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Urgences graves : vers un leadership infirmier ?

Publié le 20/07/2020
Service d’accueil et de traitement des urgences (SAU) de l’Hôpital d’Instruction des Armées Desgenettes, à Lyon

Service d’accueil et de traitement des urgences (SAU) de l’Hôpital d’Instruction des Armées Desgenettes, à Lyon

Urgences graves : vers un leadership infirmier ?

Urgences graves : vers un leadership infirmier ?

Au sein du Service d’accueil et de traitement des urgences (SAU) de l’Hôpital d’Instruction des Armées Desgenettes, à Lyon, à l’initiative de personnels paramédicaux et avec l’appui de médecins, nous avons expérimenté, en nous appuyant sur les données publiées et notre expérience, la mise en place d’un "infirmier leader" lors des manœuvres réanimatoires, afin d’améliorer la prise en charge des patients.

L’idée d’un infirmier expérimenté "en retrait" de l’équipe en action, qui guiderait l’équipe dans la prise en charge est apparue comme une évidence et en particulier lorsque les équipes étaient composées de nouveaux arrivants et/ou de personnels peu expérimentés.

La notion de leadership infirmier est actuellement en plein essor, en particulier dans les pays anglo-saxons dans le cadre des trauma-centers. Elle est à l’origine de nombreuses publications (1-6). Pour rappel, le leader est défini comme une personnalité motivante amenée à guider un groupe. Les études en milieu hospitalier montrent que cela reste un rôle complexe mais indispensable, en général tenu par le médecin le plus expérimenté lors des manœuvres réanimatoires, et qu’il aura une incidence avérée sur la prise en charge du patient (7).

Dans le système hospitalier français, la notion de leadership infirmier est quant à elle encore balbutiante, mais commence lentement à se structurer. On le constate dans la bibliographie, mais également avec la mise en place des postes d’infirmiers en pratique avancée. Un article de l’Ecole des Hautes Etudes de la Santé Publique d’octobre 2017, Enseigner et cultiver le leadership infirmier (8), évoque ce leadership dans ses multiples aspects et passe en revue les diverses problématiques liées à la mise en place d’un tel système : composante culturelle et historique forte d’une profession qui reste souvent cantonnée à la hiérarchie médicale, ou difficulté de mise en place d’une formation spécifique…

Ainsi, au sein du SAU de l’HIA Desgenettes, à l’initiative de personnels paramédicaux et avec l’appui de médecins, nous avons expérimenté, en nous appuyant sur les données publiées et notre expérience, la mise en place de ce type de poste lors des manœuvres réanimatoires, afin d’améliorer la prise en charge des patients.

Dans le système hospitalier français, la notion de leadership infirmier est quant à elle encore balbutiante, mais commence lentement à se structurer.

Situation du problème...

Les manœuvres de soins de réanimation ne sont pas des pratiques quotidiennes dans de nombreux services d’urgence. A l’HIA Desgenettes, le personnel paramédical est régulièrement formé (cours théoriques, supports écrits de type pense-bête ou mémo) et entraîné (exercices de simulation).
En parallèle du patient réanimatoire admis aux urgences, nous devons faire face à des risques nouveaux, et notamment l’afflux massif de blessés suite à un attentat, risque considéré actuellement comme majeur.

La mise en place d’exercices impliquant plusieurs victimes reste complexe de par la mobilisation de nombreux personnels. L’épisode actuel d’épidémie COVID 19 est venu malheureusement nous rappeler l’importance de cette notion de prise en charge simultanée de multiples patients réanimatoires et la nécessité d’apprentissage de techniques particulière lié au COVID 19. Toutes ces formations impliquent du temps et de la disponibilité, devant par ailleurs être menées en parallèle d’une activité quotidienne déjà chargée.

Les structures militaires gardent une forte composante opérationnelle, où les personnels, projetables en missions extérieures possèdent souvent des connaissances et une pratique de terrain concernant la prise en charge du blessé grave. Ces compétences spécifiques sont de plus en plus utilisées en milieu civil (damage control, fast-echo,…). La notion de leadership paramédical existe déjà avec le rôle de l’infirmier spécialisé en anesthésie, que ce soit en cas de mass casualties en opérations extérieures, ou lors des formations ATCN (Advanced Trauma Care for Nurses).

Un article récent d’octobre 2019 (9) propose l’élaboration d’un programme afin de former à ce type de prise en charge un maximum de personnels infirmiers habituellement non rompus au damage control. Il est intéressant de constater que dans ce protocole, l’accent est fortement mis sur l’organisation, avec en particulier l’importance du leadership et de la communication. Ces notions sont largement abordées dans cette formation expérimentale citée en référence.

La notion de leadership paramédical existe déjà avec le rôle de l’infirmier spécialisé en anesthésie, que ce soit en cas de "mass casualties" en opérations extérieures, ou lors des formations ATCN (Advanced Trauma Care for Nurses).

Dans la pratique...

Retour d’expérience

Au SAU, nous avons parfois constaté une certaine désorganisation de l’équipe dans la prise en charge de patients graves. Par exemple, plusieurs infirmiers se concentrent à la préparation des mêmes drogues, et délaissent sur le moment d’autres actions de soins comme le plateau d’intubation. L’idée d’un infirmier expérimenté en retrait de l’équipe en action, qui guiderait l’équipe dans la prise en charge est apparue comme une évidence et en particulier lorsque les équipes étaient composées de nouveaux arrivants et/ou de personnels peu expérimentés. Alors, nous avons décidé de poursuivre cette façon de faire dans les cas spécifiques de prise en charge lourde, un infirmier leader accompagnant l’équipe dans la répartition de ses missions. Pour exemple, ce personnel participe en désignant un personnel sur la ventilation, un autre sur la préparation des drogues, et enfin un aide-soignant s’occupant de l’installation du scope multiparamétrique. Il est également jugé utile de faire office de coordinateur et d’aide cognitive, de répondre aux questions si besoin, d’aider à trouver du matériel, de faire interface avec les intervenants extérieurs. A la fin de la prise en charge, nous proposons un débriefing au médecin, afin d’apporter notre retour sur la prise en charge. Nous posons des questions sur les points mal compris ou non assimilés, proposons de revoir l’organisation de gestes comme l’intubation.
Les retours sur la présence d’un leader paramédical ont été très positifs : sensation de sécurité, meilleure compréhension des tâches, amélioration de la communication, sentiment d’organisation et d’avoir réalisé une bonne prise en charge du patient.

Plus généralement

Chaque soignant ayant été confronté à l’aggravation significative et imprévue d’un patient, a pu expérimenter les difficultés liées la désorganisation des soins, engendrée par plusieurs facteurs : l’imprévisibilité, le stress, la multiplication des tâches et des acteurs, et le manque d’expérience. Le médecin urgentiste ou réanimateur est le leader légitime pour la prise en charge du patient grave. Cependant, du fait de la globalité et de l’ampleur de sa tâche, il peut être amené à délaisser malgré lui certains points importants, comme l’organisation de l’équipe. Le rôle d’un leader infirmier, qui ne participerait pas directement à la réalisation des soins mais à sa mise en œuvre, serait avant tout de seconder le médecin sur le point spécifique de la gestion des personnels et des matériels durant la manœuvre de réanimation (émergence d’un binôme médecin-leader infirmier).

Un article australien d’avril 2013 (6) décrit dans son enquête, et de façon détaillée, l’intérêt d’un leader infirmier pour la gestion des équipes lors de la réanimation des patients traumatisés. Les résultats ont été unanimes quant à la nécessité du rôle de leader infirmier, les personnels percevant clairement la plus-value dans la prise en charge. La communication a été nettement améliorée, et 100% des interrogés avaient compris et clairement intégré le rôle qui leur était dévolu. Le leadership infirmier a été noté comme un élément qualifié de bon à excellent. Cela conforte le concept de mise en place d’un leader paramédical, bras droit du leader médical, qui prendrait à son compte le problème complexe de la gestion de l’équipe paramédicale et de la communication lors de la prise en charge d’un patient grave. Il peut pallier une éventuelle désorganisation observée lors d’une manœuvre de réanimation urgente, en ayant une vue d’ensemble sur les personnels, en organisant les tâches, en canalisant la communication, et en évitant les oublis. Il peut aussi procurer un sentiment de sécurité pour l’équipe, car il est un soutien proche mais néanmoins extérieur, un interlocuteur privilégié, guide si besoin, qui peut parfois tempérer la relation de subordination médecin soignant.

Enfin, sa participation au débriefing de fin de prise en charge doit être considérée comme pertinente, en collaboration avec le médecin, pour faire le point sur les dysfonctionnements éventuels, les compétences acquises, celles qui sont perfectibles, et répondre aux diverses questions.

Les limites

La notion de leader implique par définition une personnalité qui fédère positivement et qui motive. Il se doit de présenter certaines caractéristiques intrinsèques : des compétences techniques confirmées (expérience, connaissances théoriques et pratiques), des qualités relationnelles et humaines reconnues de tous (bienveillance, empathie…), un sens de la gestion d’équipes.

Il n’existe pas de formation spécifique en France, contrairement à certains pays comme les Etats-Unis. Nous sommes en attente de la déclinaison des champs d’actions des infirmiers en pratique avancée aux urgences. Les masters accessibles ne proposent que peu de débouchés et sont pour l’instant insuffisamment reconnus (8). Par ailleurs, tous les établissements de santé sont confrontés actuellement au double problème de la gestion RH (ressource faible, possible turn-over des personnels), et de la recherche d’efficience. Cela pourrait limiter les possibilités de détachement d’un personnel, et rendre illusoire la présence de plusieurs professionnels expérimentés au sein d’une même équipe.

Enfin, même si une évolution favorable semble se dessiner, la problématique culturelle de la profession est toujours bien présente, avec des infirmiers manquant encore souvent d’autonomie face à une hiérarchie médicale dominante (besoin d’émancipation). Il ne s’agit pas bien sûr de remettre en cause le management médical qui doit bien évidemment rester au centre de la prise en charge. L’idée est, à l’inverse, de développer un leadership paramédical autonomisé, formé, expérimenté, qui agirait en coopération avec le médecin en le secondant efficacement dans le cadre du binôme infirmier-médecin.

Si une évolution favorable semble se dessiner, la problématique "culturelle" de la profession est toujours bien présente, avec des infirmiers manquant encore souvent d’autonomie face à une hiérarchie médicale dominante...

En guise de conclusion...

Pour conclure, la notion de leadership infirmier, bien qu’en plein essor dans les pays anglo-saxons, n’a pas encore réellement imprégné la culture paramédicale en France (8). Les infirmiers sont des professionnels de terrain, souvent expérimentés, proches des patients, et, dans le SSA en particulier, dotés de compétences spécifiques concernant l’urgence et l’afflux massif. L’infirmier fait partie intégrante du processus de réanimation, prodiguant des soins techniques de haut niveau. Mais ceci est également intégré à un process de communication et de travail en équipe, qui est une ressource majeure, un élément capital pour la qualité des soins. C’est dans ce cadre que le développement d’un leadership clinique infirmier, coordinateur des soins de réanimation lors de prises en charge complexes, prend tout son sens, contribuant ainsi à l’amélioration de la qualité des soins.

Il existe peu de documentation sur ce sujet en France. Une expérimentation grandeur nature, dans le cadre d’un protocole, nous permettrait d’analyser les effets bénéfiques de la mise en place d’un leadership infirmier. Cela a déjà pu être réalisé de manière spontanée dans un SAU, démontrant la faisabilité, du moins ponctuelle en termes de ressources, de ce type d’organisation. Les premiers retours, médicaux et paramédicaux, sont très encourageants. Les services-cibles pourraient être choisis parmi les SAU et les unités de soins intensifs, en métropole et en OPEX, lors de prise en charge de patients sévères réanimatoires (entrée, déchoquage, aggravation subite, mise en condition d’évacuation).

Notes

  1. Actual clinical leadership: a shadowing study of charge nurses and doctors on-call in the emergency department. Husebø SE, Olsen ØE. Scand J Trauma Resusc Emerg Med. 2019 Jan;27(1):2.
  2. Core Team Members' Impact on Outcomes and Process Improvement in the Initial Resuscitation of Trauma Patients. Geyer R, Kilgore J, Chow S, et al. J Trauma Nurs. 2016 Mar-Apr;23(2):83-8.
  3. When terror is routine: how Israeli nurses cope with multi-casualty terror. Riba S, Reches H. Online J Issues Nurs. 2002;7(3):6.
  4. The trauma nurse coordinator in England: a survey of demographics, roles and resources. Crouch R, McHale H, Palfrey R, Curtis K. Int Emerg Nurs. 2015 Jan;23(1):8-12.
  5. Role of the trauma nurse coordinator in Hong Kong. Yeung JHH, Cheung NK, Graham CA, et al. Surgical Practice 2006;10:97-101.
  6. The effect of a nurse team leader on communication and leadership in major trauma resuscitations. Clements A, Curtis K, Horvat L, et al. Int Emerg Nurs. 2015 Jan;23(1):3-7.
  7. Leadership and Teamwork in Trauma and Resuscitation. Ford K, Menchine M, Burner E, et al. West J Emerg Med. 2016 Sep;17(5):549-56.
  8. Enseigner et cultiver le leadership infirmier. Odessa D. Cahiers de la puericultrice. 2017, Oct;310:12-15.
  9. Terrorist threat: Creating a nationwide damage control training program for non-trauma care providers. Swiech A, de Rocquigny G, Martinez T, et al. Anaesth Crit Care Pain Med. 2019 Oct 12 [Epub ahead of print].

Mélanie Alliot, infirmière en Soins Généraux de 2eme Grade, référente de soins, Hôpital d’Instruction des Armées Desgenettes, Lyon


Source : infirmiers.com