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LEGISLATION

Une infirmière ne peut pas parler de Dieu avec ses patients

Publié le 19/03/2013

Une infirmière a été licenciée à la suite de conversations avec des patients sur le thème de la religion et de la foi. Éric Rocheblave, avocat au Barreau de Montpellier, nous fait le compte-rendu de la décision de la cour d'Appel de Versailles.

Cet article a été publié le 28 février 2013 par Éric Rocheblave sur son blog intitulé « L’actualité du droit du travail ». Nous le remercions de cet échange.

Madame X…, infirmière diplômée d’Etat, disposant d’un service de nuit, était affectée au service de cancérologie et soins palliatifs de la clinique Y…

Le contrat de travail de Madame X… comportait la mention suivante : « la plus grande discrétion s’impose à tout le personnel et plus particulièrement à l’égard des patients pour préserver leur repos et leur sérénité. Il est à noter que la clinique Y… s’est engagée dans une procédure d’accréditation et dans une politique de qualité auxquelles les salariés sont tous impliqués »

La lettre de licenciement notifiée à Madame X… était rédigée en ces termes :

« Pour faire suite à l’entretien préalable qui s’est déroulé en nos bureaux, j’ai le regret de vous informer que nous avons pris la décision de procéder à votre licenciement pour faute grave pour le motif suivant :

Nous avons été interpellés par une infirmière, Madame A…, au sujet d’une patiente, Madame Z…., âgée de 66 ans qui présentait des symptômes d’angoisse importants accompagnés de tremblements.Le soir même, une autre infirmière, Madame B…, nous a appelés de nouveau dans le service, auprès de Madame Z… qui semblait épouvantée et demandait à quitter impérativement la clinique, le soir même “pour ne pas voir l’infirmière de nuit, Madame X…”.
Interrogée, la patiente nous a informés qu’a plusieurs reprises au cours de son séjour dans la clinique, vous l’avez terrorisée en vous livrant la nuit dans sa chambre, à des incantations, lui parlant de Dieu et de la mort et la contraignant à se mettre à genoux pour prier à vos côtés.
Ces agissements sur des patients fragilisés par la maladie sont totalement inacceptables dans un Etablissement de soins.
Le médecin de service ayant reçu des plaintes il y a quelques mois pour les mêmes raisons, Madame C… vous avait demandé de ne pas parler de Dieu avec les patients.
Vous avez refusé de suivre ses consignes, mettant en danger la santé mentale de nos malades.
Les explications que nous avons recueillies auprès de vous lors de l’entretien préalable n’ayant pas modifié notre appréciation des faits, nous vous notifions par la présente votre licenciement pour faute grave »

La Cour d’appel de Versailles a considéré :

  • qu’il ressort des attestations concordantes de Mesdames A… et C…, toutes deux infirmières de jour à la clinique Y…, qu’elles ont été interrogées par Madame Z…, patiente du service de cancérologie, sur le nom et l’identité de l’infirmière de nuit; qu’elles précisent avoir vu, à l’arrivée de Madame X…, cette patiente en proie à une certaine panique, émettant le souhait de quitter immédiatement l’établissement ;
  • que le docteur C…, chef de service, averti de l’incident, et s’étant rendu sur place pour raisonner la patiente, atteste pour sa part : “celle-ci était en crise de panique totale et présentait une angoisse très importante avec souhait de quitter immédiatement l’établissement de peur de retrouver l’infirmière de nuit Madame X….” ;
  • qu’il ressort encore d’un courrier du docteur C… adresse dès le lendemain à Madame D…, directrice des soins, qu’à son arrivée “la patiente était dans un état d’angoisse extrême avec tremblements, parole saccadée, qui demande à quitter impérativement la clinique pour ne pas voir l’infirmière de nuit Mme G.” ; qu’il précise aux termes de ce courrier du 29 septembre que “Aux dires de Madame Z…, plusieurs fois pendant son séjour à la clinique, Madame X… est entrée dans sa chambre et faisait des prières et des incantations qui terrorisaient Madame X… Cette patiente est fragile et convaincue d’avoir été convertie par Madame X…” ;
  • que Madame Z… écrit : “Vous savez, c’est fou mais cette terreur que cette femme a mise en moi, je n’arrive pas à m’en débarrasser. Je n’oublie pas et j’espère de tout cœur qu’elle ne pourra plus faire aux autres de vos malades ce qu’elle m’a fait” ;
  • qu’il ressort encore du compte rendu de l’entretien préalable à une mesure de licenciement, signé par Madame X… elle-même, les éléments suivants : “Madame X… a écouté un soir, Mme Z…. qui avait des angoisses. Lors de ces temps d’écoute, Madame Z… a fait part des pratiques de son mari qui embrassait sa croix et des messes auxquelles ils assistaient. Madame X… a demandé à Madame Z… si elle possédait une bible comme elle n’en avait pas elle lui a conseillé celle de Louis S. qui paraît il est simple à lire, en vente en supermarché à un euro cinquante. Pour Madame X… il n’y a pas eu de prosélytisme religieux” ;
  • que les éléments relatifs aux incantations et prières qui auraient été imposées a Madame Z… ne résultent que du compte rendu, signé par la patiente, de sa conversation avec le docteur C… ;
  • qu’il ressort de l’ensemble des pièces ci-dessus examinées que Madame X…, qui d’ailleurs le reconnaît a minima, a eu avec Madame Z…. une conversation sur le thème de la religion et de la foi ; que cette conversation a manifestement déclenché chez la patiente, fragilisée par la maladie, un état d’angoisse sérieux et la crainte d’être à nouveau confrontée à Madame X… ;
  • que de plus, le compte rendu d’entretien préalable et l’attestation de Madame D… font référence à un précédent, certains patients s’étant plaints d’un discours religieux de la part de Madame X… ; qu’il ressort de ces deux pièces que Madame X… s’était entretenue avec Madame D…, qui avait attiré son attention sur la nécessité de s’abstenir de telles conversations ;
  • que la réalité des griefs formulés a l’encontre de Madame X… est en conséquence établie et que ceux-ci constituent une violation par la salariée de ses obligations contractuelles qui, si elle ne rendait pas impossible son maintien dans l’entreprise, constitue cependant une cause réelle et sérieuse de licenciement.

Cour d’appel de Versailles - 6 décembre 2012 n°11-02076

Éric ROCHEBLAVE
Avocat au Barreau de Montpellier
Spécialiste en Droit du Travail et Droit de la Sécurité Sociale
http://www.rocheblave.com


Source : infirmiers.com