Petite question par curiosité :
êtes-vous infirmier ?

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ETHIQUE

Une révolution soignante ? Où ça ?

Publié le 17/02/2014
infirmière colère bureau

infirmière colère bureau

Beaucoup nous promettent une révolution pour 2014, la poudrière est en place et il ne manque qu’une étincelle… mais qui va craquer l’allumette ? Une révolution de qui ? Pour quoi ? Laissez-moi rire (jaune), aucune nation ne se soulève tant qu’elle a le ventre plein. Conseil tenu par les rats...

L’amour, la vie, le soin sont-ils des armes puissantes pour mener une révolution ?

Vous rappelez-vous cette fable de Jean de la Fontaine Conseil tenu par les Rats ? Il s’agit d’un chat puissant, du nom de Rodillard, terrorisant les rats tellement il en mit en sépulture. Le peu qu’il en restait décida d’accrocher un grelot à son cou. Ainsi, quand il irait en guerre, de sa marche avertis, ils s'enfuiraient en terre. Tous furent de l’avis du Doyen mais la difficulté fut d’attacher le grelot : l’un dit qu’il n’était pas si sot de risquer autant de se faire croquer, l’autre qu’il ne saurait comment faire. Si bien que sans rien faire on se quitta. La Fontaine conclut ainsi :

J'ai maints Chapitres vus,
Qui pour néant se sont ainsi tenus ;

Ne faut-il que délibérer,
La Cour en Conseillers foisonne ;
Est-il besoin d'exécuter,
L'on ne rencontre plus personne.

Cette fable nous montre brillamment que nous nous satisfaisons très bien de la médiocrité. Nous sommes même capables de la substituer à la normalité (quelle horreur !). Il s’agit ni plus ni moins de l’empire du moindre mal. Tant que la douleur reste supportable, nous nous accrochons aux maigres bénéfices qui flottent entre un mal et un pire. Marisol Touraine peut encore dormir longtemps sur ses deux oreilles. Pauvres de nous. Aspirons-nous vraiment à cette piètre humanité qui confond un moindre mal avec un bien en soi ? Si tel était le cas, et j’ai bien peur que nous en soyons là, le bulldozer peut nous passer encore plusieurs fois dessus, on serrera les dents encore un peu…

Tout nous montre que nous sommes dans une période de résilience, on encaisse ! On couine un peu, mais on encaisse.

Nous pataugeons dans une forme de résilience

A quel moment les soignants pourraient-ils déclencher cette étincelle ? Les révoltes que nous connaissons sont rares et la plus récente me semble être celle de l’Hôpital de Kilkis en Grèce en 2012. Dans ce cas, Rodillard avait usé la population des rats au point que les salaires n’étaient plus versés et que les impôts augmentaient d’autant… Les engagements du gouvernement n’étaient pas tenus en termes de dotations (personnel, médicaments…). Les médico-soignants avaient alors occupé l’Hôpital, affichant très clairement une désobéissance civile et fiscale. Le mouvement Ni Bonnes, Ni Nonnes, Ni Pigeonnes à son tour, pensait que tout n’était pas perdu... Ces sentinelles vigilantes nous préviennent du danger et permettent l’expression de la limite de la médiocrité à ne pas franchir, mais l’entendons-nous ?

Est-il possible aujourd’hui, dans les couloirs de nos hôpitaux et cliniques, de croiser un collègue sans que la question ordinaire du ça va toi ? soit suivie d’une litanie de couinements et d’opprobres sur le système. Mais quand il s’agit de savoir si le collègue pourrait accrocher le grelot au cou de Rodillard, là, on tombe souvent mal parce que le mardi il y a piscine ou parce qu’il est mal garé ou encore qu’il a un sanglier sur le feu…

La consommation en France pour 2014 est dite résiliente par les économistes1, c’est dire combien notre moral général est enclin à ce moindre mal et l’acceptation de la médiocrité. Nous consommerons un petit peu moins mais la douleur sera encaissée tranquillement par notre corps social. Plus de 35% des français sont prêts à jouer la carte du low-cost en allant se faire soigner à l’étranger, notamment dans le dentaire et l’optique 2. Tout nous montre que nous sommes dans une période de résilience, on encaisse ! On couine un peu, mais on encaisse.

Pas de révolution à l’horizon, les dépenses Alimentaires seront, elles, en légère progression (+0,6%). On mange plus et de moins en moins bien, encore un critère qui nous laisse penser que l’aveuglement du niveau d’insécurité minimum est atteint pour qu’il ne se passera rien. En tous cas, tant que ces dépenses alimentaires ne seront pas davantage touchées, le risque de révolte restera insignifiant et laissé aux seules mains abîmées de ceux qui, par leurs bas salaires, sont déjà impactés et muselés par le seuil de pauvreté (près de 900 000 personnes en France). Alors que les dépenses contraintes continuent d’augmenter, les dépenses plaisirs apparaissent, de plus en plus, arbitrables et arbitrées : leur croissance ne s’établira en 2013-2014 qu’à +0,1% 3. La consommation de smartphones et tablettes multimédia n’a jamais été aussi forte lors des achats de Noël dernier, encore quelques signes qui montrent que nous nous préoccupons encore beaucoup plus de l’ avoir et du faire que de l’ être et du partager.

Notre soumission librement consentie au système est telle que tant que le citron contient du jus il sera pressé.

De la conscience à l’action

La France atteint son plus haut niveau historique de prélèvements obligatoires avec 46,5 % 4.Triste performance. Néanmoins la résilience fait que nous arbitrons de plus en plus nos priorités et qu’elles ne sont pas encore au point critique d’une révolution, on encaisse, on se passe de certains trucs pour pouvoir se lâcher sur d’autres. Nous avons le ventre plein, même si c’est de mal bouffe ! On peut difficilement faire une révolution en éructant le macdo et la frite grasse. Notre soumission librement consentie au système est telle que tant que le citron contient du jus il sera pressé. Nous assistons, impassibles, à une dérive humaine où les priorités se sont décalées à mesure que les addictions individualistes se sont développées. Notre humanité n’est pas perdue, son regard est simplement voilé par le fait que nous avons le nez dans notre nombril et que par conséquent, l’horizon est un peu bouché.

Pour enclencher une révolution, il convient en premier lieu de prendre un peu de recul sur soi et sur notre place en ce monde. Ensuite de regarder l’altérité, se reconnaître en elle et partager des idées. Cela demande du courage, nous ne sommes pas tous d’accord sur tout et c’est tant mieux, la discussion nous rapproche. Le soignant cultive la capacité de détecter les vulnérabilités qui touchent autrui et de se sentir concerné. Être capable d’une forme d’indignation comme celle à laquelle nous invitait Stéphane Hessel. Nous serions peut-être, nous soignants, de par notre formation, les plus à même à nous indigner face à la vulnérabilité d’autrui. De ce fait nous serions peut-être aussi les plus à même à proposer des idées éthique pour une société.

Qu’attendons-nous ? Nos services d’Urgences ne sont-ils pas une bonne lorgnette sociale ? Les personnes sans domicile qui s’infiltrent, de plus en plus nombreux dans les centres hospitaliers pour passer l’hiver écrivent en larmes de sang notre sociopathie. Les recrutements soignants fondent en peau de chagrin, le chômage infirmier est une nouvelle réalité à laquelle nous ne réagissons pas.

L’abandon actuel de nos politiques ajoute au malaise un ingrédient délétère qui nous fait nous détourner d’une action fédérée.

Juste au cœur !

Ne laissons pas glisser l’espoir d’une révolution intelligente, créative et humaine se substituer celle de la peur et de la haine. Nos armes à nous, ne blessent ni ne tuent, elles sont des armes d’humanité, faite pour nous rapprocher et prendre soins de tous.

Nous n’avons pas une profession avec une histoire guerrière et peut-être avons-nous du mal à exprimer et partager un combat social. Les mineurs et les verriers du XIXe siècle, eux, avaient Jaurès… L’abandon actuel de nos politiques ajoute au malaise un ingrédient délétère qui nous fait nous détourner d’une action fédérée. L’ambiance désenchantée des Hôpitaux malaxe une morosité dénuée de toute créativité, l’investissement institutionnel s’évapore au profit des dernières ruines de confort individuel. Le pouvoir de l’in-décision paralyse nos structures, pourtant nous avons tous les atouts : le nombre, les compétences, le pouvoir du soin, l’intention vertueuse d’exister avec et pour autrui dans des institutions justes comme le souhaitait Paul Ricœur. Aujourd’hui, des revendications haineuses et discriminantes sortent dans la rue.

Peu importe, je veux croire à une révolution sans violence, à une révolution de la pleine conscience. Nos gouvernements seront-ils sourds à des discours de paix qui ne cherchent qu’à promouvoir la qualité du vivre-ensemble ? L’amour, la vie, le soin sont-ils des armes puissantes pour mener une révolution ? Ne doutons pas d’une chose, ils sont les plus beaux arguments d’une société, et nous la toucherons, juste au cœur !

Il ne peut y avoir révolution que là où il y a conscience. Jean Jaurès

Notes

  1. Source INSEE BIPE avril 2013
  2. Source INSEE BIPE avril 2013
  3. Source INSEE BIPE avril 2013
  4. Libération Economie du 22 octobre 2014

Christophe PACIFICCadre supérieur de santéDocteur en philosophiechristophe.pacific@orange.fr


Source : infirmiers.com