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Télémédecine - « La santé pour tous, avec tous, et en tout point du territoire »

Publié le 29/12/2011

Le Professeur Louis Lareng, co-fondateur des Système d'Aide Médical d'Urgence (SAMU), mais aussi de la télémédecine en France, défend la nécessité d'un réseau pluridisciplinaire œuvrant pour la santé pour tous, avec tous, et en tout point du territoire. Interview.

Infirmiers.com - Professeur, rappelez-nous quelle est l'histoire de la télémédecine ?

Professeur Louis Lareng - La télémédecine est issue de deux axes de progrès : la volonté de donner une médecine de qualité à tous les patients en tout point du territoire mais aussi de leur permettre un accès aux soins plus facile. La création des Systèmes d'Aide Médical d'Urgence (SAMU) a concrétisé cette avancée en plaçant un médecin au plus proche de la victime. Parallèlement, les nouvelles technologies d'information et de communication se sont développées. C'est ainsi qu'en 2002, en Midi-Pyrénées, a eu lieu la première liaison simultanée entre l'hôpital de Rodez et ceux de Foix, Lourdes, Cahors et Toulouse.

I. C. - Quelles sont les conséquences de la télémédecine ?

Pr L. L. - Dans la région Midi-Pyrénées, par exemple, le nombre de transferts a diminué de 40%. La télémédecine a en effet permis aux médecins des hôpitaux et des cliniques de disposer d’un réseau facilitant la mutualisation des moyens et la complémentarité des compétences. Autres avantages, les patients sont moins fatigués et stressés, les familles n'ont plus à faire de longs déplacements pour rendre visite à leur médecin et ces derniers disposent maintenant dans leurs cabinets ou dans leurs hôpitaux locaux des capacités identiques à celles des centres hospitaliers.

I. C. - La télémédecine ne risque-t-elle pas cependant de déshumaniser la médecine ?

Pr L. L. - C’est le risque mais aussi ce contre quoi il est important de lutter. L'information donnée insiste en effet sur le fait que le professionnel de santé doit maintenir une relation physique avec son patient. Si la télémédecine est là pour accompagner tout professionnel de santé, elle ne doit pas le remplacer. La relation médecin/patient doit être maintenue et, plus encore, soutenue par la télémédecine. Rien cependant ne peut remplacer la présence humaine auprès d’un patient. De leur côté, les infirmières et infirmiers garantiront une permanence d’humanisation et il est raisonnable qu’ils s’impliquent, avec les médecins, comme d’ailleurs tous les professionnels de santé, dans cette nouvelle pratique médicale.

I. C. - A qui s'adresse la télémédecine et pour quoi faire ?

Pr L. L. - La télémédecine s'adresse à tous. Par son intermédiaire, les patients se rapprochent des centres de soins sans pour autant devoir se déplacer et avec eux leur famille et ce, sur de longues distances. Ils peuvent ainsi accéder aux services spécialisés sans pour autant attendre de longs mois. Quant aux professionnels de santé (médecins ou infirmiers), ils vont pouvoir être conseillés depuis un cabinet se trouvant à grande distance de leur lieu d’appel. Les patients et leur médecin pourront ainsi transmettre, dans le temps de la consultation, des photos, des données, des examens radiologiques, qui permettront au spécialiste de guider son confrère sur la stratégie thérapeutique à poursuivre ou à réorienter.

I. C. - Quelles applications la télémédecine offre-t-elle ?

Pr L. L. - Comme je viens de l'évoquer, un spécialiste guide son confrère, prescrit des soins, coordonne des actions à distance. Les familles des patients restent auprès des malades qui bénéficient, grâce à cette nouvelle pratique médicale, de soins de qualité. Autre possibilité, en matière de formation, un enseignant situé dans sa salle de cours peut conduire un cours avec visuels, photos, animations, vidéos et ce, simultanément auprès de plusieurs sites éloignés, même si en pratique on se limite à quinze sites et à une durée maximum d'une heure trente par liaison. Une excellente démonstration est le Centre de Consultation Médicale Maritime (CCMM) (cf. encadré) ou le système Télécardia permettant depuis un avion AirFrance/KLM de transmettre des données cliniques et notamment un électrocardiogramme. La télémédecine facilite donc la mise en place d’une « Permanence des Soins au Pied de l’Arbre » par l’Aide Médicale Urgente (AMU), seule permanence des soins organisée au plan national.

I. C. - Peut-on envisager des développements de la télémédecine à l'étranger ?

Pr L. L. - De nombreux contacts ont d'ores et déjà été pris, des échanges ont été initiés et nous accueillons chaque année des stagiaires qui viennent découvrir les possibilités de la télémédecine. Nous travaillons avec les ministères de la santé du Sénégal, du Maroc... pour le déploiement de ces technologies de part et d'autre de nos frontières. Le seul problème résiduel étant la capacité de certains opérateurs locaux à fournir la puissance internet requise pour ce type d'échanges.

I. C. - Recevez-vous l'appui des pouvoirs publics dans votre entreprise de développement de la télémédecine ?

Pr L. L. - Il nous a fallu démontrer l'intérêt et l'efficacité de cette solution aux politiques. L'implication de nombreux services et les démonstrations pratiques ont facilité nos démarches. Le Conseil Régional Midi-Pyrénées nous a, par exemple, sérieusement aidés. Les demandes de mise en place du dispositif ont notamment explosées avec la mise en place des agences régionales de santé (ARS) dont la vocation est de décloisonner la santé et promouvoir la complémentarité interprofessionnelle. Nous souhaitons que les pouvoirs publics encouragent réellement dans ce contexte une Permanence des Soins Ambulatoire sur le plan territorial.

I. C. - Existe-t-il des freins au déploiement de la télémédecine ?

Pr L. L. - Oui, bien sûr, et parmi eux, la définition des responsabilités de chacun qu'il faudrait revoir, le financement des professionnels de santé et des investissements nécessaires pour assurer le développement et la pérennité du système.
Cependant, la télémédecine n'est pas seule en cause, c'est tout l'encadrement est à renforcer. Le financement est en effet assuré aujourd'hui par l’État, les régions, le fond d'amélioration de la qualité de la santé de la sécurité sociale, attribué par les ARS, les subventions des collectivités locales. Des règles de financement sont donc à établir afin d’établir un financement pérenne. Une part du prix de la consultation médicale devrait notamment être augmentée. Elle serait calculée, par exemple, pour reconnaître la plus-value apportée par la télémédecine.

I. C. - Peut-on envisager des liens entre la télémédecine et le Dossier Médical Personnalisé (DMP) ?

Pr L. L. - Le DMP est un outil de la télémédecine. Il est nécessaire qu'une information plus régulière soit apportée aux patients afin de constituer leur DMP, mais aussi aux médecins pour pouvoir y parvenir c'est-à-dire constituer un dossier sécurisé dans lequel sont rangés toutes les données, examens, images, consultations. Rappelons que le DMP peut être consulté à distance par tous les praticiens choisis par le patient, à qui il confie ses soins et auxquels il donne un consentement éclairé. Grâce à la télémédecine, les spécialistes pourront eux-mêmes y rentrer les données, résultats et autre compte rendus. Enfin, un secteur semble pouvoir devenir le prochain domaine d'évolution de la télémédecine : la téléradiologie qui permettra de faire scanners, IRM et autres radiologies à distance sur des sites équipés où les manipulateurs en radiologie transmettront les résultats, facilitant ainsi la mise en place territoriale d’une permanence des soins pour la radiologie. Ces avancées sont des moyens potentiels de sauvegarde pour certains hôpitaux locaux.

I. C. - A court terme, quel avenir voyez-vous pour la télémédecine ?

Pr L. L. - En 2014 aura lieu un point mondial de réflexion sur la télémédecine afin d’évaluer cette nouvelle pratique médicale reconnue par la loi. Le challenge est important car le patient de demain s'éloigne des structures de soins, s'informe, se déplace. Il faudra cependant pouvoir rester au plus proche des moyens de sa prise en charge et, pour ce faire, le DMP est un excellent outil.

I. C. - Pouvez-vous nous dire quelques mots sur l'Institut Européen de Télémédecine (IET)?

Pr L. L. - L'IET est une émanation du Conseil de l'université de Toulouse sous l'autorité de son Président. J’en suis le Directeur et le Dr Monique Savoldelli, le Directeur adjoint. Nous y étudions toutes les possibilités et technologies de la télémédecine en lien direct avec les chercheurs, les médecins, les fournisseurs d'accès et les ingénieurs. L'IET a pour objet le développement de la télémédecine notamment pour la mise en place et la participation à des programmes de Recherche, des veilles scientifiques et le partage d’expériences par des actions de formation et d’assistance organisationnelle et/ou opérationnelle. L'Institut est hébergé au « Pôle des Services Numériques » de l’Université. Il bénéficie du Réseau Aster V du Conseil Régional et de Renater, réseau International. Les contacts avec les pays européens et internationaux sont établis par l’Institut Européen de Télémédecine.

I. C. - Pour finir, pensez-vous que les infirmières ont un rôle à jouer dans cette évolution technologique ?

Pr L. L. - Même s'il est en effet souhaitable qu'elles s'impliquent dans les démarches de déploiement de la télémédecine, je regrette de devoir leur donner cette charge supplémentaire au risque de déshumaniser, d'une certaine manière, leur art. Je sais cependant que je peux compter sur elles pour s'impliquer dans ce développement tout en conservant leur professionnalisme combiné, tous les jours, aux évolutions technologiques.
Si demain la télémédecine demeure humanisée, ce sera sans doute en grande partie grâce à la qualité intrinsèque de leur vocation.

• L'auteur remercie le Professeur Louis Lareng et Cécile Ratinier, secrétaire du GCS Télésanté Midi-Pyrénées, pour leur disponibilité.

Quid du Centre de Consultation Médicale Maritime (CCMM)

Le Centre français de santé des marins (professionnels et voyageurs de la mer) est en charge de tous les navires français en mer ainsi que de tous les marins étrangers dans nos eaux n’ayant pas d’interlocuteurs identifiés dans leurs pays. La législation européenne prévoit que tous les pays disposant d’une flotte et/ou d’un littoral disposent d’un CCMM.

En mer, le premier responsable de la santé est le commandant de bord car un principe de base stipule qu’il n’y a pas d’obligation de médecin à bord des navires (hormis ceux transportant plus de 2 500 passagers pendant plus de 48h). Le commandant de bord a donc, au regard du type de navire dirigé, une formation pouvant être similaire à celle d’un chef d’équipe des sapeurs-pompiers, à laquelle viennent s'ajouter 80 heures de sémiologie, deux jours de formation sur l’AMU en mer et quatre jours en institut de formation en soins infirmiers, plus un stage en milieu hospitalier.

En cas de problème médical, le commandant de bord va prendre contact (à plus de 80% par satellite - système IMMARSAT gratuit) avec le CROSS (Centres régionaux opérationnels de surveillance et de sauvetage, six en France et deux dans les Dom-Tom) qui surveille et contrôle le trafic maritime et est en charge des opérations de secours. Il sera ensuite mis en relation pour une conversation à trois avec la CCMM pour le conseil, la prescription de soins sur place, la mise en place d’une procédure pouvant conduire au détournement du navire ou à l’intervention en mer d’un effecteur de secours.

Pour la partie action de secours, ce sont les SAMU de coordination médicale maritime (un par CROSS) qui sont en charge de mettre leurs moyens à disposition de l’opération de secours. Pour faciliter la consultation, et si la liaison par webcam n’est qu’à un stade expérimental (problème de débit insuffisant), l’utilisation de la photo numérique depuis près de cinq ans sur le modèle de la télémaintenance des machines du navire a permis d’utiliser cette technologie pour appuyer les bilans passés par les officiers de bord. Au cas où la consultation se déroulerait avec un patient à l’autre bout du monde, le CROSS GRIS-NEZ située dans le Pas-de-Calais, prend contact avec son homologue étranger (réglementation de l’Organisation Maritime Internationale qui oblige les pays côtiers à disposer d’un Maritime Rescue Coordination Center) et le CCMM avec le sien pour organiser la réponse à la demande d’assistance. Ainsi, 75% des consultations permettent une prise en charge à bord du navire avec des points d’état de santé fixés pour le suivi des patients et les 25% restants une opération d’assistance.Le CCMM est basé à Toulouse depuis 1995, mais une organisation similaire est mise en place depuis 1950 avec onde courte en BLU car, historiquement, lorsque les marins contactaient la station radio maritime de Saint-Lys pour un problème médical, celle-ci se retournait vers les structures qui seront celles du SAMU de Toulouse quelques années plus tard.

• NDLA : les plate-formes fixes sont du ressort des compagnies pétrolières, elles peuvent être une assistance pour les navires dans le besoin mais n’entrent pas dans l’AMU en mer.

Dr Patrick ROUX
Adj. Resp. du Centre de Consultation Médicale Maritime (CCMM)

SAMU du CHU de Toulouse (31)

James IACINO
Rédacteur Infirmiers.com
james.iacino@izeos.com


Source : infirmiers.com