Matériels (gants, blouses, seringues…), médicaments, transports…, l’impact environnemental du secteur de la santé est loin d’être neutre. Un paradoxe, lorsque l’on sait qu’il est en première ligne face aux conséquences sanitaires du changement climatique. Amené à évoluer afin de limiter son empreinte carbone, il ne peut le faire en profondeur qu’au travers de modifications essentiellement structurelles. Mais à plus petite échelle, l’ensemble des professionnels de santé doivent se mobiliser autour des questions environnementales afin d’inscrire le système de santé dans une dynamique plus durable mais aussi de l’adapter aux bouleversements climatiques. Quels sont les enjeux qui pèsent sur le secteur de la santé ? Et quelles actions mettre en place pour y répondre ? C’est à ces questions, qui résonnent d’autant plus fort que se tient actuellement la COP26 à Glasgow, que le Salon Infirmier (dans le cadre de SantExpo, du 8 au 10 novembre) a tenté d’apporter quelques éléments de réponse.
Un secteur très exposé
Premier constat : la prise en compte de l’impact environnemental ne fait pas partie des priorités des établissements de santé. Nous avons assez peu de données sur les émissions et les polluants au sein du secteurs. Même les données réglementaires (bilan des émissions de gaz à effets de serre) ne sont pas toujours fournies ; moins de 30 % des établissements répondent aux attentes de la législation sur ce point
, explique en effet Laurie Marrauld, cheffe de projet au sein du Think Tank The Shift Project et maîtresse de conférences à l’Ecole des Hautes Etudes en Santé Publique (EHESP). Pour autant, l’ensemble du secteur de la santé sera nécessairement amené à s’emparer de la question environnementale. D’une part, il est très exposé aux conséquences , connues, que le dérèglement climatique fait peser sur les populations : multiplications des maladies vectorielles, problématiques d’alimentation causées par la sécheresse, flux migratoires accompagnés de problèmes de santé divers (maladies chroniques) et impact sur la santé mentale, qui impliquent un accroissement de la pression sur les services de santé
. D’autre part, le changement climatique et sa prise en compte deviennent « structurants dans la façon d’assurer la gestion de la santé » des établissements, poursuit-elle. On ne gère pas de la même façon une structure quand il fait 45°C ou lorsqu’elle se retrouve en situation insulaire après une inondation
, donne-t-elle ainsi en exemple. D’où la nécessité d’être capable d’identifier les vulnérabilités de chaque établissement, mais aussi de mesurer l’impact environnemental du secteur de la santé.
Adapter et prévenir
Car s’il n’est pas l’un des plus polluants, il est assujetti, comme l’ensemble des secteurs économiques, à la nécessité de décarboner son activité afin de répondre aux objectifs fixés par les Accords de Paris de 2015 (limitation du réchauffement climatique en-dessous des 2°C par rapport au niveau préindustriel) en diminuant ses émissions de gaz à effets de serre (GES) de 5 %. Pour Laurie Marrauld, il s’agit en premier lieu d’initier une décarbonation en traitant l’existant afin d’atténuer l’impact environnemental des activités du secteur : soutenir la recherche afin d’imaginer des procédés de fabrication de médicaments innovants et décarbonés, former les personnels de santé aux enjeux du changement climatique et aux bouleversements qu’il entraîne, et surtout identifier les activités qui pèsent le plus lourdement sur la santé environnementale pour trouver, localement si nécessaire, des solutions pour y remédier. L’hôpital de Niort a ainsi mis en place une politique de développement durable, en remplaçant sa chaufferie afin de réduire de 30 % ses émissions de gaz à effets de serre, explique-t-elle à titre d’exemple. Si ces décisions sont toutefois à la main des instances dirigeantes des établissements, tous les soignants sont une porte d’entrée vers des pratiques plus durables
, estime-t-elle. Et de noter l’exemple de l’association Les P’tits Doudous, lancée par une infirmière au CHU de Rennes, qui associe recyclage des métaux chirurgicaux utilisés en bloc opératoire et amélioration des conditions d’hospitalisation des enfants (la récupération finançant en partie l’achat de jouets pour les petits patients).
Si nous voulons décarboner, il va falloir basculer massivement vers un système de santé préventif
Mais décarboner l’existant n’est pas suffisant
, prévient-elle. Si nous voulons diminuer nos émissions de gaz à effets de serre de 80 %
, le taux nécessaire pour correspondre aux objectifs des Accords de Paris, il va nous falloir basculer massivement vers un système de santé préventif. Il faut par exemple diminuer la prévalence des maladies chroniques, mieux détecter les troubles cardio-vasculaires chez les femmes ou encore travailler sur les problématiques d’alimentation (en limitant certaines publicités), par exemple
. Autant d’actions qui demandent la mise en place de politiques favorables à l’environnement et à la santé qui soient trans-sectorielles (secteurs de la santé, de l’alimentation, des transports…). À échelle plus individuelle, c’est sur ce volet de la prévention que les infirmiers peuvent jouer un rôle , la préservation de la santé des patients permettant de limiter les impacts environnementaux en réduisant le recours aux actions curatrices. Karine Pontroue, infirmière puéricultrice diplômée d’un DU en santé environnementale, a ainsi monté un projet de formation à destination des assistantes maternelles et des jeunes mères avec comme objectif de limiter l’exposition des enfants, et en particulier des nourrissons, aux perturbateurs endocriniens (présents dans les produits ménagers, cosmétiques…), qui peuvent avoir des effets particulièrement néfastes sur la santé (apparition de maladies chroniques telles que diabète, obésité, cancers hormonaux…). Nous devons être sensibilisés aux perturbateurs endocriniens et à la prévention. En limitant les prises de médicaments, nous entreprenons une démarche de décarbonation. Or faire de la prévention afin d’éviter que les patients aient besoin de médicaments fait partie du rôle propre infirmier
, conclut-elle.
Un engagement professionnel à structurer Les formations aux questions environnementales à destination spécifiquement des infirmiers font, elles, défaut, déplorent conjointement Laurie Marrauld et Karine Pontroue qui listent le DU Santé environnementale des universités de Bordeaux et de Poitiers et le DU Développement durable en santé de la Sorbonne (Paris). L’offre tendrait à se développer, via MOOC (à l’exemple de celui de Paris Descartes) et webinaires. L’EHESP propose quant à elle la formation ChanCES pour développer des projets destinés à atténuer l’impact environnemental des modes de fonctionnement des structures ou pour les adapter aux bouleversements provoqués par le changement climatique. Il existe également des réseaux d’infirmiers constitués autour de ces questions qui permettent le partage des bonnes pratiques. Et de citer « Je suis infirmière », où s’est créé un groupe dédié à l’environnement et qui sensibilise à l’exposition aux perturbateurs endocriniens et à ses conséquences ; et « Santé en danger », nourri par l’objectif de créer une émulation entre les soignants et de leur permettre d’échanger sur les initiatives de réduction des déchets qui peuvent être mises en place dans leurs établissements. Enfin, le Nurse Climate Challenge, réseau d’infirmiers lancé aux Etats-Unis et qui a pour objectif de mobiliser l’ensemble de la profession sur ces questions, est désormais implanté en Euripe et propose des ressources pour modifier ses pratiques, sensibiliser les autres professionnels de santé ou encore développer des projets en faveur de l’environnement. |
* L’équivalent CO2 consiste à attribuer pour une période de temps donnée un « potentiel de réchauffement global » pour chaque gaz.
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