Le jeûne du Ramadan, quatrième pilier de l’islam1, peut être un facteur déclenchant ou aggravant de nombreuses pathologies. Alors que le Coran exempte malades et personnes âgées, nombreux d’entre eux s’astreignent à pratiquer le jeûne malgré des contextes thérapeutiques défavorables. Voici quelques préconisations qui vous permettront d’adapter la prise en charge infirmière à l’état du patient. La plus grande vigilance est de mise.
En 2021, le jeûne débute le mardi 13 avril et prendra fin le mercredi 12 mai (dates susceptibles d’être modifiées). Il consiste à s’abstenir de manger, boire, fumer et d’avoir des relations sexuelles du lever au coucher du soleil. Son observance ne doit en rien changer les occupations quotidiennes de chacun ni servir de prétexte pour négliger ses devoirs (professionnels, parentaux, personnels, etc.). En tant que soignant, comment aider les patients à le respecter ou, au contraire, à les informer et les préserver des risques qu’il comporte pour leur santé ?
- Manger équilibré deux fois par jour (avant l’aube, après le coucher du soleil)
- Eviter de consommer en grande quantité des sucres rapides (pâtisseries, sodas…)
- Privilégier les sucres lents (féculents) et les protides (viandes grasses…)
- S’hydrater la nuit régulièrement (eau plate, eau aromatisée, thé…)
- Respecter les temps de sommeil (particulièrement les veilles de travail)
Le jeûne : pour quels individus, pour quels patients ?
Tous les musulmans en bonne santé, dès la puberté, peuvent pratiquer le jeûne durant le Ramadan. Le pratiquant en est exempté, partiellement ou totalement, dans certaines situations. C’est le cas pour le jeune enfant impubère2, le patient hospitalisé, le patient atteint d’une maladie aiguë ou chronique si cela comporte un risque pour sa santé ou s’il y a entrave pour le traitement et la guérison de sa maladie, la femme enceinte s’il y a lieu de craindre un mal pour elle ou l’enfant attendu, la femme allaitante s’il y a lieu de craindre pour l’alimentation du jeune enfant3, la femme pendant les menstruations4 et les lochies, la personne âgée si le jeûne comporte un risque pour sa santé et tous ceux qui présentent un état de santé méritant un suivi médical, même ponctuel.
De nombreux paramètres biologiques sont amenés à varier en raison du jeûne
Traitements et examens : compatibles avec le jeûne ?
Durant les horaires de jeûne (du lever au coucher du soleil), la prise de traitements médicamenteux est régie par certaines interdictions (médicaments par voie orale et par voie intraveineuse à visée de nutrition parentérale), levées en dehors des plages horaires évoquées. Les traitements par voies locales (oculaire, auriculaire, nasale, rectale, vaginale, pulmonaire, intramusculaire) comme les injections, aérosols, sprays, collyres, ovules, suppositoires, pommades et crèmes sont en revanche autorisés sans restriction horaire. Parmi les examens autorisés figurent la coloscopie, l’examen et le toucher vaginal, l’endoscopie urétrale, les soins et extractions dentaires, le don de sang, la transfusion sanguine, l’oxygénothérapie, l’anesthésie, le prélèvement sanguin pour examen biologique, la cœlioscopie, l’utéroscopie, la mise en place de stérilet, la biopsie, l’anuscopie, le toucher rectal, l’hémodialyse, la fibroscopie… Mais leur pratique reste malheureusement réfutée par de nombreux musulmans pendant le Ramadan par manque de connaissance. Il faut garder à l’esprit que de nombreux paramètres biologiques sont amenés à varier en raison du jeûne. Ils seront rétablis quelques jours après la reprise habituelle d’une alimentation quotidienne diurne, mais il faut savoir en tenir compte lors du suivi médical pendant cette période.
Quels risques pour le jeûneur ?
Le jeûne n’est pas sans conséquence sur la santé ni sur la continuité des soins. Il peut occasionner une série de désagréments, voire de risques : suivi médical aléatoire, traitement et régime non suivis, déséquilibres alimentaires nocturnes (dîners trop copieux et mal équilibrés ; consommation excessive de café, thé ou sodas), dénutrition (trop souvent chez les personnes jeunes, un seul repas par jour mal équilibré, repoussant l’idée de se lever avant l’aube pour se nourrir), déshydratation, manque de sommeil ou de vigilance, risques inhérents à des dîners riches pendant un mois et échanges de plats avec les proches : toxi-infection alimentaire collective, intoxication alimentaire, malaise suite à une absorption trop importante de nourriture, rendez-vous médicaux (et autres) non honorés…
Le Coran demande aux musulmans de suivre scrupuleusement les conseils donnés par le corps médical
Jeûne sans contre-indication : quid de la prise en charge infirmière ?
Face à un patient qui pourrait y être confronté, les réponses soignantes peuvent être diverses en fonction de la situation et du degré de gravité du risque encouru. Tout d’abord, lui conseiller de consulter son médecin avant le début du Ramadan pour obtenir son éventuelle autorisation préalable de suivre le jeûne et/ou pour modifier son traitement (forme galénique, horaires de prises…) en cas de diabète, ulcère gastroduodénal, épilepsie, pathologie vasculaire ou rénale, troubles psychiatriques, troubles du sommeil… Car il est à noter que le Coran demande aux musulmans de suivre scrupuleusement les conseils donnés par le corps médical, et cela en toutes occasions. Si le médecin accepte que le patient suive le jeûne, le cas de figure est moins complexe mais nécessite toutefois des mesures complémentaires pour limiter au maximum les risques pour le patient. Tout d’abord, lui rappeler que des entorses aux prescriptions religieuses devront parfois être concédées pour que le jeûne puisse être respecté dans le cadre d’une pathologie. Vérifier par ailleurs que les soins (pansements, séances de rééducation…) pourront être délivrés pendant la journée et que les prises des traitements prescrits seront possibles au petit-déjeuner (avant l’aube) et au dîner (après le coucher du soleil). Cette année, il y a une amplitude horaire de 5h30 environ entre la fin et le début du jeûne. La pose d’une perfusion peut être envisagée, mais elle pourrait être refusée par le patient (dans ce cas, lui proposer de prendre l’avis de son référent religieux). Enfin, si les préconisations mises en place ne sont pas suivies par le patient, le médecin pourra lever son autorisation à tout moment.
Si le patient jeûne contre l’avis médical, il est nécessaire de rapporter sans délai le fait à l’équipe médicale
Comment réagir face à un jeûne contre-indiqué ?
Si le médecin considère que l’état de santé du patient ne lui permet pas de suivre le jeûne, plusieurs options s’ouvrent. La première consiste à lui proposer de rencontrer un référent religieux (soit l’aumônier musulman de l'établissement de soins, soit l’imam de la mosquée fréquentée par le patient) afin qu’il puisse l’aider à accepter le fait que son état de santé ne lui permet pas ponctuellement ou plus jamais de suivre le jeûne. Il lui proposera de le compenser en reversant une aumône à l’intention des nécessiteux ou de participer à des actions caritatives (préparation du repas offert aux pauvres en fin de journée, cours de Coran ou d’Arabe donnés à des jeunes, visite de malades ou personnes seules…). Il est également utile de lui rappeler les risques liés au suivi du jeûne au vu de son état de santé et ceux liés au rattrapage de toutes les prises médicamenteuses au moment de la rupture du jeûne. Enfin, lui signifier clairement que sa vie sera mise en danger, voire son intégrité physique ou mentale, ce qui va totalement à l’encontre des préceptes coraniques. Sa vie ne lui appartient pas, elle appartient au divin. Si aucune de ces options n’est retenue et que le patient jeûne contre l’avis médical, il est nécessaire de rapporter sans délai le fait à l’équipe médicale et de le noter dans le dossier, accompagné des observations cliniques. Dans ce cas, il est bon de conseiller au patient de s’entretenir avec un référent religieux pour avis et d’insister sur le fait qu‘il met sa vie en danger, qu’une telle attitude est considérée comme une forme de suicide (interdit formellement par l’islam). S’il maintient son refus, la piste familiale n’est pas à négliger : s’adjoindre un membre de sa famille peut permettre de le convaincre de ne pas suivre le jeûne.
Pour en savoir plus
Connaître et comprendre le judaïsme, le christianisme et l’islam, Isabelle Lévy, Le Passeur Editeur (2021)
Notes
- Les cinq piliers de l’islam sont : la profession de foi, le jeûne du Ramadan, la prière, l’aumône et le pèlerinage à La Mecque
- Un enfant est considéré comme adulte parmi les siens dès qu’il observe strictement ce jeûne. Aussi, beaucoup sont tentés de le suivre. Certains parents le permettent seulement les jours où il n’y a pas d’école, une façon de les préparer graduellement au respect des rites communautaires
- Si la maman refuse de cesser le jeûne, lui proposer de donner à l’enfant des suppléments alimentaires par biberon. Vérifier la reprise du poids de l’enfant par des pesées régulières les semaines suivantes
- La plupart jeûnent ne s’estimant pas fatiguées. Leur but premier est de ne pas avoir à récupérer les jours non jeûnés après la rupture officielle du Ramadan
Isabelle Levy
Conférencière
Consultante spécialisée en cultures et croyances face à la santé
@LEVYIsabelle2
HOSPITALISATION A DOMICILE
Un flash sécurité patient sur les évènements indésirables associés aux soins en HAD
THÉRAPIES COMPLÉMENTAIRES
Hypnose, méditation : la révolution silencieuse
RECRUTEMENT
Pénurie d'infirmiers : où en est-on ?
RISQUES PROFESSIONNELS
Accidents avec exposition au sang : s'informer, prévenir, réagir