ANPDE prône, de toute urgence, une réflexion globale sur ce que l’on veut pour notre population aujourd’hui : comment la protéger et par quels moyens. Aujourd’hui, un enfant qui a eu une polio, quand vous voyez ce que cela coûte, et l’investissement qu’il faut au niveau matériel pour qu’il puisse être pris en charge, j’espère vraiment que la maladie ne réapparaitra pas… La santé se paupérise, y compris dans notre pays.

La pandémie de COVID-19 entraîne un net recul des vaccinations chez l’enfant

En 2020, 23 millions d’enfants n’ont pas reçu les vaccins de base dans le cadre des services de santé habituels. Il s’agit là du plus sérieux retard dans ce domaine depuis 2009, avec un delta de 3,7 millions d'enfants de plus qu'en 2019, annoncent l’Onu et l’Unicef. Plus grave encore, 17 millions d'enfants -qui vivent pour la plupart soit dans des zones de conflit, des endroits reculés ou des bidonvilles privés d'infrastructures de santé- n'ont sans doute eu aucune dose l'année dernière. Dans le cas de la rougeole, maladie extrêmement contagieuse nécessitant un taux de couverture vaccinale de 95% pour être bien maîtrisée, seulement 71% de ces enfants ont reçu la deuxième dose à ce jour.

Source : données publiées par l’ONU et l’Unicef.

* Au début des années 1970, cinq millions d’enfants mourraient chaque année dans le monde à la suite d’une maladie évitable par la vaccination. Le taux de couverture vaccinale des enfants était alors inférieur à 5 %. C’est alors que l’OMS lança en 1974 le Programme Elargi de Vaccination (PEV) contre six maladies : diphtérie, tétanos, coqueluche, poliomyélite, rougeole et tuberculose. Ce programme fut effectif en 1977.

Susie BOURQUINJournaliste susie.bourquin@infirmiers.com @SusieBourquin


Source : infirmiers.com